Mercredi 28 août 2019
Dellys : Tedelès, la millénaire : un documentaire qui aliène l’histoire
Il ne suffisait pas d’un documentaire de 14 mois de réalisation avec des partenaires italiens et espagnols, pour que l’histoire de Tédeles la millénaire soit contenue, ni même représentée.
Programmé le 18 août dernier à Ksar Er-Ryass (Bastion 23), le film de M. Salah Bouflah a émerveillé une certaine presse, mais ne réussit pas à déplacer une autre qui a préféré zoomer sur la marche du 17 août qui a lieu à Dellys et dont deux citoyens ont été arrêtés au milieu de l’après-midi.
Entre la marche contestataire du Mouvement du 22 février et les quelques prises de vues en 3D, l’Histoire est certainement écrite par la voie des citoyens et citoyennes en guise d’une refondation d’un Etat national. Dellys n’échappe pas à ce tracé. Le travail du cinéaste et de son équipe de consultants en histoire et anthropo-archéologie, nous interroge sur le rapport subsistant entre le bien fondé de l’image de certains lieux historiques et le contenu même de l’histoire, sur une ville qui n’a pas de musée historique ou archéologique.
Le jour de la projection du documentaire, nous apprenons que l’un des membres de l’équipe consultante, un universitaire de Khemis-Miliana, M. Noureddine Chabani, a été vivement critiqué et avec égard de la part de certains Dellysiens, sur sa vision et sa démarche sélective de l’histoire de l’occupation française de Dellys.
Le travail de M. Bouflah suscitera de réelles réactions, mais aussi des débats passionnés sur une cité considérée aujourd’hui, à l’abondant, par ceux que l’on nomme « ses enfants de souche» face aux convois de « déracinés » implantés par les différents régimes de l’indépendance politique.
La ville de Dellys est une cité florale puisque son nom renvoie à une plante de nom berbère adles, diss, en latin, ampelodesmos tenax, une plante rugueuse. Elle est appelée aussi, Andalos, par les Vandales, la ville arabe Taddles est une défection historique le long de sa tumultueuse histoire. Elle finit par être figée dans des images qui occultent les interminables luttes entre citadins et campagnards, entre habitants des derbs Almoravides et Ottomans, et ceux des plaines agricoles des tribus Ouaguennoun et Taouarga.
Tout comme il est vrai que la petite ville portuaire subissait les convoitises des puissances maritimes et commerciales du bassin méditerranéen et même d’ailleurs. Elle fut aussi une cité fortifiée à l’encontre des razzias des tribus d’Iflissen Umlil (ceux de la mer) qui s’intéressaient à ses richesses et son histoire, n’est qu’une synthèse entre dominations, résistances et collaborations.
En 375 de l’ère chrétienne, le « roi » Igmazen des Issafliens a bien tenté de livrer le résistant anti-romain, Ifermen (Firmus). Ce dernier préféra le suicide que de devenir esclave à Rome.
La trahison et la collaboration est une longue histoire faites d’interdits et de tabous. Qu’importe que le feu anéantisse villes et villages, c’est la maison de Djeha qui doit être épargnée.
L’histoire la plus récente de Dellys, n’a rien à envier à celle de Bouna (Annaba) qui a vu, en 1837, débarquer 27 marins français dans une chaloupe sous les bienvenus, youyous et festins de la part des grandes familles de la citadelle annabie. La ville hannafite de Dellys n’est pas une exception, puisque la vieille et noble famille de Mouloud ben Hadj Allalou « n’a cessé de témoigner son loyalisme à la France » (L’Echo d’Alger du 30/01/1926) et la nomination de son petit-fils Khellil Allalou au grade de capitaine du 8e Spahis, n’est qu’un acte de reconnaissance pour tout ceux qui ont « facilité» la pénétration française en Algérie. Distributions de burnous de caïdats et autres Légions d’honneur ont fait le bonheur des républiques françaises et leurs administrations coloniales.
Aucun documentaire filmé n’osera mettre en image de telles vérités et la mémoire de nos chercheurs demeurera sélective afin de plaire aux humeurs des sultans et autres vizirs.
