Mercredi 29 mai 2019
C’est un leurre que tenter de modéliser la transition en Algérie (II)
Ces vingt dernières années, la corruption s’est généralisée et a métastasé le système de gouvernance. Pourquoi ? Abdelaziz Bouteflika bien que coopté par le système a voulu se démarquer des partis politiques notamment du FLN pour se présenter en candidat libre pour ne pas dit-il gouverner en ¼ de président.
Pour financer sa campagne, il s’est tourné vers des hommes d’affaires qui ne sont ni oligarques et encore moins des industriels. Pour la première fois en Algérie, l’argent s’est mélangé avec la politique pour que l’informel règne en maître dans le circuit économique. Le premier mandat de Bouteflika a débuté avec plusieurs catastrophes naturelles de l’Est à l’Ouest en passant par le centre du pays dont les plus meurtriers sont le séisme de Boumerdes et les inondations de Bab El Oued.
A partir de son deuxième mandat, les prix du baril se sont redressés jusqu’en 2013 pour atteindre une moyenne de 89,52 dollars le baril avec un point haut qui a atteint 147,50 dollars le baril et un point bas de 36,20 dollars le baril. Cette période faste a permis la création d’un fond de régulation des recettes pour absorber le choc des déficits budgétaires et surtout économiser un matelas de réserves de change qui ont frôlé les 200 milliards de dollars. Malheureusement, cette période a nourri aussi les circuits informels pour enfanter de vrais barons de la maffia politico financières qui dirigent le pays.
1- Le régime Bouteflika a poussé le bouchon trop loin
Bouteflika, quant à lui, il a trompé tout le monde Pourquoi ? Pour beaucoup d’analystes, il pouvait concilier les deux tendances dirigiste et ultralibéraliste. Il a «bâti » avec feu Boumediene le modèle de développement par l’industrie industrialisante, n’était-il pas d’ailleurs membre du conseil de la révolution qui a cautionné cette politique depuis plus d’une décennie ? Nombreux sont les citoyens qui ont été trompés par son mimétisme et sa comédie pour imiter feu Boumediene lors de sa première campagne électorale. Ils n’espéraient aucunement revenir au dirigisme Boumediéniste mais se disaient, enfin un homme politique qui a hérité de son aura sans gant ferré. Il nous fera l’économie d’un débat d’école stérile entre les deux tendances technocrates.
Malheureusement, personne ne doutait ni pouvait remarquer le moindre signe suspect chez l’habile roitelet. « On ne né pas roi, on le devient par hallucination collective ». Son mode de gouvernance basé sur la cooptation, le régionalisme, le règlement de comptes auxquels s’ajoutent ses traits de caractère particuliers comme le narcissisme, la vanité et la paranoïa ont favorisé la création d’un système qui fait de lui un atome social autour duquel gravitent les opportunistes de tout bord. Ils s’accommodent dans cette espèce de modus vivendi pour la simple raison que chacun y trouve son compte.
Même les partis de la coalition dont l’existence est censée noyer le poisson à défaut de le pêcher, ânonnent, en pamoison, à longueur de journée : «Le seul responsable, c’est lui, nous, nous obéissons puisque nous n’avons aucun programme, aucune idée et encore moins des propositions. » Ceci explique son comportement public, voir insultant envers certains de ses ministres. Ils encaissent, baissent la tête, mais c’est les règles du clan qui l’emportent. Cette situation pouvait durer indéfiniment tant que le noyau central tenait et supportait ce sociogramme mais la maladie sérieuse de Bouteflika a changé les donnes en affolant les membres du clan.
Catastrophe pire que pour celle de Boumediene où les aberrations de l’acharnement thérapeutique sous perfusion politique n’auraient pas hésité un seul instant à sacrifier toute la populace si le miracle en dépendait. Le résultat est que au quatrième mandat le chef a perdu son « immortalité » et sa bonne santé, le cannibalisme de son entourage veut maintenir le statu quo quelle qu’en soit l’issue. Ce mode de gouvernance, en vigueur depuis plus de cinq ans explique la bipolarité dans les décisions que relèvent certains partis politiques ; et surtout ce suspense autour de sa candidature pour un cinquième mandat que les médias spéculent sur son annonce officielle depuis août 2018.
