Jeudi 2 juillet 2020
Les autorités algériennes indifférentes au sort des restes mortuaires de nos résistants (*)
Nous republions cet entretien avec Ali Belkadi donné le 7 juillet 2011 au Matindz sur l’affaire des crânes de résistants algériens. Lecture.
Le chercheur Ali Farid Belkadi se bat depuis pas mal de temps pour que les restes mortuaires de braves résistants algériens conservés à Paris soient restitués à l’Algérie, où ils reposeront enfin en paix. Mais les autorités algériennes, particulièrement le ministère des Moudjahidine, ne montre aucun empressement voire intérêt à les rapatrier. Entretien.
Comment avez-vous découverts ces restes d’anciens résistants ?
Il me semble avoir découvert un charnier à Paris. J’étais à la recherche de Mohamed Lamdjad Ben Abdelmalek, alias Boubaghla, et j’ai découvert un ossuaire scientifiquement raffiné, une nécropole furtive et confidentielle au centre de Paris. Le MNHN de Paris, qui a pour vocation de faire connaître l’Humanité dans sa diversité anthopologie, historique et culturelle, du fait de ses collections ethniques qui resteront à jamais prohibées au public, donne plutôt l’impression d’être une nécropole furtive et sophistiquée. On peut s’étonner du silence général observé à ce sujet par les anthropologues, les érudits, les humanistes, et les donneurs de leçons de droit et de démocratie aux pays du sud, qui laissent se perpétuer au XXI° siècle cet engouement barbare pour des restes humains naturalisés. Ces attitudes culturelles sont déconcertantes.
Pour répondre à votre question : les restes mortuaires de résistants algériens sont au Muséum de Paris depuis 1880. Ils proviennent d’une donation effectuée par la famille du Dr Vital, un médecin-militaire qui dirigea l’hôpital de Constantine pendant de longues années, il est décédé en 1874. Sa famille qui ne savait pas quoi faire des crânes, de Boubaghla, de Bouziane, d’Al-Darkaoui, en fit don au Muséum de Paris. Le Dr Vital fut le grand ami d’Ismaël Urbain, un mulâtre de Cayenne, qui se convertit à l’islam en Égypte. A part le Dr Vital, il y eût d’autres donateurs au Muséum de Paris.
Combien y a-t-il de pièces exactement ?
Je recherchai la tête de Boubaghla, et avec l’aide des équipes du MNHN de Paris, dont M Philippe Mennecier, j’ai fini par relever l’identité de trente-huit sujets algériens, leur origine, les numéros sous lesquels ils sont inscrits au MNHN, le type d’ossements, avec ou sans mandibule (mâchoire inférieure) etc. La collection Vital, privée, s’élève à cinq sujets, qui sont : 1°) Bou-baghla, appelé « Le Borgne » dans la base de données du MNHN. 2°) Bou-Hmara, 3°) Si Mokhtar ben Si Kouider Al-Titraoui, 4°) Amar Ben Kedida, 5°) le cheikh Bou Ziane, et 6°) Si Moussa (Hadj Moussa), compagnon de Bou Ziane. Issa Al-Hammadi, compagnon de Bou-baghla provient d’un autre don. Contrairement aux autres résistants, dont le MNHN conserve les crânes secs et décharnés, la tête d’Al-Hamadi est momifiée, elle se présente comme une tête maorie. Les dons du Dr Fuzier, comprennent une tête affublée d’un titre étrange : « la sorcière de Blida »…sans autre précision, cette dernière tête est entrée au musée en 1854, çà c’est autre chose. On note la présence d’une tête de « chef kabyle », sans autre précision ni d’origine, ni de nom, c’est un don du Dr Cailliot, un autre collectionneur. On retrouve le crâne d’un certain Ahmed, sans autre précision, un don de Bory de Saint Vincent. Il y a un Yahia Bensaïd, don du Dr Mondot. Brahim ben Mohamed. Amar ben Sliman. Ali Kalifa ben Mohammed. Braham ben Ali. Saïd Hamoud. Brahim ben Mohamed. Le squelette entier d’un certain Belkacem ben Mohamed fait partie des collections du musée. La liste est longue et impressionnante.
Quel est l’état de conservation et comment sont-ils conservés ?
