L’Aurès de Masqueray : revisiter l’histoire sous le prisme colonial

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Emile Masqueray sur les Aurès

L’Aurès, région emblématique du pays chaoui, se révèle aujourd’hui à travers un regard critique sur l’un de ses observateurs les plus célèbres du XIXᵉ siècle : Émile Masqueray. Avec L’Aurès de Masqueray, rassemblé et annoté par le Dr Abdel Farid Abdesselam, l’histoire de cette montagne, de ses sociétés et de ses cultures est revisitée à la lumière du discours scientifique colonial qui l’a longtemps façonnée.

Émile Masqueray, normalien et agrégé d’histoire et de géographie, débarque en Algérie en 1872. Polyglotte, il apprend l’arabe puis le berbère, avant d’être missionné par le ministère de l’Instruction publique pour une expédition scientifique dans l’Aurès. Pendant deux ans, il parcourt un vaste territoire allant de Sétif à Tébessa, de Souk-Ahras à Biskra, visitant Timgad, Tobna, Merouana, Khamissa et le pays des Nemencha. Archéologue, ethnographe et linguiste, Emile Masqueray ne se limite pas à l’observation : il analyse, classe, hiérarchise, et inscrit ses travaux dans un cadre colonial où le savoir sert à administrer et contrôler.

Le Dr Abdesselam a structuré l’ouvrage en trois ensembles thématiques : les fouilles archéologiques romaines, l’étude des vallées de l’oued Abdi et de l’oued Labiod, et les enquêtes sur Chechar, Khenchela et les Nemencha. Dans les villes antiques comme Timgad, Masqueray voit « Rome en Afrique » et met en avant l’héritage romain comme justification symbolique de la présence française. Dans les vallées, il décrypte le droit coutumier, les structures sociales et la gestion collective de l’eau et des pâturages — essentiels à la stabilité des communautés et à l’efficacité de l’administration coloniale. Enfin, dans le massif des Nemencha, il mêle histoire et ethnographie, décrivant les migrations, la langue, les pratiques sociales et la mémoire des anciennes cités.

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Au-delà des données ethnographiques et archéologiques, l’apport majeur de l’ouvrage réside dans la mise en évidence de la dimension politique du savoir. Masqueray préconise une colonisation « modérée » mais organisée, où la science devient instrument de contrôle et de légitimation. Le regard scientifique, loin d’être neutre, accompagne la domination, structure la compréhension des sociétés locales et fixe des représentations encore influentes aujourd’hui.

En restituant ces textes annotés et contextualisés, Abdel Farid Abdesselam offre aux lecteurs modernes les clés pour interroger l’histoire de l’Aurès, sa mémoire et la manière dont elle a été racontée. L’Aurès de Masqueray devient ainsi un outil critique indispensable, pour lire le passé avec discernement et réfléchir aux usages politiques du savoir.

Djamal Guettala 

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