Mardi 30 janvier 2018
Les sept raisons de la distorsion du dinar
Enième paradoxe : Le ministre du Commerce, la gestion de la monnaie qui relève de la sécurité nationale, étant des prérogatives du gouverneur de la Banque d’Algérie, a affirmé le 28 janvier 2018 lors d’une émission de radio que le cours véritable du dinar est reflété par celui du marché parallèle. Comme un ex-Secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et des Statistiques le 13 décembre 2017, avait affirmé la nécessité de lancer un nouveau dinar afin de permettre d’absorber toute la de monétaire qui circule dans l’informel. Il faut atténuer ces propos, (autant que sur les surfacturations, qui implique tous les départements ministériels), ne devant jamais jouer avec la monnaie, reflet d’un rapport social complexe pouvant entraîner une perte de confiance et faire fuir les investisseurs potentiels créateur de valeur ajoutée du fait de l’incertitude de l’économie nationale.
Le 30 janvier 2018 , nous avons la cotation de 113,439 dinars un dollar et 141,058 dinars un euro, avec un cours du Brent dans la matinée du 30/01/2018 de 68,81 dollars et le Wit 64,97 contre 5 dinars un dollar en 1974 (alors administré) à 124 dinars un euro en novembre 2017. Or la balance commerciale entre 2016/2017 est toujours dominée par les exportations d’hydrocarbures avec les dérivées représentant 97/98% contredisant les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations, Je considère que l’analyse du ministre du Commerce doit être atténuée, devant reposer sur une analyse objective, pouvant conduire à des erreurs de politique économique avec des pertes se chiffrant en milliards de dollars. L’on doit, sans précipitation, analyser la réalité de l’économie algérienne qui reflète les fondements de la valeur d’une monnaie, devant cerner les causes essentielles de la distorsion entre la valeur officielle du dinar et celle du le marché, de s’attaquer à l’essence du mal et non aux apparences.
1.-Les sept raisons du dérapage du dinar
Premièrement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est l’une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 6% du PIB en 2017 et sur ces 6% environ 95/97% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcoûts. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une dépense fonctionnement et équipement évalué entre 800/de 1000 milliards de dollars entre 2000/2017 (pas de bilan réel à ce jour) n’ayant pas dépassé 3% alors qu’il aurait dû dépasser les 8/10%, est source d’inflation.
Deuxièmement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l’offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant donc, comme amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle.
Troisièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge /blanche- marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Il existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques, expliquant le résultat mitigé pour ne pas dire échec de la mesure de l’ex ministre des finances d’intégrer ce capital argent au sein de la sphère réelle.
Cinquièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc, instauré en 2009, a pénalisé les petites et moyennes entreprises et n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 ,tout en renforçant les tendances des monopoleurs importateurs. Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à 4 millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes, mais cela reste insuffisant. Concernant le financement non conventionnel, ( le Ministre des finances annonce 17 milliards de dollars pour 2018) en cas de non maitrise , alimentant les segments non productifs, il peut engendrer comme cela a été souligné récemment par tous les rapports internationaux( Fmi- Banque mondiale -voir également nos contributions 2017) , une inflation qui risque de conduire à la dépréciation du dinar tant sur le marché officiel que parallèle.
Sixièmement, beaucoup d’Algériens et d’étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de ceux qui possèdent de grosses fortunes.
Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, achètent les devises sur le marché informel.
