Dimanche 6 octobre 2019
Octobre 1988: crise de légitimité ou échec de l’industrialisation?
Les événements d’octobre 1988 en Algérie ont marqué l’histoire postindépendance au double plan économique et politique. Cet article est une contribution modeste pour donner un avis sur ces événements qui n’ont pas toujours livré leurs secrets par le régime en place durant cette période.
Ainsi donc la question se pose s’il faut les interpréter comme une conséquence des problèmes socio-économiques vécus par la population, ou bien davantage une revendication politique contre le régime dictatorial durant cette période?
En 1987, l’économie algérienne était en crise, le régime imputait les facteurs externes comme cause principale de ces problèmes. En fait, l’industrialisation algérienne a souffert non seulement pour des raisons externes, mais aussi pour des raisons internes.
En ce qui concerne les facteurs externes l’Algérie a joué un rôle dynamique dans la défense d’un nouvel ordre économique international en faveur d’une stabilisation des prix des exportations des pays en développement et d’un meilleur accès aux technologies de pointe. En outre, l’Algérie a encouragé les accords commerciaux Sud-Sud parmi les PVD, mais cette solidarité ne s’est pas concrétisée dans des accords commerciaux mutuels concrets entre le mouvement des non-alignés ou le « groupe des 77 », par exemple.
Durant les années 1970 l’Algérie fut un élément prépondérant pour l’augmentation des prix du pétrole au sein de l’OPEP. En 1971 l’Etat a nationalisé l’industrie du pétrole dominée par la France depuis l’indépendance. Ensuite, plus tard, l’embargo du pétrole fut un évènement historique dans le monde puisque le prix du baril de pétrole avait quintuplé et a fait de l’Algérie une cible par les pays occidentaux depuis cette date.
En dehors de la flambée des prix du pétrole en 1973 qui a permis au pays des revenus importants, malheureusement cette embellie n’a pas duré longtemps, car les prix du pétrole ont chuté rapidement à partir des années 80. En plus, les liens commerciaux de l’Algérie étaient essentiellement liés aux pays capitalistes d’Europe et d’Amérique du Nord. Le même phénomène existait pour les prêts extérieurs et la majeure partie des contrats de mise en place des industries locales étaient avec les firmes multinationales.
Au plan économique, l’Etat protégeait les industries locales visant un double objectif: a) développer les industries naissantes et b) favoriser l’intégration horizontale et verticale dans l’ensemble du pays. Concernant le secteur industriel naissant durant les années 1970-78, il fut l’objet de réformes par le régime en restructurant les sociétés nationales en plusieurs entités.
Ce fut un raté à grande échelle qui a été suivi par une régression des capacités de production prévues dans les plans à travers tous les secteurs à partir de 1986. Pour faire face à la demande du marché les importations ont été décidées par l’Etat. Résultat: le secteur industriel algérien était sur le point de se désintégrer en 1988-1989.
La manne financière durant les années 1970 fut également utilisée par le régime pour lancer un PAP (Plan anti-pénurie) comprenant des importations de voitures de luxes, des produits électro-ménagers, des fruits exotiques, etc.
Parallèlement, le schéma d’industrialisation visait une progression de la production locale comme un moyen d’atteindre progressivement l’import-substitution tel que prévu dans les différents plans. C’est donc ainsi qu’on peut dire que certains facteurs internes liés à la politique économique menée par l’Etat ont conduit à une industrialisation défaillante.
Le secteur de l’agriculture, censé connaître une croissance intensive liée au processus d’industrialisation, a perdu son rôle traditionnel de générer des recettes d’exportation. Pire encore, l’Algérie importait des denrées alimentaires et devenait le plus gros importateur de blé au monde. En outre, le déclin de l’agriculture s’est également manifesté par des revenus ruraux faibles, un faible taux d’emploi et une faiblesse du logement et de l’éducation, qui ont accéléré et aggravé l’exode rural. La migration de la population locale était confrontée à des conditions plus difficiles car des problèmes similaires se posaient dans les zones urbaines, emplois, logements, soins médicaux, etc.
En effet, la population souffrait des conditions de vie difficiles en raison d’un pouvoir d’achat en baisse, d’une inflation plus élevée et d’un taux de chômage toujours élevé. Par exemple, l’indice des prix à la consommation qui a été l’année de base 1985, était de 26,9 en 1969, de 45,2 en 1977, de 127,9 en 1988 et de 163 en 1990; le taux de chômage était estimé à 18,7% de la population active en 1977 et à 24,8% en 1987; et le taux de croissance annuel du revenu par habitant était de 4,3% en 1965-1973, de 4,4% en 1973-1980, mais de moins 0,9% en 1980-1990.
Enfin, l’économie algérienne s’est lourdement endettée, ce qui a été et reste un obstacle majeur à son développement économique. Les recettes pétrolières qui assuraient la stabilité se sont dépréciées de plus de 40% à partir de 1987 et, comme elles représentaient plus de 98% du total des recettes d’exportation, il n’existait pas d’autres sources de devises que les prêts internationaux.
C’est ainsi que l’Algérie a été contrainte d’accepter un ensemble de mesures du FMI en juin 1991, puis un programme global d’ajustement structurel en 1994, programme auquel elle s’y était opposée sans succès depuis 1988.
