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Comment a fondu le trésor de guerre du FLN » : retour sur une enquête de Philippe Bernet de l’Hebdomadaire VSD (1979)

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Au moment où l’affaire du « trésor de guerre du FLN » ressurgit dans le débat public, c’est une vieille enquête journalistique, publiée en 1979 par VSD (pour Vendredi – Samedi- Dimanche) – Un hebdomadaire populaire français de type tabloïd anglais, datant de la dernière semaine d’avril à début mars 1979. 

Ce travail d’investigation journalistique très fouillé retrouve une étonnante actualité et  remis au goût du jour à la lumière de l’actualité judiciaire algérienne.

L’incarcération du journaliste Saad Bouakba, sur décision du juge du tribunal de Bir Mourad Raïs, pour atteinte à un symbole de la Révolution après une plainte déposée par la fille adoptive de Ben Bella, a brutalement remis en circulation une question longtemps tue : que sait-on réellement de la gestion du trésor du FLN, et du rôle qu’y jouèrent certains dirigeants de la lutte indépendantiste ?

Saad Bouakba affirme que Ben Bella fut, comme d’autres responsables, l’un des bénéficiaires de ce trésor alimenté par les cotisations des travailleurs émigrés, les soutiens de pays arabes et les réseaux clandestins. Que l’on partage ou non cette thèse, il reste que l’affaire du « trésor du FLN » est l’une des plus opaques de l’histoire algérienne, mêlant argent, clandestinité, alliances mouvantes, rivalités mortelles et imbroglio juridique international.

Voici le texte intégral de l’enquête de Philippe Bernet, publiée dans le magazine VSD de 1979, qui demeure à ce jour l’un des récits les plus précis de cette saga politico-financière. Le  récit est replacé dans son contexte, organisée en séquences pour en restituer la force narrative.

​De l’or, d’étranges trafics, des chasses à l’homme, du sang et des larmes.

L’affaire du « trésor de guerre » du FLN, qui se dénoue cette semaine à Genève, après dix-sept ans de procédures et de chausse-trappes, se présente comme l’un des feuilletons les plus rocambolesques du siècle.

L’État algérien finit par triompher, mais c’est une victoire à la Pyrrhus : le pactole récupéré a fondu comme neige au soleil. Des milliards qui transitèrent sur des comptes secrets, il ne reste qu’une poignée de millions.

​La naissance du trésor : Le hold-up de la Poste d’Oran (1949)

​Tout commence comme dans un film de la série noire. Pour renflouer les caisses de leur mouvement clandestin et acheter des armes, trois militants algériens, Ben Bella, Mohammed Khider et son beau-frère Aït Ahmed, décident de monter un hold-up contre la poste centrale d’Oran, au printemps de 1949.

​Afin de détourner les soupçons, les trois hommes entreprennent de maquiller l’opération : les assaillants sont choisis parmi des militants de type européen, très blonds, habillés avec élégance, et doivent prendre l’accent parisien, se faisant passer pour les hommes de Pierrot le Fou. Ben Bella et Aït Ahmed braquent un médecin, le docteur Moutier, pour subtiliser sa voiture.

​Le hold-up se déroule sans anicroche, sauf que Ben Bella, ému, ne s’empare que d’un seul sac postal contenant trois millions, manquant un autre sac renfermant plusieurs dizaines de millions. Au retour, c’est Mohamed Khider, député d’Alger et déjà trésorier de l’organisation secrète, qui compte les billets. Le futur trésor du FLN vient de recevoir son premier apport de fonds.

​La police, d’abord déroutée par la piste de Pierrot le Fou, découvre la vérité grâce à un fragment de valise retrouvé dans la voiture volée. La traque commence. Ben Bella est arrêté, puis s’évade de la prison de Blida, et rejoint Khider et Aït Ahmed au Caire.

​Croissance du Trésor et Partenaire Financier Suisse

​Toujours confié à Khider, le trésor commence à prendre de l’ampleur avec les premiers pétrodollars de l’Arabie saoudite et du Golfe Persique, ainsi qu’avec les cotisations mensuelles exigées de tous les travailleurs algériens en Europe.

​La Banque commerciale arabe de Genève devient le partenaire financier numéro un de la rébellion algérienne, dépositaire des fonds destinés notamment aux achats d’armes. Les services secrets français surveillent la banque et trouvent un allié en la personne du procureur fédéral de la Confédération, René Dubois, qui se suicide le 23 mars 1957 après avoir été démasqué comme agent français. C’est le premier mort de toute une série tragique.