Les crânes sont protégés contre les vecteurs de décomposition physique, température,poussière, lumière et hygrométrie. M. P. Mennecier, qui gère ces collections, m’a apporté des précisions concernant la conservation de ces restes dans des boîtes de rangement. Depuis que j’ai écrit qu’ils sont rangés dans des boites à souliers, M. Philippe Mennecier quelque peu vexé de cette tournure de phrase, m’a écrit : « Je me suis battu pour que tous les restes humains soient conservés dignement, selon les règles éthiques (de l’ICOM notamment), (NDLR : le sigle ICOM signifie International Council Of Muséums, Conseil international des musées) et c’est la raison pour laquelle j’ai fait faire ces boîtes sur mesures, en matériau neutre (non acide), par une entreprise spécialisée dans la conservation, boîtes qui ont coûté très cher mais dont l’achat a été considéré comme prioritaire par la Direction du Muséum. Ce ne sont donc pas de vulgaires cartons à chaussures, mais une manière d’écrin qui les soustrait aux regards indiscrets et qui établit une sorte d’égalité post mortem. Par ailleurs, j’ai soustrait à la recherche les pièces nommément identifiées, qui sont conservées dans des armoires fortes, comme vous avez pu le constater : nous les conservons pour le mieux tant que l’État n’en a pas décidé autrement. Nous sommes malgré nous conservateurs de reliques héritées d’un passé peu reluisant. Nous ne pouvons qu’en assurer la transmission, dans l’espoir que chaque nation en demande le rapatriement ou s’accorde avec la nôtre sur les moyens de partager ce qui relève du patrimoine scientifique matériel et immatériel. Personnellement, je serais favorable à des démarches volontaires de la part de l’État. Je pense que cela se fera un jour, quand les autorités auront compris qu’il vaut mieux traiter à l’amiable que dans l’urgence ou sous la pression des ressentiments légitimes »…
J’ai de la considération pour les responsables du MNHN de Paris qui ont facilité mes recherches, même si l’accès à ces collections du Muséum n’a pas été chose aisée. Les autorités algériennes doivent prendre leurs responsabilités. Je ne veux pas me transformer en croque-mort. J’ai entrepris cette tâche par pure charité humaine, en mettant entre parenthèses ma participation à plusieurs colloques universitaires, et en négligeant mes travaux dans le domaine de l’antiquité.
Hormis les têtes maoris, avez-vous connaissance d’autres restes mortuaires ?
Il n’y a pas que des Algériens ou des maoris au Muséum de Paris, le crâne du célèbre physicien et philosophe français Descartes, s’y trouve aussi. Après bien des périples, son crâne a été remis au début du XIX° siècle par un savant suédois à son collègue français Cuvier. La journaliste Clémentine Portier-Kaltenbach, écrit au sujet de ce crâne attribué à Descartes : « on n’est même pas sûr de l’authenticité de ce crâne, car il existe au total cinq crânes attribués à Descartes ». La dépouille sans tête de Descartes est inhumée à l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris. C’était la façon de faire de l’anthropologie de l’époque. Dans l’affaire qui nous occupe, seul le contexte politique répressif colonial est différent.
J’ai adressé des courriers électroniques à des collègues chercheurs tunisiens, pour les aviser que des restes mortuaires d’un « indigène » de leur pays, sont détenus au MNHN de Paris. J’attends leur réponse, ils sont peut-être occupés à humer les fragrances de la révolution de jasmin. Voici ce que m’écrit Philippe Mennecier à ce propos de ce sujet qui appartient à une grande tribu tunisienne : « S’agissant de notre seul reste d’un Tunisien nommément identifié, je suis, bien entendu, prêt à recevoir qui nous en fera la demande ».
Il y a également des restes sénégalais, les responsables du MNHN ont contacté un chercheur de ce pays, qui s’en occupe désormais. D’autres restes mortuaires de plusieurs sujets de différents pays africains se trouvent dans le même musée. Dont un ancien roi subsaharien. C’est ainsi que le voulait l’époque et les rouages d’opinion dont faisait partie les ecclésiastiques, les militaires, les magistrats locaux, les personnalités coloniales, assistés de leurs amis indigènes, dont Al-Mokrani, Benghana ou Ben Ali Cherif. Tout cela permet de saisir à travers le muséum, le reflet de la pensée sociale de l’époque envers leurs sujets « indigènes».
Que pensent les responsables du musée des ces restes humains ?
