Nommée Duperré durant l’époque coloniale, Aïn Defla est un véritable modèle de ville de la postcolonialité. Son expansion démographique et territoriale connaît une forte croissance, passant de 5 000 habitants en 1950 à 75 000 aujourd’hui, selon le Centre commun de recherche de la Commission européenne.
Cette transformation constitue un bouleversement architectural et territorial, les bâtiments coloniaux à destination des populations européennes constituent à l’heure actuelle un pourcentage minime à l’échelle de la ville. Avec une connaissance de cette ancienne commune mixte, il est alors possible de différencier les traces de l’espace colonial en trois catégories. Tout d’abord, les bâtiments laissés en ruine, jugés inutiles ou obsolètes, ils sont laissés à l’abandon ou détruit. Les bâtiments détruits créent parfois un vide jamais remplacé, participant à matérialiser au sein de l’imaginaire collectif une forme de cassure spatiale de son histoire. Par exemple, c’est le cas de l’école élémentaire présenté dans ce portfolio.
Ensuite, les bâtiments sont réutilisés ou détournés de leur fonction d’origine : un mirador colonial devient un terrain de jeu pour enfants aventureux, une mairie est transformée en modeste musée, un terrain est réaménagé en parc public. Enfin, certains bâtiments ont modifié de manière quasi-irréversible leur environnement. C’est l’exemple de l’hypercentre ville, des principaux axes routiers ou encore la gare routière. En ce qui concerne Aïn Defla, c’est surtout la gare routière qui a modifié son espace urbain.
Le centre-ville historique s’est déplacé en même temps que l’expansion de la ville, mais les vestiges d’un centre-ville colonial a amputé la ville d’un véritable centre-ville qui serait le carrefour des différents quartiers. Cela a évidemment des conséquences économiques et sociales.
Les bâtiments de l’époque postcoloniale photographiés, qui peuvent sembler anodins comme une mosquée ou un lycée, sont le résultat d’un long processus de réappropriation de l’espace urbain par les Algériens. À Duperré, durant la période coloniale, l’enseignement scolaire des populations non-européennes constitue une extrême minorité. Construit seulement deux décennies après 132 ans de colonisation, le lycée Ahmed Alili pris ici en photo constitue un symbole de la lutte anticoloniale par sa présence et son caractère postcolonial. Les mosquées constituent un problème durant l’époque coloniale.
Dans une société comme la commune mixte, où la minorité européenne y vit favorisée, le champ religieux n’échappe pas aux inégalités. Deux églises sont présentes au sein du centre-ville colonial : l’une est une mosquée convertie en église. La seconde est construite en face du parc public du centre-ville. À l’indépendance, l’église issue de la conversion redevient une mosquée (c’est la mosquée El Atik). La seconde quant à elle, est entièrement rasée.
Pendant deux décennies, c’est un vide qui remplace l’édifice religieux, puis en 1974 la mosquée Khadra voit le jour. La conception architecturale de cette mosquée est supervisée par Abdel Rahman Bouchama, originaire de Blida. Son style se caractérise par un dôme massif, presque pyramidal. Cette simple histoire du bâtiment religieux représente symboliquement le passage de l’espace colonial à l’espace post-colonial : l’architecte faisant partie de la première génération scolarisée issue de l’Algérie indépendante. Les habitants de la ville retrouvent alors des lieux de culte où l’espace public n’est plus imposé par une domination coloniale étrangère, mais répond aux véritables besoins des populations locales.
Pour conclure, ce portfolio a la volonté de montrer l’irrésistible développement propre aux territoires du Sud Global durant la période des années 1960 à nos jours. Il s’agit d’un travail de contextualisation historique d’un espace, de compréhension de son territoire et d’explication des enjeux auxquels les villes anciennement colonisées sont confrontées. La transformation des territoires par le pouvoir colonial a marqué les sociétés africaines, en Algérie particulièrement, avec le déplacement forcé de plus de 3 millions d’habitants.
L’enfermement de près de la moitié de la population rurale a donc laissé des traces dans la structuration des territoires ruraux et urbains. De la même manière, les infrastructures, les voies de déplacement et l’exploitation de l’environnement qui ont été pensé dans le seul but de servir la métropole. Ce travail artistique vise à mettre en exergue l’un des enjeux colossaux des pays anciennement colonisés.
Souf.flet
Photographe depuis quelques années, Souf.flet explore à travers son travail les enjeux sociaux et politiques, en développant une lecture des sociétés passées et contemporaines.
Chemin de fer datant de 1871, Aïn Defla, octobre 2025


Gare de Aïn Defla avec inscription, octobre 2025
