​L’Imbroglio juridique post-indépendance (1962)

​L’affaire du trésor s’embrase au lendemain de l’indépendance algérienne. Le pouvoir sépare Ben Bella et Khider. Ben Bella veut une république socialiste autoritaire, ayant écarté le dirigeant légal Benkhadda. Khider, en tant que secrétaire général du bureau politique, exige la convocation d’un congrès. Il bénéficie de la confiance des « frères » qui ont fait de lui le grand argentier du régime.

​Le 18 octobre 1962, Khider ouvre un nouveau compte à la Banque commerciale arabe, dirigée par ses amis Zoheir Mardam Bey (Syrien) et François Genoud (Suisse). Sur ce compte, il verse une somme estimée à plus de six milliards de francs français, toute la fortune du nouvel État algérien.

​Khider sera le seul à disposer de la signature, sur un compte personnel établi à son seul nom, sans mentionner le parti FLN ni le gouvernement algérien. Juridiquement, le trésor appartient à l’État, mais Khider en est l’unique bénéficiaire privé. Cette situation ahurissante s’explique par le fait que, légalement, le régime Ben Bella, issu d’un coup de force contre Ben Khedda, n’existait pas. Seul un notable au passé politique solide comme Khider, ancien parlementaire français, pouvait mettre les fonds à l’abri en Suisse.

​Le conflit et la chute de Khider

​L’union des anciens compagnons du hold-up d’Oran prend fin. En avril 1964, Ben Bella crée un nouveau bureau politique à sa dévotion, excluant Khider. Il nomme aussitôt un nouveau trésorier, Aït Hocine, chargé de récupérer les fonds à Genève. La Banque commerciale arabe refuse : « Je suis au regret, mais nous ne connaissons ici que M. Khider ! »

​Khider refuse de restituer l’argent, déclarant publiquement le 7 juillet 1964 : « Ce trésor du FLN, je le mets à la disposition de l’opposition algérienne, car je considère Ben Bella comme un usurpateur. » Pour préserver les fonds, il les transfère sur d’autres comptes encore plus secrets en Suisse et en Allemagne de l’Ouest, les utilisant pour ravitailler en armement et vivres son beau-frère Aït Ahmed qui a pris le maquis en Kabylie contre Ben Bella.

​La révolte kabyle s’effondre et Aït Ahmed est condamné à mort. Ben Bella offre alors à Khider le pardon et la libération de tous les détenus politiques, y compris Aït Ahmed, en échange de la restitution du trésor.

Khider refuse : « Je ne traite pas avec un gouvernement illégal. » Il prophétise la fin de Ben Bella : « Oui, l'armée soutient Ben Bella comme la corde soutient le pendu ! » 

Deux mois plus tard, Ben Bella est renversé par l’armée, et Aït Ahmed s’évade et se réfugie en Europe.

​Le nouveau dirigeant, Boumediene, n’a pas les scrupules de Ben Bella. Il part de l’idée simple que si Khider disparaît, le trésor reviendra automatiquement à l’État algérien.

​Dans la soirée du 3 janvier 1967, à Madrid, Mohamed Khider est abattu de trois balles et d’un coup de grâce à la tempe par un inconnu, sous les yeux de sa femme et de son cousin.

​La guerre judiciaire et la mort mystérieuse de Me Bouquet

​Malgré l’assassinat de Khider, l’affaire du trésor n’est pas réglée. Khider avait pris des mesures faisant de sa femme et de son beau-frère Aït Ahmed ses exécuteurs testamentaires. De plus, Boumediene découvre que Khider avait racheté les actions de la banque, le rendant majoritaire aux deux tiers du conseil d’administration de la Banque commerciale arabe. Officiellement, c’était une banque suisse, mais indirectement, elle appartenait à l’Algérie, ce que Boumediene apprend par hasard.

​Boumediene doit continuer à plaider. L’Algérie lutte contre un adversaire particulièrement coriace, l’avocat parisien Me Luys Bouquet, spécialiste du droit international et vieil ami de Khider, qui connaît à fond l’affaire et les dépôts de personnalités algériennes.

​Le dimanche 6 mai 1973, Me Bouquet est retrouvé mort dans son bureau, une arme à la main, la thèse officielle étant le suicide.

