Vendredi 6 mars 2020
55ème marche : La protesta dans l’expectative
Le soleil apparaît et disparaît selon ses humeurs en cet après-midi plus ou moins vanté. Les mouettes qui se pavanent sur les eaux calmes du port d’Alger en rangs serrés, afin d’éviter la houle, accueillent le gros des marcheurs qui arrivent de Bab El Oued, Soustara, Ain Benian en riant. Habitants de la première heure d’Alger ou Icosium, signifiant en latin la ville des mouettes, ils en connaissent tous les secrets.
Les marcheurs sont sereins, décidés et calmes. La foule habituellement dense qui occupe les abords du siège du RCD, s’est rétrécie préférant se masser en haut de la rue Victor Hugo à partir de laquelle le signal de départ est désormais sonné dès la fin de la prière.
Les policiers, qui se font pourtant discrets, sont pris pour cibles par les manifestants qui ont eu à subir leur gourdin dans la soirée du mercredi devant le tribunal de Sidi M’hamed lors du procès de Karim Tabou.
En les voyant porter des masques sanitaires de protection on crie : « Voilà le corona voilà ! Faites attention voilà le flic corona il va nous contaminer ! Quelle honte, quelle honte, le policier a mis un voile ! ; Haw Haw (aboiement) oui chef ! »
Incisifs, les marcheurs sans se lasser redisent leur désir d’indépendance, exigent un Etat civil et pas militaire, souhaitent la chute du régime, promettent à Ali la Pointe de ne pas s’arrêter jusqu’à l’obtention de leur liberté, tiennent les généraux pour responsables de la tragédie qui frappe le peuple, insistent sur l’illégitimité de Tebboune tout en l’assimilant au corona et en poussant à l’escalade pacifique de la contestation.
On entoure l’épouse de Karim Tabou présente à cette marche en scandant : « Dieu est grand Karim Tabou ; Karim Tabou l’Etat à genoux ; Karim Tabou est aimé par le peuple ce qui fait cesser le cœur du système de battre ! »
On crie : « Amenez les brigades d’intervention de la police ou de la gendarmerie, demain à 13 heures marche il y aura ! »
Les marcheurs écoutent, observent analysent et réagissent en espérant d’agir un jour, pas trop lointain, à leur tour.
Ils entendent Karim Tabou, après avoir écouté l’Adhan, leur conter qu’il a eu à subir la question dans la caserne « Antar » par des personnes non encore identifiées, comme l’ont fait subir à des moudjahidine durant la révolution. L’indicible a été commis sur Karim Tabou.
Ils regardent certains journalistes sur la toile leur dérouler des histoires comme celle de ce Cardinal Richelieu local, Reda Kouninef, qui gouvernait par procuration de Saïd Bouteflika agissant lui-même par usurpation de fonction, faisant et défaisant les ministres, créant et anéantissant des oligarques, fiançant le fils de Tartag avec la fille d’Alexandre Djouhri, ancien sarkozyste d’origine algérienne déchu.
On leur explique comment il se transforme de Cardinal Richelieu en Michael Scofield (principal protagoniste dans la célèbre série Prison Break) national et qu’il finit par rater son évasion et celle de ses frères par bateau à partir de Mostaganem, aidé par des hommes de Tartag et surpris par la vigilance du vieux général aujourd’hui sous terre.
Ils s’étonnent d’apprendre que le général Souab, chef de la deuxième région militaire et l’ex-secrétaire général du FLN, Amar Saadani, détracteur en chef du général Toufik ont pris la poudre d’escampette avec autant de facilité.
Ils ne comprennent pas non plus, pour quelles satanées raisons Djilali Hadjadj, Eliot Ness national, les laisse sur leur faim lors d’une interview parue sur nos colonnes en déclarant : «Les véritables maîtres d’œuvre de la gouvernance criminelle ne sont pas inquiétés ».
Ils écarquillent les yeux en lisant Amine Zaoui qui leur conte, leur explique, la responsabilité de feu Boumediene, archétype de président dictateur non élu, et de la France, dans l’origine de la prohibition, version algérienne, et de la construction de près de 30.000 mosquées.
Ils n’expliquent pas comment l’on peut juger Ouyahia et Sellal sans la présence de leur ex-chef et ex-président Bouteflika, son frère Said Bouteflika et le Cardinal Kouninef dont la justice suisse demande le dossier.
Admiratifs, ils sont fiers d’être représentés par un brillant ministre des Affaires étrangères polyglotte, tristes d’être les témoins impuissants de la vendetta du lait menée par un ministre en panne d’idées et amusés de voir la mise en accusation de la fofolle de Naima Salhi devenir un évènement médiatique national.
Devant ce spectacle aussi désolant qu’effrayant, nos jeunes marcheurs, fument du thé, continuent à marcher, le cauchemar continue, pour paraphraser notre célèbre chroniqueur Hakim Laâlam, en méditant cette célèbre citation de Stephen Zweig, dramaturge et journaliste autrichien : « Dans la politique et dans la vie, les demi-mesures et les hypocrisies font toujours plus de mal que les décisions nettes et énergiques. »