Dimanche 19 janvier 2020
Conférence de Berlin sur la Libye : la position d’Alger fonction de ses attributs !
« L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.» Aristote
Le positionnement stratégique des différents pays dans le conflit libyen oblige l’Algérie à prendre une position en adéquation avec ses attributs, à Berlin, tout en rappelant sa doctrine non-interventionniste dans les affaires internes d’un pays souverain. Ses contacts diplomatiques avec pratiquement tous les protagonistes libyens devraient lui permettre de se positionner comme « le médiateur » privilégié, dans ce conflit, un rôle à la hauteur de son poids sécuritaire, démographique et géographique dans la région.
Avec des avis divergents au sein même du sérail sécuritaire algérien, sur les options à prendre dans ce conflit, ainsi que la situation politico-économique délétère du pays, rappellent à Alger son grand intérêt à garder un véritable levier de négociation avec tous les intervenants dans ce conflit afin d’assurer ses arrières et récolter ainsi les dividendes nécessaires au moment opportun.
Grande instigatrice de la chute du colonel Mouammar Kadhafi, la France a perdu pied sur le dossier libyen et voit ainsi son souhait de régler ce conflit a l’Elysée fondre sous le chapiteau russe.
Berlin, qui a su garder une position neutre dans le conflit avec son refus sur l’intervention militaire en 2011, tente aujourd’hui de sauver la mise à une Europe morcelée qui tente d’éviter à tout prix un scénario syrien à ses portes. Elle craint un envahissement massif de migrants à ses frontières qui, aujourd’hui, pèserait beaucoup plus que les dividendes économiques d’un positionnement stratégique favorable.
D’un autre côté, le couple russo-turque soutient les deux belligérants de l’Est et de l’Ouest libyen. Poutine a même réussi à imposer un cessez-le-feu, à Moscou, en attendant un règlement du conflit à Berlin. Moscou, avec son retour en force sur la scène internationale, se positionne subtilement en Afrique et s’assure des débouchées économiques futures.
La Russie est le premier fournisseur en gaz de l’Europe. Une position que tentent de saper les Etats-Unis lorsque Moscou y tient mordicus tout en assurant un positionnement de premier plan dans cette nouvelle géostratégie énergétique qui se dessine sur le bassin méditerranéen.
La Turquie, quant à elle, avoue clairement ses intentions énergétiques et vise à créer une zone économique exclusive en Méditerranée… ce qui exalte la Grèce et Chypre, tous deux soutenus par l’union européenne, qui ont des différends maritimes et territoriaux avec la Turquie. Enfin, l’Egypte qui digère mal cet accord turco-libyen qui menacerait directement ses exportations gazières vers l’Europe (rappelant que le gaz naturel en question provient des champs de Tamar et de Léviathan !).
L’Algérie et la Tunisie voisine ne voudraient absolument pas voir un bourbier à leurs frontières. L’arrivée de l’armée turque, des mercenaires et djihadistes armées de tous bords, de trafiquants d’armes et passeurs de migrants, etc… représentent un sérieux problème sécuritaire pour la région. Cette crise à la frontière algérienne, qui dure depuis 2011, coûte aussi excessivement cher à nos forces armées financièrement et en mobilisation de militaires. Avec une situation économique pour le moins fragile, il devient impératif pour l’Algérie de faire cesser le conflit sachant que le budget de la sécurité est également sollicité pour sécuriser les frontières sud avec le Mali et le Niger…
Imbroglio géostratégique
La Russie et la Turquie s’opposent à l’Occident en marginalisant particulièrement les diplomaties européennes. Des européens discrédités après leurs vives condamnations de l’implication turque du côté du gouvernement de l’union alors que l’interventionnisme des Émirats arabes unis aux côtés de Haftar se faisait dans un silence complice… ce qui a grandement ouvert les portes au retour de Moscou dans l’arène.
Après les premières réticences de Berlin, l’Algérie a été officiellement invitée et sera donc présente aux cotés des cinq membres du conseil de sécurité, de l’Allemagne, de la Turquie, de l’Italie, de l’Égypte et des Émirats arabes unis. Quel sera le rôle de la diplomatie algérienne dans ce conflit ? Comment prévaloir ses intérêts dans cet imbroglio géostratégique, particulièrement dans un climat politique et social interne chancelant ?
Une situation délicate tant les avis divergent au sein même de l’appareil sécuritaire de l’état algérien. Le climat politique et social interne délétère n’aide pas vraiment la diplomatie algérienne. Le président gagnerait la confiance du peuple algérien s’il endossait ses revendications, de suite, en l’annonçant publiquement et en établissant un plan-échéancier clair de son application. Ceci lui permettrait de clairement asseoir une plus grande légitimité, nationale et internationale, pour ainsi avoir les coudées franches pour statuer sur les différentes philosophies qui coexistent et s’opposent au sein de l’appareil sécuritaire algérien.
Les Etats invités aux pourparlers d’aujourd’hui dimanche sont divisés, chaque partie essayera de défendre ses intérêts. L’Algérie, tout en se positionnant comme « le médiateur » dans le conflit, devrait aussi prendre en considération sa situation politico-économique actuelle afin d’entrevoir des dividendes, au moment opportun, en gardant un levier de négociation avec toutes les parties.
Bien que l’establishment sécuritaire algérien montre un certain penchant pour le conservatisme militaire, version émiratie, il garde un excellent lien avec la Turquie, mais pas trop… car, la situation interne actuelle du pays l’y oblige ! En fait, les tenants du pouvoir en Algérie savent pertinemment qui pourrait épauler le pays avec ses besoins financiers ?
Alger a grandement besoin d’investissements directs étrangers en masse… aussi, de prêts directs auprès de pays amis pour combler les déficits récurrents – qui présentent un gros risque – et ne permettent pas à l’Algérie de faire des prêts sur les marchés financiers internationaux. La principale préoccupation est de garder un solide levier de négociation avec les parties en conflit, sans jamais remettre en question la sacro-sainte doctrine de non-ingérence. Il y va de l’intérêt de l’Algérie d’afficher sa complicité avec la Turquie, combiné à un alignement sous-jacent avec la Russie, sur le dossier libyen, et ainsi se mettre en position de force pour négocier avec les « amis » arabes qui renforcent le flan Est-libyen.
Quant aux Européens, avec la situation conflictuelle globale, ils ne peuvent se permettre une fragilisation de l’Algérie, un rempart salutaire contre une immigration sahélienne insoutenable.
Ben Youcef Bedouani, ingénieur, économiste