Vendredi 11 octobre 2019
Mobilisation extraordinaire de millions d’Algériens contre le régime
Marche à Alger le 11 octobre. Crédit photo : Zinedine Zebar.
A deux mois d’une présidentielle contestée, les Algériens ont à nouveau défilé massivement vendredi contre le pouvoir, défiant un climat de « répression croissante » dénoncé par des ONG, au lendemain d’une nouvelle arrestation d’une figure du mouvement de contestation.
Avant d’être rejoints par le flot des manifestants, de petits groupes étaient sortis dans la rue dans le centre d’Alger avant même la fin de la prière musulmane hebdomadaire, qui a marqué comme d’habitude le coup d’envoi du 34e vendredi consécutif de manifestation du « Hirak », mouvement inédit de contestation né le 22 février en Algérie.
Le déploiement policier massif et la multiplication récente des arrestations n’ont pas dissuadé les protestataires, qui étaient au moins aussi nombreux que les semaines précédentes. En fin de journée, la police a commencé à disperser les manifestants dans le calme.
Médias en ligne et réseaux sociaux ont également signalé des cortèges importants dans plusieurs autres villes du pays.
A Alger, des slogans ont visé les policiers, traités notamment « d’oppresseurs des étudiants », pour avoir empêché pour la première fois mardi les étudiants de manifester dans la capitale, comme ils le font chaque semaine depuis février.
« Oh Gaïd Salah, pas de vote cette année ! », ont aussi scandé les manifestants algérois, fustigeant une nouvelle fois la présidentielle que le pouvoir, de facto aux mains du haut commandement militaire incarné par le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, entend organiser à tout prix le 12 décembre.
A deux mois du scrutin destiné à élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika, que la rue a contraint à quitter le pouvoir en avril après 20 ans au pouvoir, les positions des deux camps sont plus que jamais irréconciliables.
« Je n’ai pas peur »
Le général Gaïd Salah présente l’élection comme la seule voie de sortie de crise tandis que la contestation n’y voit qu’un moyen de perpétuation du « système » au pouvoir depuis l’indépendance en 1962.
« On ne rentrera pas chez nous et on ne votera pas tant que les règles du jeu sont dictées par les mêmes figures de la présidence de Bouteflika », assure Samira, 31 ans, visant notamment le chef d’état-major de l’armée.
Sur une banderole figuraient les portraits de nombreux militants, journalistes, étudiants ou citoyens appréhendés dans ou en marge des manifestations et placés en détention préventive ces derniers mois.
Plus de 80 personnes sont toujours derrière les barreaux, selon le Comité national de libération des détenus (CNLD) qui réclame la libération des « détenus politiques et d’opinion ». « Emmenez-nous tous en prison, le peuple ne reculera pas », ont crié en choeur les manifestants.
A 68 ans, Akli le répète crânement à l’AFP: « je n’ai pas peur, je marche chaque mardi et vendredi et je suis prêt à continuer (…) S’ils ont assez de place en prison qu’ils nous emprisonnent tous ».
Libertés « gravement menacées »
Président du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), association citoyenne très active au sein du « Hirak », Abdelouahab Fersaoui a à son tour été arrêté jeudi lors d’un rassemblement de soutien aux détenus.
« On n’a pas d’autres nouvelles de lui » depuis un coup de téléphone jeudi après-midi durant lequel il a indiqué se trouver dans « un commissariat, mais sans préciser lequel », a déclaré à l’AFP Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des Droits de l’Homme (LADDH).
« Le délai maximum de garde à vue –48 heures– expire samedi et on aura donc plus d’informations. On s’attend tous à un mandat de dépôt » contre lui, a-t-il ajouté. Il a rappelé que huit militants du RAJ étaient déjà sous les verrous sous des accusations d’atteinte à l’unité nationale ou d’incitation à un attroupement, passibles respectivement de 10 et un an d’emprisonnement.
Amnesty International a dénoncé le « climat de répression qui s’instaure en Algérie » avec la « recrudescence du nombre d’arrestations arbitraires de militants, journalistes, avocats, étudiants ou simples citoyens, en violation flagrante des droits garantis par la Constitution » –liberté d’expression, d’association ou droit de se réunir pacifiquement.
De son côté, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (Obs), partenariat entre la Fédération internationale des droits de l’Homme et l’Organisation mondiale contre la Torture, a estimé que les libertés d’expression et de manifestation étaient « gravement menacées » en Algérie par la « répression croissante » du « Hirak », marquée par une « vague d’arrestations arbitraires ».