21 décembre 2024
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Le gaspillage du gaz naturel en Algérie 

DECRYPTAGE

Le gaspillage du gaz naturel en Algérie 

La consommation domestique de pétrole et de gaz augmente de manière exponentielle, du fait des prix relatifs qui ne reflètent pas la rareté des produits bruts et transformés, doublée d’une politique de subvention généralisée, irrationnelle et contre-productive, qui incite au gaspillage et qui impacte les exportations de ces deux produits, pris en tenaille entre une diminution de production et la croissance de la consommation intérieure.

En outre, les politiques industrielles débridées, mises en œuvre par les différents gouvernements, ont accéléré ce processus et amènent notre pays à des impasses qui vont nous coûter encore plus chères dans un futur proche. La consommation du gaz des ménages est en forte augmentation de par les efforts consentis pour le raccordement des villes et des villages et la distribution des bouteilles de gaz dans les zones les plus reculées du pays. 

En outre, un programme d’électrification, tout azimut, à partir de centrales électriques thermiques (1), va accentuer le phénomène de manière durable et augmenter la consommation domestique de gaz, au détriment des exportations. Mais une autre source de gaspillage est entrain de voir le jour, à travers un programme démentiel de construction de cimenteries (2), jamais réalisé de par le monde ! En effet, notre pays est passé en l’espace de quelques années d’un importateur net de 4 à 5 millions de tonnes de ciment par an, à celui d’un pays avec un potentiel d’exportation de quelques 20 millions de tonnes.

De l’époque des pénuries qui alimentaient un marché spéculatif effrénée et des retards considérables dans la réalisation des projets, nous nous retrouvons avec une satisfaction totale de la demande intérieure (3) et un excédent de plus de 20 millions de tonnes par an, puisque la production est de plus de 40 millions de tonnes pour une consommation intérieure estimée entre 22 et 24 millions de tonnes par an, l’Algérie se hissant parmi les plus grands producteurs mondiaux (4) ! On devrait donc applaudir et décerner la médaille du mérite, à tous ceux qui ont, de près ou de loin, mis en œuvre ces politiques… Pas, si sûr lorsque que l’on analyse avec plus d’attention le dossier.

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En effet, lorsque que l’on a atteint l’objectif vital de la satisfaction de la demande intérieure (qui baisse actuellement avec la baisse d’activité du BTPH et l’annulation de nouveaux projets (5) et que l’on souhaite se lancer dans une politique d’exportation, la moindre des choses c’est de faire des études de marché et en particulier des chaînes logistiques nécessaires pour la rentabilité du projet.

Par ailleurs, il faut analyser le coût des intrants et notamment l’énergie, le gaz naturel en l’occurrence, qui constitue un élément majeur pour la décision d’investissement de capacité en direction de la demande nationale, et pour l’exportation je laisse volontairement de côté le coût des équipements importés (6), la norme internationale étant qu’il faut environ 150 millions d’euros pour produire un million de tonnes de ciment.

Ces analyses préalables auraient dû attirer l’attention des décideurs que, en matière d’exportation de ciment, le coût du transport et de la chaîne logistique de manière générale, est déterminant pour la rentabilité du projet et notamment l’implantation géographique des usines (proches des ports et des voies de chemin de fer) et des infrastructures portuaires de chargement (7) et les tirants d’eau permettant l’accueil de navire de grands tonnages.

Faute d’avoir pris en compte ces éléments cruciaux, dans l’analyse du projet, les exportations deviennent non rentables à moins de vouloir vendre à perte (8) ! En effet, le seul coût du transport routier devient équivalent au coût du produit au-delà de 300 km (25 t de charge utile par camion), ce qui limite le rayon utile par acheminement terrestre si bien que le marché du ciment, sous cette contrainte, devient un marché régional. Reste alors le fret maritime qui ne peut  être à moindre coût qu’à la condition expresse des volumes transportés, c’est-à-dire sur des navires d’au moins 35.000 tonnes, ce qui ouvre la voie aux échanges intercontinentaux (9).