A ce niveau, l’analyse a montré des aspects positifs et négatifs. Sur le plan positif, il y a bien eu un changement structurel qui a confirmé que l’Algérie était sur la voie de l’industrialisation en raison de la hausse relative du secteur industriel dans le PIB total. En outre, le programme d’industrialisation de la fin des années 60 et des années 70 a conduit à la création de nouveaux emplois pour une population principalement active dans l’agriculture.
À cet égard, l’État a largement contribué à accroître le nombre de salariés. La contribution additionnelle liée à l’emploi consistait en un programme de formation destiné à la main-d’œuvre locale consistant à institutionnaliser un transfert de technologie d’entreprises étrangères installées en Algérie.
Du côté négatif, le changement structurel qui a eu lieu n’a pas conduit à une croissance intensive du secteur agricole. La contribution de l’agriculture avait donc diminué par rapport au début des années 60 et l’Algérie importait de plus en plus de produits alimentaires.
Au cours des années 1980, ces lacunes auraient pu être corrigées puisque les objectifs déclarés de la nouvelle politique économique comprenaient la recherche d’une croissance intensive de l’agriculture, d’une gestion plus efficace des entreprises d’État, d’une stimulation des exportations de produits manufacturés et d’une augmentation du niveau de vie de la population. Malheureusement, les scores correspondant aux objectifs ci-dessus ont été inférieurs aux attentes malgré le discours officiel qui affirmait le contraire.
Par exemple, dans les zones du Sud, les zones rurales des Aurès et de la Kabylie il y avait un déficit flagrant d’écoles primaires et secondaires, d’hôpitaux, de logements, d’emplois hors agriculture et même le raccordement en gaz naturel des foyers a eut lieu beaucoup plus tard par rapport aux zones urbaines du nord du pays.
Sur le plan purement politique, mais cela depuis l’indépendance déjà, le FLN émergea comme seul parti imposé par la force et toute opposition fut soit emprisonnée soit envoyée en exil. Ainsi les figures historiques qui furent parmi les fondateurs du mouvement de libération comme feu Boudiaf et feu Ait Ahmed ont été exilés, la moudjahida Djamila Bouhired fut ignorée et aucun journaliste, écrivain, syndicaliste, etc. n’était autorisé ne serait-ce que prononcer leurs noms en public.
Le paysage politique se réduisait à un quadrillage systématique hermétique à toute contestation, par exemple un seul parti le FLN, un seul syndicat des travailleurs l’UGTA, un seul syndicat des femmes l’UNFA, une seule union des étudiants l’UNEA. Toutes ces organisations étaient simplement des satellites qui n’existaient que pour servir le régime moyennant avantages matériels, logements, emplois pour la famille et les amis, postes de responsabilité à tous les niveaux, etc. L’exception est venue de l’UNEA elle s’est manifestée contre le pouvoir durant les années 70 elle fut simplement dissoute et certains de ses leaders emprisonnés.
Lorsque la crise économique est devenue plus évidente à la suite de la forte chute des prix du pétrole en 1986, combinée à cela à la mal vie, la corruption, le manque de liberté à tous les niveaux et à tous les âges, tout cela a fini par ébranler les appareils de l’Etat à partir de cette date.
L’aboutissement d’une telle situation finit par éclater le 5 octobre 1988 par des manifestations monstres à Alger. Les manifestants ont visé principalement les symboles étatiques : les bureaux du FLN, les ministères, les mairies, les commissariats, etc.
L’autre indice relevé par tous les observateurs à cette date fut la composante des manifestants qui était principalement formée de jeunes. Le président Chadli Bendjedid décréta l’état d’urgence le 6 Octobre et chargea le Général Khaled Nezzar du maintien de l’ordre. Un triste bilan s’en est suivi puisque les services hospitaliers estiment qu’il y a eu plus de 500 morts et des milliers de blessés durant cette période.
Finalement, le régime dut céder face à un tel rejet par le peuple qui s’est dressé contre tout ce qu’il symbolisa comme monopole de la vie politique et économique et la répression féroce contre toute opposition. Le régime accepta finalement l’instauration du multipartisme.
En conclusion, il semble que la tournure de la stratégie économique vers la fin des années 1970 et les reformes qui ont été introduites durant les années 1980 ont au contraire affaibli la production locale. S’en est suivi le début du démantèlement du secteur industriel national et son bradage progressif au profit du capital privé local et même étranger. Résultat, un chômage accru, un exode rural accéléré et une économie à genou dépendant des importations de toutes catégories de produits. Ainsi, le régime, donc l’élément politique, fut un facteur de déstabilisation socio-économique qui a conduit la population à sortir massivement dans les rues contre tout ce qui symbolisa l’Etat. Ce fut ainsi un élément déterminant du soulèvement du 5 Octobre 1988. Durant ces manifestations qui ont ensuite été suivies dans d’autres régions un ancien ministre a qualifié un tel rejet du régime comme ‘un chahut de gamins’, pas de remord pour admettre que le régime a failli économiquement et surtout, en ce jour, politiquement. Feu Abdou B, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Révolution Africaine, écrivit : « Aucun ministre n’a eu l’audace de démissionner face à un tel rejet de l’Etat et demander pardon ».
Donc, les évènements d’Octobre 1988 sont par essence un évènement politique et son message, son contenu et son objectif ont mis à genou le régime qui a fini par céder et instaurer le multipartisme. Ce denier fut la victoire historique du 5 Octobre 1988.