Nous parlons d’erreurs et exactions de nos aïeuls dans une situation historique très complexe, que nos petits-enfants soient épargnés en prenant conscience que tirer les leçons du passé ne fait qu’avancer vers un avenir prometteur. Il est encore malheureux de lire les propos du maréchal du crime, Bugeaud, décrire la ville de Dellys en 1844, du haut du fortin d’un Sidi Soussan, qui n’a jamais existé :
«La petite ville, ou plutôt la bourgade de Dellys, compte 110 maisons bâties en briques et couvertes en tuiles. D’anciennes ruines qui couvrent le sol et les hauteurs voisines prouvent l’antique importance de ce point de la côte, où les Romains avaient un grand poste militaire.»
les maisons de Dellys étaient groupées par 8 ou 9, au milieu de la ville règne une petite place, en forme de trapèze, écrit le génocidaire Bugeaud, en remarquant que la place était ombragée de figuiers.
«En rentrant du côté de l’est, on trouve à droite la mosquée, bâtisse assez vaste, composée de 8 nefs dont les arceaux supportent une toiture de chaume revêtue en briques rouges ; son minaret provenant des débris romains, menaces ruine lui-même. » (Bugeaud)
Le maréchal qui venait d’Alger, proclama la ville occupée, le 7 mai 1844 et sa création en tant que centre de population européenne le 2 février 1845. Promu en cercle administratif sous Napoléon III « Le Petit », Dellys commandait les régions de Fort de Tizi-Ouzou, Fort – Napoléon (Larbaâ Nath Irathen) et Draâ El-Mizan et la population qui comptait en 1866, quelque 290.268 habitants avaient énormément souffert de choléra et de misère. Dellys comptait 3552 habitants avec 2747 à Taouarga, 4087 à Béni-Thor et 92 à Benchoud, en tant qu’agglomération. La Dellys colonisée vivait dans un pays qui, de 1861 à 1866, avait perdu 506.575 habitants soit le 1/5, une population qui est passée de 2.765.139 (1861) à 2.123.045 (1872) et les raisons ne se limitent pas uniquement aux épidémies et à la pauvreté. Les 2.542.094 âmes ont été passées par les armes et les razzias.
La ville où le penseur Ibn Khaldoun séjourna à plusieurs reprises n’est pas uniquement celle des insurrections paysannes du IVe siècle à 1962. Elle est aussi celle des luttes syndicales que généra le capitalisme colonialiste, celle du mouvement nationaliste réformiste, des Elus musulmans de l’Emir Khaled, des Oulémas, ceux PPA messaliste, de l’OS tels Khelouiati Mohammed et Ghazi Hamoud, de même pour les communistes du PCA-PAGS et la chaîne de martyrs connus et inconnus.
Dellys des 26 grandes familles, recensées et encore présente entre la cité phénicienne et Alger, a des choses à dire et écrire sur la Décennie rouge-sang fomentées par les « petits-fils » des Bugeaud, du colonel De Neveu et autres Clauzel. La toute dernière réaction de la part de certains « ex-muletiers » des groupes armés, concerne le Mouvement du 22 février où avec une jouissance presque religieuse ils annoncent la défaite de la contestation politique de masse dès les mois de septembre ou octobre prochains, « ou tout le monde reste chez lui et travail normalement où ce sont les camps et les prisons qui vont être rouverts ! ». Belle démonstration de propos de haine de la part de ceux qui ont bénéficié de la clémence du régime du président déchus.
En revenant au documentaire de M. Bouflah, les images figées sur les lieux de l’histoire n’expliquent en rien la situation de Dellys des premiers chrétiens, juifs, Maures, Arabes et Kabyles, ni celle de la cité délaissée, martyrisée par la corruption et l’absence de gestions rationnelles, un espace désurbanisé, aliéné par la pollution plastique et organique.
Ce que le documentaire filmé ne dit pas est la résurgence du charlatanisme mystico-religieux qui se nourrit de l’inculture et de l’irrationnel au point d’oublier que M. Bencheneb, un érudit et enseignant au collège de Médéa est passé le mardi 29/12/1936, à la salle du Cinéma Palace de Dellys, pour donner une conférence sur « L’assimilation des musulmans algériens », organisée par la Ligue de l’enseignement de la ville.