Il s’agit d’une époque cruelle et lointaine. La sauvagerie de la mission civilisatrice française est implicitement affirmée par le général Marcel Bigeard, qui, malgré tout ce qu’il a fait aux Algériens, a fini par se dédire et écrire en 1995 : « Si j’avais été algérien, j’aurais été fellouze ». C’est clair. Bigeard nous assure que, n’eut été son origine française métropolitaine, il aurait assisté le colonel Amirouche, Abbane Ramdane ou Ben-Mhidi dans leur combat contre le colonialisme. Que penser de la prose de ces anciens textes de la France coloniale : « Les oreilles indigènes valurent longtemps encore 10 francs la paire, et leurs femmes demeurèrent, comme eux, d’ailleurs, un gibier parfait ». La chasse à l’homme; guerres d’Algérie, Le Comte d’Hérisson, éd. P. Ollendorff, 1891, p. 349. A l’époque de Boubaghla Le Correspondant écrivait : « La France se trouve vis-à-vis des Arabes d’Algérie dans une situation dont elle ne peut sortir que par deux issues : la conversion des musulmans ou l’extermination plus ou moins lente de la race indigène. La fusion pacifique des musulmans et des chrétiens n’est qu’un rêve irréalisable ». Le Correspondant, éd. Sagnier et Bray, 1851, t. 28, p. 114.
Il n’y a pas eu conversion des musulmans et encore moins de fusions entre les différentes populations vivant sur la terre algérienne. Par contre il y eut plusieurs formes d’exterminations. Réduire un peuple à la misère en est une. Ne pas lui permettre d’accéder au savoir est la pire des exterminations. En fait, quand on y réfléchit bien, la tradition orale algérienne, malgré ses richesses phénoménales, est une forme d’extermination, une vicissitude camouflée d’un savoir ancestral dénaturé, altéré de génération en génération, plus ou moins sauvegardé par la mémoire collective nationale. C’est peut-être beau la tradition orale, mais c’est un simple radiotrottoir. Les Kabyles du Djurdjura sont incapables de relater sérieusement ce qui s’est passé dans la région de Koukou pendant deux siècles. Les plus jeunes s’en remettent aux écrits coloniaux. Il faut savoir lire et écrire pour prétendre avoir accès à la civilisation, radiotrottoir c’est du radotage, des rengaines vieillies. Les ancêtres des berbères savaient lire et écrire, ils disposaient d’une écriture qui a été préservée par les touaregs. Mais les touaregs ne savent plus quoi en faire. Les médecins algériens sont des milliers, ils soignent de jour, de nuit, qu’il vente ou qu’il pleuve. Ils n’ont pas appris leur métier sous couvert de la tradition orale. Il faut savoir endiguer tous ces folklores, à l’ère de Windows version 8 et du Web 3.0.
Avez-vous contacté les autorités algériennes, si oui quelle est leur réponse ?
Jusqu’à présent ces restes outragés de résistants à la colonisation, n’ont pas reçus l’hommage qu’ils méritent de la part des autorités algériennes. Ces autocrates sont comme les enfants qui caracolent sur un balai et qui se figurent qu’ils galopent sur un très beau cheval. Seul le ministre des moudjahidines y a fait une vague allusion, à chaud lors d’une conférence sur le 8 mai 1945, devant des journalistes. C’est le silence radio. Prenez les autorités religieuses, elles auraient pu appeler à une prière collective dans les mosquées du pays, pour le repos de l’âme de ces dizaines de résistants dont les têtes gisent toujours dans des boîtes dans un musée sacrilège « impie », selon la terminologie religieuse. Dans d’autres pays des curés ou des rabbins auraient allumé des bougies, ils se seraient recueillis, ils auraient fait des processions silencieuses en récitant des hymnes d’adoration, pas de çà chez nous.
J’ai adressé un courrier recommandé à « notre » ambassadeur à Paris. J’ai téléphoné, j’ai envoyé des e-mails, Je n’ai eu aucune réponse. Il n’y a rien à attendre de responsables versés dans la chose bureaucratique. Les algériens ont besoin d’individualités politiques à l’intelligence ouverte, larges de cœur et d’esprit, certains de nos responsables manquent d’âme et de cœur, il leur faudrait la dimension humaine affective pour accéder à la compréhension des grands problèmes. L’histoire ne se borne pas aux annales économiques ou politiques, les décideurs ont tout simplement perdu la trace des symboles fondateurs de la république algérienne. Boubaghla, Bouziane, Al-Hamadi et Moussa Al-Darkaoui ont été sortis des pages d’histoire, désormais ils sont hors du musée, ils sont redevenus vivaces dans l’imagerie populaire qui découvre l’existence d’indomptables héros de la cause nationale. Comme tous je suis curieux de la suite des évènements, comment nos gouvernants vont-ils gérer cette affaire ?
