Lundi 26 avril 2021
Oukil Amar, un chanteur à succès bien discret
Originaire de la région de Bounouh (Aït-Smaïl – Kabylie), le jeune Oukil Amar a émigré en France au milieu des années 1950. Il n’a pas encore 20 ans lorsqu’au pays il s’engage dans le nationalisme anticolonial.
Comme d’autres compatriotes ouvriers émigrés, venus à la chanson par nécessité de dire ce qu’ils pensent de la situation de leur société, Oukil Amar utilise dès ses débuts la poésie chantée comme moyen d’expression pour dénoncer l’ordre colonial. Ainsi dans l’une de ses chansons intitulée Haousegh zrigh – « J’ai voyagé et vu » -, il dit toute l’expérience qu’il a acquise du monde. Il fait comprendre à ses contemporains l’intérêt qu’il y a à regarder autour de soi pour espérer être au diapason des peuples de la terre.
Cette chanson enregistrée à Radio-Paris le 20 mars 1960 porte sur l’étiquette de la boîte contenant la bande magnétique la mention « ne diffuser qu’après avoir consulté M. Franco ». Jean Franco était le chef de service de la section kabyle de Radio-Paris. Rien en apparence dans les paroles de la chanson ne pas mérite la censure si ce n’est le troisième couplet où il est question de «l’identité » :
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Atas emmed’n a y etghuɣ, i texdaâ d eg las’l en-nes
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Beaucoup de gens se font avoir, et se laissent trahir sur leur identité
Le titre de ce texte rappelle curieusement celui d’une chanson de langue arabe de propagande nationaliste, signalée par M. Kaddache – 1993, tome II : 536 -, qui y cite un passage : « Nous avons vécu et nous avons vu ».
D’autre part, Oukil Amar avait été sermonné par J. Franco. Après l’écoute de cette chanson, il lui avait dit : – « Que je ne te revois plus dans les couloirs de la radio, espèce de c… ! ».
Les chansons de Oukil Amar composées pendant la Guerre de libération portent quasiment toutes la marque d’une volonté de convaincre les siens du bienfait d’une libération du joug colonial. Sa chanson, Cman difir bu wurfan (« Chemin de fer agressif… ») sortie vers 1960, est l’un de ces titres où la lutte armée est encensée de manière allusive. On découvre dans les paroles chantées l’allusion faite à des notions qui sortent du sens ordinaire des mots employés :
1. Ddayra tenn’d i w-aggur, muxaf u-geffur
Di kkull amkkan tebda tyita
2. Tasekkurt yeksa w-ewtul, d elbaz yettmuqul
D isgh(i) id elgga®dd el-lhara
1. Un halo voile le croissant, et l’averse menace
En chaque endroit elle commence à tomber
2. La perdrix est gardée par un lièvre, pendant que le faucon regarde
C’est le vautour charognard qui garde la demeure
Le mot tiyita, « frappement », « combat », peut être traduit par « pluie qui tombe ». Ce qui donne : « la pluie frappe ». Mais étant donné le contexte général que décrit la chanson, on peut considérer qu’il s’agit des combats qui éclatent un peu partout sur le territoire algérien pendant cette Guerre de libération.
A ses débuts d’artiste-chanteur, le jeune Amar arrondissait ses fins de mois en coupant les cheveux aux gens le dimanche dans les cafés d’émigrés à Issy-les-Moulineaux. Comme les jeunes artistes de sa génération, pris dans l’ambiance nationaliste de l’émigration, il exprime ses sentiments et son désir de voir son pays libéré dans des chansons qu’il interprète lui-même, malgré une voix sans grande prétention, tout au moins à ses débuts. Dans Morena, chanson dont le texte est décliné en trois langues : kabyle, arabe et espagnol, le chanteur célèbre le retour du soleil et de sa lumière, c’est-à-dire l’indépendance :
1. Nefrah nefrah itij yuli, tafat en-ne‡ att enwali
1. Nous sommes heureux, le soleil s’est levé, nous verrons notre lumière
Cette chanson a sans doute été composée pour louer l’indépendance recouvrée après plus de sept ans de guerre.
Après l’indépendance Oukil Amar a continué à chanter. Au cours des années 1960 il fut dans la société kabyle l’un des artistes les plus en vue. Toutes ses chansons furent en leur temps des succès. Taleb yeghran (« Étudiant instruit ») avait eu un immense retentissement auprès de la jeunesse émigrée qui subissait la solitude de l’exil.
En 1970, après avoir participé à l’un des galas organisés par l’Académie berbère à Issy-les-Moulineaux – 25 janvier 1970 -, il se rend en Kabylie. Il est arrêté à Alger et interrogé par la police des frontières puis par celle du commissariat d’El-Mouradia où on l’a obligé à se présenter régulièrement une fois par semaine pendant plusieurs mois. Ainsi, comme Saadaoui Salah et pour les mêmes raisons, il sera surveillé par la police.
Après une longue période passée en exil, il s’était retiré dans son village où il passait une retraite heureuse parmi sa famille tout en faisant de courts séjours en France.
Dans le circuit commercial circulent deux cassettes « audio » contenant quelques-uns de ses meilleurs succès. Sur le registre de la Chaîne II de la radio algérienne figurent vingt-quatre titres attribués à Oukil Amar. Certains titres enregistrés aux E.L.A.B. de Radio-Paris n’y sont pas portés. L’artiste avait surtout mené sa carrière en France.