2.-Asseoir une économie productive et une appréciation du dinar
Si les réserves de change, richesse virtuelle qu’il s’agit de transformer en investissement productif, due non pas au travail, mais à la rente des hydrocarbures, étaient de 10/20 milliards de dollars , qui ont clôturé à moins de 100 milliards de dollars fin 2017 contre 195 milliards de dollars fin 1994, l’euro s’échangerait au cours officiel à plus de 200 dinars un euro et le cours sur le marché parallèle entre 250/300 dinars un euro, cotation sur ce marché , fonction de l’offre et de la demande pour un petit marché cloisonné variant , existant des données contradictoires, entre 2/3 milliards de dollars /an., certains avançant 4/5 milliards de dollars contre une sortie de devises légales entre 2016/2017 de 58/60 milliards de dollars. Aussi, le marché parallèle joue le rôle d’assouplisseur d’un contrôle de change trop rigide. Le montant est extrêmement faible en comparaison avec les sorties de devises. officielles entre 58/60 milliards de dollars (2016/2017) comprenant les importations de biens 45/46 milliards de dollars entre 2016/2017 montrant la limite des mesures bureaucratiques de restriction aux importations, , de services ( entre 10/11 milliards de dollar s/an) et les sorties légaux de capitaux des compagnies étrangères. Le dérapage du dinar (une dévaluation doit être avalisée en conseil des ministres) sur le marché officiel entre 1974/ fin 2017 contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. En Algérie le dérapage du dinar a produit l’effet contraire, les mesures monétaires sans les synchroniser à la sphère réelle au sein d’une vision stratégique tenant compte de l’évolution du monde, étant sans effets. C’est que les différents gouvernements successifs ont dérapé le dinar (la Banque d’Algérie parle de glissement) pour voiler l’importance du déficit budgétaire, biaisant les comptes publics. On voit que lorsque le cours du dollar baisse et le cours de l’euro hausse, la Banque d’Algérie dévalue, pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que de l’euro alors que le dinar, dans une véritable économie de marché, le dinar devrait s’apprécier par rapport à la monnaie internationale qui se déprécie. Pourquoi cet artifice comptable ? La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures, et la fiscalité ordinaire à travers la taxe des produits importés, sachant que les besoins des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% sont importés. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant, par exemple, de 75 DA un dollar à 115/116 dinars un dollar. Idem pour les importations libellées en monnaie étrangère, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l’inflation intérieure. Tout cela voile l’efficacité réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique, et avait gonflé par le passé artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars qui s’est épuisé fin 2017. L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar où le cours officiel se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle traduisant le cours réel du marché. Aussi, les mesures bureaucratiques sans vision stratégique, comme cette analyse de l’actuel Ministre du commerce, vision purement monétaire auront les effets négatifs en accroissant la méfiance vis à vis de la monnaie nationale, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. Car la monnaie constitue avant tout un rapport social fonction du niveau de développement économique et social, traduisant la confiance ou pas entre l’Etat et le citoyen. Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’un tissu productif local qui ne repose pas sur l’économie productive qui en ce XXIème siècle repose sur l’économie de la connaissance. Combien d’entreprises algériennes privées et publiques font de la recherche développement R-D) ? Je conseille au gouvernement de concilier équité et flexibilité du marché du travail et à mes amis du patronat non de distribuer de l’argent pour certains jeunes mais de favoriser la formation tenant compte des nouvelles mutations technologiques mondiales.
3.- En résumé, il y a lieu d’éviter de la part de certains responsables des déclarations sans analyses objectives, déclarations qui peuvent engendrer des tensions sociales inutiles et accroître les tensions inflationnistes. Un ministre du commerce qui parle au nom du Ministre des finances de la politique monétaire, de la loi de finances où ne serait pas prévu une loi de finances complémentaire. Chaque ministre doit se cantonner dans ses prérogatives selon l’adage « chacun son métier » et les vaches seront bien gardés » La surveillance de la cotation de la monnaie relève exclusivement de la banque d’Algérie, institution sous la haute autorité de son Excellence Mr le Président de la République et non de l’exécutif. L’affermissement du dinar passe par des entreprises performantes innovantes (coûts –qualité) privées locales/internationales, entreprises publiques sans distinction en levant toutes les entraves bureaucratiques. . Cela implique la réforme des institutions, du système financier, du système socio-éducatif et du foncier. Il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les militaires, les tactiques devant s’insérer au sein d’objectifs stratégiques. Les mesures monétaires proposées seront inefficaces devant avant tout s’attaquer au fonctionnement de la société. L’Algérie sera ce que les Algériens voudront qu’elle soit. La nouvelle vision stratégique pour améliorer la valeur du dinar sera de privilégier, l’économie de la connaissance, le développement des libertés, l’efficacité des institutions, en fait la bonne gouvernance condition d’un développement durable.