Comment notre pays va pouvoir donc exporter un excédent minimum de vingt (20) Millions de tonnes par an et à quels prix, sachant pertinemment que la consommation intérieure ne pourra jamais absorber un tel excédent, telles sont les questions qu’il faut poser à ceux qui ont mis en place cette politique suicidaire ? En outre, la production de ciment, est considérée comme l’une des industries les plus polluantes au monde (fumées, vapeurs, envols de poussières, avant l’amélioration significative des électro-filtres et autres systèmes de traitement des envols de poussière ou des fumées) et nécessite donc des investissements pour atténuer l’impact sur l’environnement.

En outre, elles sont souvent autorisées à brûler des déchets, dont notamment certains déchets de pneus, farines de vache folle, déchets de tanneries, déchets de la pétrochimie ou de l’industrie chimique, ce qui accroît les risques de pollution. Avec une capacité installée de 40 Millions de tonnes an, ces risques de pollution (10) sont donc un coût supplémentaire à prendre en charge par les cimentiers. La question qui se pose alors est de savoir si la cession du gaz naturel, aux prix actuels, pour une telle production de ciment (40 Millions de tonnes /an) qui dépasse de loin les besoins nationaux (22 à 24 millions de tonnes / an), n’est pas un gaspillage de gaz naturel, que l’on peut exporter brut, sachant que notre pays est incapable de placer sur le marché international les quantités excédentaires de 20 Millions de tonnes/an ?

Enfin, le ciment est un produit périssable (durée de vie limitée) s’il n’est pas entreposé dans des conditions idoines et donc il risque de devenir impropre à la consommation, s’il n’est pas exporté rapidement dans les marchés des environs et notamment en Afrique de l’Ouest.

Toutes ces questions et bien d’autres nous interpellent sur les politiques débridées mises en œuvre et qui sont arrivées à un point de non retour, puisque le potentiel de production est arrivé à son plein régime et que nous sommes condamnés à trouver une solution à moyen et long terme. Ces industries énergivores, notamment de gaz naturel, auraient dû prendre en charge les problèmes en amont (la taille des usines et leur capacité) mais surtout et également ceux en aval (la chaîne logistique et les exportations), ce qui va obliger les pouvoirs publics, maintenant que le mal est fait, à investir dans d’autres produits de remplacement que le gaz naturel, sachant que  les experts considèrent que « la tendance actuelle est à l’utilisation d’énergies alternatives au gaz naturel qui est considéré comme un produit noble » et qui peut donc être réservé à des utilisations beaucoup plus valorisantes.

Un tour de priorité doit être donné à ce dossier et un audit indépendant doit être mené, afin de prendre les décisions opportunes pour tenter de sauver ce qui est encore possible mais également d’identifier les responsabilités de ceux qui ont mis notre pays dans cette situation dramatique. 

MG

Notes 

(1) Une centrale électrique thermique produit de l’électricité à partir d’une source de chaleur selon le principe des machines thermiques. Cette transformation se fait soit directement, par détente des gaz de combustion, soit indirectement, via un cycle eau-vapeur. L’origine de cette source de chaleur dépend du type de centrale thermique : Les centrales thermiques à flamme, utilisant généralement un combustible fossile (charbon, gaz naturel, fioul, certaines huiles minérales) ou d’autres types de combustibles (déchet industriels, agricoles, ménagers) .

(2) La composition chimique du cru est de 77 à 83 % de carbonate de calcium, de 13 à 14 % de silice, de 2 à 4 % d’alumine  et de 1,5 à 3 % d’oxyde ferrique. La température nécessaire à la clinkérisation est de l’ordre de 1.450 °C. L’énergie consommée se situe entre 3.200 et 4.200 MJ/t de clinker.

