Mercredi 15 septembre 2021
« L’Algérie révoltée » ou l’hymne à l’espérance démocratique de Kamal Guerroua
Le changement et l’espoir, deux mots qui reviennent en boucle dans l’ouvrage L’Algérie révoltée entre impasse et espoir de changement de l’essayiste-chroniqueur Kamal Guerroua, publié en 2021, aux éditions l’Harmattan, en France. Le livre est un ensemble de chroniques publiées par l’auteur entre 2016 et 2019, lesquelles dressent un portrait de l’Algérie de l’Avant et de l’Après-Hirak, en tentant d’expliquer la colère d’une jeunesse qui n’a pas cessé de s’accrocher au rêve d’un Etat de droits et de libertés.
L’Algérie révoltée peut être considéré comme un journal de bord ou une sorte de documentaire qui raconte dans un ordre chronologique l’évolution du changement tant désiré par les jeunes d’une patrie décrite par l’essayiste comme « monotone et à la tête malade ». Le chômage, la corruption, l’Harga, l’impasse économique structurelle, et la crise identitaire dont souffre un pays immense comme l’Algérie sont autant de sujets que K. Guerroua n’a pas manqué d’aborder avec parfois une certaine légèreté de ton, peu présente dans tant d’autres ouvrages de ce genre.
Cependant, l’essayiste a mis beaucoup l’accent sur la crise culturelle qui gangrène l’esprit de la société. Entre une élite restée au pays, mais en retrait de l’arène, complètement déconnectée de la réalité, partagée entre carriérisme et végétatisme et celle ayant migré vers des destinations lointaines pour construire un avenir meilleur, loin des siens, l’Algérie se retrouve exsangue, délaissée, déboussolée et en régression constante à cause du règne des rentiers aux accointances avec des cercles militaro-bureaucratiques. En effet, Kamal Guerroua dépeint cette « abrutigentsia », pour rappeler les propres mots d’un célèbre militant des droits de l’homme, comme « une machine de destruction culturelle de la société».
Au fil des pages, le journaliste essaye de répondre à une série de questions qu’il pose en préambule : Qui va changer? Comment changer? Par quels moyens et méthodes ce changement-là peut-il être mené à bout? Soucieux des enjeux futurs du pays, K. Guerroua a suivi le cours des événements depuis quelques années et s’est posé, non en juge mais en simple commentateur-analyste du fait social.
Du profil du jeune chômeur vu comme fainéant par la société au rentier bureaucrate partisan du statu quo, en passant par le statut minoré de la femme, la psychologie maladive de l’émeutier, le dilemme du Harrag, lesquels en disent long sur le marasme ambiant, le chroniqueur a passé au crible ce qu’il appelle « le puzzle algérien ». Un puzzle qui, si compliqué qu’il soit, empêche toute perspective de sortie sereine de la crise. La régression que subit l’Algérie dans tous les domaines, en particulier économique, semble travailler à fond K. Guerroua, le poussant à aller aux racines d’un sous-développement intergénérationnel durable.
Et le Hirak? C’est un espoir, mais un espoir insuffisant en revanche s’il n’y a pas de restructuration des rapports de forces entre élites et masses. Changer, c’est d’après l’auteur apprendre à restructurer la société, apprivoiser ses anomalies et les dépasser au moyen de l’exercice démocratique continu. D’où l’impératif de l’interaction. Pour inventer le changement, le peuple doit y rêver d’abord, se mobiliser ensuite et agir en conséquence avec ses élites.
Ainsi, l’exercice démocratique, démarré en aval peut culminer en réussite en amont, et se transformer en espérance démocratique. Par quel moyen? Une seule recette : la culture citoyenne. Celle-ci sera au centre de la dynamique future de changement selon l’auteur-chroniqueur. Se référant aux deux poètes-dramaturges Federico Garcia Lorca et Kateb Yacine, deux sommités intellectuelles du siècle dernier, le journaliste s’inspire de leurs démarches « réussies » de vulgarisation de la conscience dans l’arrière-pays et en appelle ainsi à les imiter dans ces moments cruciaux que vit l’Algérie. La résurrection de l’âme algérienne : son capital culturel, éthique et révolutionnaire, est une gageure, pour enrayer le fatalisme et le sentiment de défaitisme qui frappent la société. Le Hirak, ou le mouvement populaire, gagnera à changer les choses en profondeur, si les Algériens se convainquent que la solution est entre leurs mains, et que c’est à eux qu’il appartient de décider de leur sort.
Le Hirak est une chance à nulle autre pareille pour l’Algérie. Une chance à saisir et à concrétiser pour le bien de tous. Une révolution pacifique qu’il va falloir mener sur tous les fronts pour recapitaliser les énergies populaires, semer les graines de la citoyenneté, remobiliser notre diaspora et la rattacher davantage au pays, s’attirer la sympathie et l’engagement de l’Algérie-profonde, aller de l’avant à pas accélérés sur le chemin du changement démocratique radical.
A.B.
Kamal Guerroua, L’Algérie révoltée entre impasse et espoir de changement, Préface Zéhira Houfani Berfas, Editions L’Harmattan, 8 juin 2021, 216 p.