La récente annulation du colloque sur la Palestine organisé par l’historien Henry Laurens au Collège de France a provoqué une onde de choc dans le monde académique. Prévu initialement les 13 et 14 novembre 2025, cet événement scientifique a été suspendu pour des raisons qui semblent plus liées à des pressions administratives et médiatiques qu’au contenu intellectuel lui-même.
François Héran, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au Collège et récemment retraité, a publié une lettre ouverte adressée à l’administrateur de l’institution, Thomas Römer. Dans ce courrier, il exprime sa consternation face à l’annulation, qu’il considère comme une illustration de la « cancel culture » au sein même d’une institution académique prestigieuse. Héran dénonce ce qu’il perçoit comme une tentative d’imposer une forme de censure déguisée, qui limite la liberté d’expression et le débat scientifique sur des sujets sensibles.
L’historien souligne que le programme du colloque, préparé par Henry Laurens, est le fruit d’un travail rigoureux et documenté, portant sur l’histoire de la Palestine depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle jusqu’aux enjeux contemporains du conflit israélo-palestinien.
Le colloque devait aborder la montée du mouvement sioniste, le mandat britannique, les relations européennes et arabes, ainsi que les implications des décisions de l’ONU et des puissances européennes dans le conflit. Selon Héran, aucune ligne du programme ne justifie le soupçon d’antisémitisme invoqué pour motiver l’annulation.
La lettre ouverte de François Héran critique également la logique institutionnelle qui semble désormais primer sur l’expertise académique. Il ironise sur le fait que l’autorisation des colloques doive passer par l’administrateur et obtenir l’assentiment du ministre de la Recherche, et que le recrutement ou l’intervention des professeurs soit soumis à l’approbation de l’opinion publique et médiatique. Il regrette en particulier la disparition progressive du concept d’« engagement » dans la recherche scientifique, qui a longtemps été associé à la liberté intellectuelle et à la responsabilité morale des chercheurs.
L’affaire met en lumière un dilemme profond dans les institutions académiques françaises : comment concilier rigueur scientifique, liberté de débat et sensibilité politique dans des domaines politiquement chargés ? Le cas du colloque sur la Palestine illustre les tensions croissantes entre exigence académique et pression sociale ou médiatique, et soulève des questions sur la capacité des institutions à protéger l’indépendance intellectuelle de leurs enseignants-chercheurs.
Dans un contexte européen marqué par une attention accrue aux questions de politique internationale et de droits humains, cette annulation pose également la question de la responsabilité historique et morale des États et des institutions face à des sujets sensibles. La liberté académique, en tant que principe fondamental, est ici confrontée aux risques de censure indirecte, de polarisation médiatique et de récupération politique.
Pour les universitaires et observateurs, l’affaire rappelle que le rôle des institutions comme le Collège de France n’est pas seulement de transmettre des savoirs, mais aussi de garantir un espace de réflexion critique, où des sujets controversés peuvent être examinés avec rigueur et impartialité. L’annulation de ce colloque constitue donc une étape symbolique, qui pourrait influencer la manière dont les chercheurs abordent des sujets sensibles à l’avenir.
En définitive, la controverse autour du colloque de Henry Laurens révèle une tension persistante entre liberté académique et contraintes institutionnelles et sociales. Elle interroge la place de l’historien et du chercheur dans un environnement où la pression médiatique et politique peut, parfois, primer sur la science et la rigueur intellectuelle.
Mourad Benyahia