(3) « Le besoin national en ciment est satisfait à 100% par la production locale », déclare le P-DG de la société des Ciments (GICA) d’Ain El-Kebira, K. Laid, lors du salon Hassi Messaoud Expo 2019. Il ajoute qu’il n’y a pas de la baisse de 20% de la production car de nouvelles cimenteries comme celles de Biskra (7 millions de tonnes /an) et de Sigus (2 millions de tonnes / an) sont entrées sur le marché. Le PDG de Serport, déclare « qu’en 2019, nous allons à peine exporter 2,5 millions de tonnes. Nous pouvons passer rapidement à 10 millions de tonnes, mais il faut équiper les ports pour charger rapidement les bateaux ». 

(4) La Chine (2.370 Mt) 58 % du marché mondial, l’Inde (290 Mt) 7%, les USA (88,5 Mt) 2,2 %, la Turquie (84 Mt) 2%, le Viêt-Nam (80 Mt) 1,9%… pour un total de la production mondiale de 4.100 Mt en 2018. La production mondiale de ciment est dominée par quelques groupes internationaux occidentaux Holcim, Suisse, no 1 mondial ; Lafarge, France, no 2 mondial ; Cemex, Mexique, no 3 mondial ; Heidelberg Cement, Allemagne, no 4 mondial ; Italcementi, Italie, no 5 mondial, selon le classement 2006.

(5) M. Khaloufi, Président de l’Association des entrepreneurs algériens, a déclaré, le 9 octobre. « Il y a 1.360 entreprises de réalisation et promoteurs qui ont cessé leurs activités et l’ensemble des fabricants de matériaux de construction sont pratiquement à l’arrêt ». 

(6) « L’Algérie a payé très cher ses cimenteries, autour de 250 US$ la tonne, alors que la norme mondiale est de 100 US$, soit un total de quelques cinq milliards de US$ », déclare un cadre du secteur. En outre, ceux sont les banques publiques qui ont financé les nouvelles cimenteries, ce qui va accroitre leur vulnérabilité « La crise économique n’est pas un problème majeur pour les cimentiers, relativise notre source. Toutes les économies du monde connaissent des hauts et des bas, il n’y a rien d’anormal, et de toute façon, l’économie algérienne va redémarrer dans deux ou trois ans. Le problème majeur est dans la surproduction, et l’inaction des autorités ».

(7) Le responsable d’une cimenterie déclare qu’ « Il y a quatre ports qui ont des tirants d’eau assez profond pour accueillir des navires de grande capacité : Annaba, Skikda, Djendjen et Oran. Dans ces ports, nous avons besoin d’un hall de stockage et d’un « shiploader » pour charger rapidement les navires. Actuellement, nous utilisons un grappin pour charger le ciment dans les bateaux, mais cette machine n’est pas adaptée et ne permet pas un chargement rapide des navires ».

(8) Il faut ajouter à cette situation l’immobilisation des navires dans les ports, faute d’équipements adéquats pour le chargement rapide du ciment, qui coûte en surestaries, un navire de gros tonnage, entre 15 à 20.000 dollars par jour.  

(9) Par tonne transportée, il est moins coûteux (le prix à la tonne à l’importation tourne autour d’environ 500 €) de faire traverser l’Atlantique à une cargaison de ciment que de la déplacer de 300 km par voie routière, dans des conditions de qualité moyenne des routes.

(10) La fabrication du ciment émet en moyenne 850 kg de CO2 par tonne soit au total, elle est responsable de 5 % des émissions mondiales, avec 40 % au combustible utilisé pour chauffer la roche calcaire et 60 % à la décarbonatation de cette roche, lors du chauffage. L’Association mondiale du ciment (WCA) reconnait que les technologies utilisées en 2018, pour réduire la pollution des cimenteries « ne permettent d’atteindre que 50 % de l’objectif de réduction de CO2 de l’accord de Paris ».

Auteur
Dr Mourad Goumiri, Professeur associé.

 




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