Lundi 22 avril 2019
M. Aït Larbi, il faut savoir raison garder
Dans Le Matin d’Algérie du 22 avril, l’article de Rachid Chekri fait état de la demande de l’avocat Mokrane Aït Larbi de lever le secret bancaire, ajoutant que le silence des directeurs des banques « constitue un crime passible de poursuites pour complicité de détournement de deniers publics.» Son appel serait motivé par un avertissement aux banquiers de faire toute la lumière sur ces détournements « avant qu’il en soit trop tard.»
Venant de la part d’un grand juriste, cet appel, s’il est avéré, serait juridiquement inacceptable et économiquement contre-productif. Faire la lumière oui, mais de façon professionnelle.
La banque est tenue par le secret professionnel : ce serait heurter de front la législation en la matière que de demander, voire même d’exiger des banques qu’elles diffusent le contenu des relations qui les lient à un client quel qu’il soit. Maître Mokrane Aït Larbi connait bien cela. Il ne peut pas, il ne doit pas, exprimer une telle entorse au droit parce que c’en serait une grave.
La banque ne peut ouvrir les dossiers de clients qu’aux organes de l’Etat habilités par la loi à procéder à des investigations et ce, sans limite concernant les personnes physiques ou morales clientes concernées, ni le contenu de leur demande. Il y a l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale de la Banque d’Algérie. Mais ces deux inspections ne peuvent pas divulguer au public les données de leurs travaux. La Cour des comptes peut intervenir sur les affaires des entreprises publiques auprès des banques publiques.
C’est dire qu’il y aurait plutôt poursuite des banques qui mettraient sur la place publique des données concernant leurs clients. Bien évidemment, la justice est souveraine pour charger des éléments de la force publique (police, gendarmerie et services de sécurité) des investigations qu’elle juge opportunes soit après intervention des inspections générales suscitées, ou de celle de la Cour des comptes, soit hors ces interventions.
Quant à la responsabilité spécifique de la banque en cas de détournement ou de malversation de quelque nature que ce soit, il appartiendra à la justice de statuer au vu des investigations.
La justice était, jusque-là, bridée et dépouillée de ses attributions fondamentales par les forces du mal. Il convient d’éviter toute pression qui donnerait à comprendre que le peuple veut une vengeance sous forme de chasse aux sorcières, alors qu’il a montré au monde qu’il conserve une sérénité civilisationnelle dans sa recherche d’accession à sa souveraineté.
Tout ce que l’on peut encore faire, c’est fournir des indices susceptibles de mettre les autorités habilitées sur la voie des poursuites éventuelles lorsqu’il y a des données probantes. S’il était interdit de faire dans la délation sur des situations connues, l’ère de la transparence née avec le soulèvement du peuple permet de faire état auprès de qui de droit de toutes les situations condamnables sans perdre de vue que toute personne continue à bénéficier de la présomption d’innocence aussi longtemps que la justice ne s’est pas prononcée.
On doit œuvrer au renforcement de la justice pas à son délitement, de bonne ou de mauvaise foi. La foi en une justice souveraine, éclairée et assumée doit guider les contributions des uns et des autres et éviter de jeter l’opprobre avant terme sur des Algériens quels qu’ils soient. Car si l’histoire ne pardonnera pas aux délinquants d’hier, elle ne sera pas tendre avec les fauteurs d’aujourd’hui et de demain.
Le monde nous juge aussi sur la vision que nous avons du rôle de la justice et de l’application du droit. Ne brouillons pas les messages que nous nous évertuons à envoyer et ne décrédibilisons pas l’Algérie comme destination d’investissements étrangers.