Les forces extraconstitutionnelles ont voulu par impunité humilier le peuple et le toucher dans sa dignité exactement comme a fait le colon. Ils étalaient leurs richesses indûment acquises jusqu’au jour où ils ont tenté carrément de présenter un candidat malade, absent du pays pour en faire un président par procuration. C’est la goutte qui a fait déborder le vase et créé le déclic pour les revendications d’aujourd’hui soit le départ de tout le système et sa clientèle. Ce sont là les hypothèses qui détermineront les objectifs de la transition revendiquée.
2- Pourquoi les générations d’avant ont raté la fondation d’un Etat de droit
Ce serait aussi un leurre de faire croire que la première constitution algérienne validée par plus de 300 délégués du FLN proposés par Ahmed Ben Bella au cinéma Majestic et qui a été fortement contestée par ce qu’on identifié en ces temps le courant révolutionnaire de ce parti représenté par Mohamed Boudiaf, Hocine Ait Ahmed et Krim Belkacem, avait touché les fondamentaux qui ont servi à bâtir la nation algérienne. La constitution algérienne a été toujours un enjeu de «pouvoir». La démission de Ferhat Abbas à l’époque était logique puisque le clan d’Oujda a confisqué le «pouvoir» de l’assemblée constituante qu’il préside pour la voter au lieu de la confier à un bureau politique.
3- L’équilibre de pouvoir et le verrouillage de la constitution devront être la priorité
C’est donc l’équilibre de « pouvoir » et le verrouillage de la constitution qui permettront d’enclencher le processus transitionnel vers un Etat de droit réel. En termes simples, les changements vers une deuxième république ne devraient pas toucher les constantes nationales mais revoir les mécanismes de l’équilibre du pouvoir et surtout le verrouillage de la constitution pour la protéger contre la violation au gré des circonstances et des hommes.
Revenir à une nouvelle constituante, c’est rejeter ce qu’il y a de positif dans l’existant et ouvrir la boîte de Pandore qui permettra aux virus de s’incruster dans cette cohésion populaire formidable. Il ne s’agit pas de revoir la nation dans son histoire, sa langue, sa culture et ses frontières mais les règles de son administration et de sa gestion qui sont actuellement en cause. Les conditions favorables pour refonder un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit.
L’environnement de gouvernance contiendrait des normes juridiques hiérarchisées de telle sorte que cette puissance publique s’en trouve balisée. Un tel système assurera une justice «juste et équitable» avec une juridiction indépendante. La souveraineté appartient au peuple, lequel peuple exerce le pouvoir public directement ou par l’intermédiaire de ses représentants qu’il aura à choisir lui-même en toute liberté et transparence.
Dans cette nouvelle configuration politique, la jeunesse d’aujourd’hui longtemps marginalisée, on favorise l’initiative citoyenne pour en faire des citoyens socialement présents, intéressés au corps social.
4 – C’est un processus long mais ses résultats sont assurés
Il s’agit là de tout un processus qui prendra du temps et reste unique dans son modèle de manière à n’attendre de l’aide d’aucun pays limitrophe voire africain ou arabe. La Tunisie par exemple qui a débattu sa nouvelle constitution pendant plus deux ans pour obtenir un semblant de consensus le 27 janvier 2017 sans pour autant étoffer entièrement les différents aspects des libertés individuelles et l’égalité qui ont fait l’objet d’une commission ad hoc dit «des Libertés Individuelles et de l’égalité (COLIBE)», installée par un président « très peu consensuel » le 13 août 2017 qui a pris plus d’une année de discussion.
Il est donc urgent que les auteurs des feuilles de route revoient leurs copies pour oublier Bouteflika, les 3 B et enfin s’inscrire dans une option durable pour au moins un mandat présidentielle afin entre autres de ne pas entraver la démarche économique dont les réformes ne pourront en aucun cas attendre jusqu’à la mise en œuvre de ces changements revendiqués par tous les Algériens. Les glissements vers un retour en arrière se situent justement à ce niveau et l’Algérie n’en est pas à sa première expérience.