Monia Ben Jemia, figure emblématique de la scène militante tunisienne et méditerranéenne, a marqué les Nouvelles Rencontres d’Averroès par son regard incisif sur la société civile.
Ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (2016‑2018), Mounia Ben Jemia a détaillé la manière dont les réseaux de défenseurs des droits humains en Méditerranée négocient avec les États, mobilisent des outils juridiques et diplomatiques, et transforment leur action en véritable arme contre les dérives autoritaires et les injustices frappant les populations les plus vulnérables.
Dans la salle du Théâtre de La Criée, à Marseille, Monia Ben Jemia a déroulé un récit dense, mêlant histoire du féminisme, analyse politique et témoignage personnel. Au cœur de son propos : l’urgence de défendre la parole, la démocratie et les libertés dans une Tunisie où l’autoritarisme gagne du terrain.
Elle a retracé les grandes étapes du féminisme tunisien : émergence dans les années 1970, consolidation d’associations autonomes, ouverture du champ militant après la révolution de 2011. « Les acquis n’ont jamais été un cadeau de l’État, mais le résultat de décennies de luttes », a-t-elle rappelé.
Mais c’est surtout pour dresser le portrait du présent que Monia Ben Jemia a captivé la salle. Les droits consolidés sont fragilisés, l’espace civique se rétrécit, et la parole dissidente est aujourd’hui perçue comme une menace. Elle a fait une comparaison directe : « Sous Ben Ali, il existait encore des moyens d’approcher certains ministres, d’entamer un dialogue et de trouver des solutions à des problèmes majeurs. Aujourd’hui, aucun dialogue n’est possible. »
Selon elle, la rue reste désormais le seul espace de dialogue : manifester, se mobiliser collectivement, c’est la seule manière pour la population de faire entendre sa voix et de contester les dérives autoritaires. Le pouvoir centralisé autour de Kaïs Saïed impose une logique d’isolement et de fermeture totale, plus sévère encore que celle du régime précédent.
Elle a également expliqué qu’elle ne peut plus se rendre en Tunisie, car elle risquerait « le même sort » que d’autres militants ou juristes ciblés pour leurs prises de position.
Tout au long de son intervention, Monia Ben Jemia a détaillé les mécanismes par lesquels l’autoritarisme se renforce : lois d’exception, arrestations d’opposants et de journalistes, pression sur les ONG, criminalisation de la parole publique. Les réseaux méditerranéens de défense des droits humains – comme EuroMed Droits, qu’elle préside – continuent de jouer un rôle clé pour documenter, alerter et faire pression à l’international.
À la fin de la rencontre, elle a dédicacé son dernier livre, Dominer et humilier. Les violences sexistes et sexuelles en Tunisie (Éditions Cérès). Les échanges avec le public ont prolongé un moment où l’analyse intellectuelle rencontrait la force du vécu.
Cette masterclasse a rappelé que, dans un contexte méditerranéen fragile, la parole, loin d’être un simple outil, reste un acte de résistance. Et que la démocratie, encore plus que jamais, doit être défendue collectivement.
Mourad Benyahia