Qu’en est-il des autorités françaises ?
J’ai écrit d’innombrables lettres aux plus hautes autorités en France. J’ai téléphoné. J’ai attendu. Je me suis déplacé. On m’a répondu. Chez nous, la distinction des manières est habituellement réservée aux locuteurs qui distribuent les largesses, on dédaigne habituellement les solliciteurs. Un exemple, je me souviens lorsque j’ai débuté l’étude de l’histoire, j’avais besoin d’accéder à des bibliothèques spécialisées, dont la bibliothèque de L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. En tant que chercheur étranger il fallait que je sois recommandé par mon ambassade ou le ministère des affaires étrangères de mon pays. Je me suis adressé à l’ambassade d’Algérie de l’époque, j’ai obtenu un refus à peu prés poli. J’ai écrit à Jean Leclant, un distingué égyptologue, qui est en même temps le secrétaire perpétuel de L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, quelques jours plus tard, sans me connaître, sans jamais m’avoir vu ni rencontré, il m’a adressé une lettre de recommandation à l’attention de la conservatrice de la bibliothèque.
Vous appelez donc à leur restitution à l’Algérie ?
En France il y a un précédent, il s’agit de la fameuse loi du 4 janvier 2002, relative aux musées de France, dont fait partie le MNHN. Seule une commission de déclassement ou le vote d’une loi par le parlement français peuvent autoriser le transfert à Alger des restes mortuaires de Boubaghla et de ses compagnons d’infortune. C’est de cette manière que furent restitués à l’Afrique du Sud les restes de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote ». Encore une fois c’est à l’état algérien d’en faire la demande, ou aux descendants démontrés de Boubaghla ou des autres martyrs. A la mort de Boubaghla ses descendants se sont installés à la Mecque. En tant que simple découvreur de ces restes je ne peux rien demander aux autorités françaises, en mon nom propre Je voudrai ajouter qu’aucune démarche n’a jamais été effectuée auparavant dans les collections anthropologiques du MNHN concernant ces restes mortuaires. Cela m’a été certifié par M. P. Mennecier.
Et l’Homme de Ternifine
Un seul Algérien s’est manifesté au MNHN de Paris, il y a quelques années, pour demander la restitution à l’Algérie du crâne préhistorique de l’«l’homme de Ternifine», (Ternifine, ex-palikao) qui fut découvert en 1954 par Camille Arambourg. L’Homo erectus de Ternifine, s’était lancé résolument à la conquête de l’Europe et de l’Asie, vers -500.000. Ce sont ces anciens compatriotes qui établirent les premiers habitats dans le monde. Ce crâne se trouve toujours au MNHN de Paris.
Les repères biographiques
Je suis né à Tagara sur les hauteurs d’Alger, à l’emplacement de l’Hôtel Aurassi. La maison où je suis né a été démolie pour les besoins de la construction de l’hôtel et des jardins de l’Aurassi. Je me souviens des joutes interminables de football qui se déroulaient sur l’immense terrain vague, entre des groupes qui venaient de la Casbah, de Belcourt, d’El-Biar, de tous les quartiers populaires d’Alger. J’étais enfant lorsque la guerre de libération a éclaté. A la libération, j’ai fait l’École de l’Air de Cap Matifou puis l’École de l’aéronautique et de La météorologie, qui se trouvait alors à Dar El-Beida. Les premiers commandants de bord d’Air Algérie sont issus de ces deux promotions. Parmi lesquels un ex-PDG d’Air Algérie, récemment décédé. J’ai choisi la météorologie, où j’ai servi pendant dix ans. Un domaine de la physique qui fait constamment appel aux énoncés de la trigonométrie pour déceler les phénomènes atmosphériques en altitude, et dépister la formation des nuages, leur constitution, leur évolution, les genres, les espèces, les variétés et les particularités. Ces choses complexes ont fait partie de mon quotidien pendant dix ans.
J’ai entrepris des études d’Histoire. J’ai tourné la page du « temps météorologique », pour compulser le temps tout court, et analyser les événements de la haute antiquité. Le domaine de l’Histoire fut pour moi comme une seconde naissance, une délivrance intellectuelle.Je collabore aux revues et publications. Je publie mes travaux dans les Actes des colloques universitaires. Je m’intéresse à des matières comme les inscriptions libyques et le monde phénicien.