​Le jugement de Lausanne et la fin de l’imbroglio

​Le choc de la mort mystérieuse de Me Bouquet est davantage ressenti en Suisse. Le tribunal fédéral de Lausanne, Cour suprême du pays, déboute Boumediene à l’unanimité et dans des termes catégoriques.

​Contre les avocats algériens qui plaident que Khider est devenu un simple politique, la cour estime que le contrat bancaire signé lors de l’ouverture du compte ne fait mention d’aucune représentation, que Khider y apparaît comme titulaire et unique personne habilitée à disposer des fonds.

​Alger est condamné aux dépens : un demi-million de francs suisses

​Se sentant ridiculisé, Boumediene rappelle son ambassadeur de Berne et mijote un procès contre la Confédération. Les avocats algériens, controuvés, demandent aux autorités helvétiques pourquoi elles n’ont rien dit sur la détention de la banque par Khider. Réponse des Suisses : « C’est parce que vous ne nous l’avez pas demandé ! »

​Écœuré, Boumediene parle de rompre toutes relations diplomatiques avec la Suisse. Après sa mort, son successeur Chadli enterre la hache de guerre.

​Les négociations aboutissent : le clan familial Khider renonce à ses droits. L’Algérie hériterait de sa banque et du reste des fonds, soit environ deux millions et demi de francs suisses.

​Le pactole de milliards a fondu comme neige au soleil, laissant une « poignée de millions », la fin d’un feuilleton de dix-sept ans de procédures.

Conclusion de la rédaction, sous forme de postface

​L’histoire du « trésore de guerre du FLN » n’est pas simplement une affaire de détournement de fonds ou de querelle d’État ; c’est une véritable tragédie politique et judiciaire  qui met en lumière les mœurs impitoyables des luttes post-coloniales.

​Ce récit commence par un acte de nécessité révolutionnaire — le hold-up d’Oran — et se termine, dix-sept ans plus tard, par une issue amère. Ce qui devait être le nerf de la guerre d’indépendance, un pactole estimé à des milliards, a été consumé par les guerres intestines pour le pouvoir.

​L’élément central et le plus ironique de cette saga réside dans la figure de Mohamed Khider. Contraint par l’illégalité du nouveau régime de Ben Bella, il fut à la fois le sauveur et le gestionnaire légal mais  controversé de la fortune nationale. 

En établissant un compte privé en Suisse, il a protégé le trésor contre les aléas d’un pouvoir chancelant, mais a simultanément créé l’imbroglio juridique  sans précédent qui allait justifier son assassinat et le maintien des fonds hors de portée d’Alger.

​La réponse des autorités suisses — « C’est parce que vous ne nous l’avez pas demandé! » — résume l’impuissance de l’État algérien face à la souveraineté bancaire helvétique  et aux mesures prises par un homme seul. Les meurtres de Khider et de son avocat, Me Bouquet, témoignent de la brutalité avec laquelle les protagonistes ont tenté d’écourter le débat judiciaire, échouant finalement devant la froide logique des tribunaux suisses.

​La victoire finale d’Alger, bien que reconnue par la justice, fut une victoire à la Pyrhus . Le fonds récupéré — une poignée de millions seulement — ne fut qu’un résidu symbolique de l’immense fortune de départ. L’issue de cette affaire rappelle que, dans la géopolitique post-indépendance, les secrets financiers peuvent conférer un pouvoir plus grand encore que celui des gouvernements, et que parfois,les banques et les juges helvétiques  ont plus de pouvoir sur le destin des nations que les chefs d’État eux-mêmes.

Près d’un demi-siècle après sa publication, cette enquête résonne avec une actualité brûlante. En Algérie, le passé ne cesse de refaire surface, souvent par l’irruption de dossiers que l’on croyait enterrés. L’affaire Bouakba n’est qu’un symptôme : elle montre combien la gestion du trésor du FLN, les zones d’ombre de la période fondatrice et les rivalités d’alors continuent de structurer — et parfois d’empoisonner — le présent.

L’enquête de 1979, relue aujourd’hui, n’accuse personne : elle raconte une histoire. Mais cette histoire, elle, demeure encore explosive.

Ce que ne dit pas cette histoire toutefois c’est que l’ensemble des documents donc les fonds ont été restitués par la veuve de Khider au pouvoir algérien. Et l’Algérie a hérité chose rare d’une banque en Suisse (BCA).

Nous y reviendrons

Samia Naït Iqbal

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