Samedi 20 mars 2021
Noura et Kamel Hamadi : le couple mythique
Dans les années 1960, aux sommets des hit-parades français, figurait, sur scène et dans la vie, le couple mythique formé par Johnny Halliday et Sylvie Vartan, les yéyés des années d’or, dont la relation passionnel et quelquefois tumultueuse (rappelons que Johnny avait échappé de justesse à un suicide suite à une querelle avec sa dulcinée) faisait rêver les pétillants adolescents que nous étions.
De l’autre côté de l’Atlantique, c’était le tout aussi mythique duo Sonny and Cher qui occupait le sommet des hit-parades, avec notamment « The beat goes on » et I got you babe ».
Et, côté kabyle, il y avait Noura et Kamel Hamadi. Et si le duo Johnny et Sylvie avaient atteint le sommet de la gloire avec le titre « J’ai un problème, j’ai bien peur que je t’aime », les interprétations de notre couple à nous étaient nombreuses et variées, et l’on ne peut rendre hommage à l’une des deux vedettes sans inviter l’autre. Parmi leurs succès à deux, citons « D’kem i ḥemleɣ », « Rebbi ad isahel », « Awin aɛzizen », « Di sin » etc.
Biographies
Noura
Noura (Fatima Zohra Badji de son vrai nom) est née en 1942 à Sidi Amar, ex Zurich, au pied du Mont Chenoua, Tipaza, près de Cherchell, et morte à Paris, le 1er juin 2014, des suites d’une longue maladie.
Quand on la questionne sur son lieu de naissance, elle répond invariablement : « mon Zurich de Cherchell est plus beau que le Zurich suisse ».
Elle débute sa carrière à la radio, fin des années 1950, et anime une émission enfantine. Selon la chercheuse Naïma Yahi, « elle se fait remarquer en interprétant des pièces de théâtre et des opérettes. Elle s’impose très vite comme l’une des plus grandes chanteuses algériennes de l’époque ».
C’est l’une des rares chanteuses non-kabyles qui chantait à la fois en arabe, en chenoui, en kabyle et en français. Parmi ses succès, on peut citer « Ya Rabbi Sidi », « Maniche mena », « Aïn El Karma », « Imawlan ugin », « Adrar n jaṛjaṛ eɣlayen » et « Amirouche », un titre très vite interdit d’antenne par Boumediene et ses valets pour faire tomber dans les oubliettes celui que l’on surnommait le lion du Djurdjura.
Elle enregistre aussi un album en français où elle interprète Cette vie de Michel Berger, « Ma maison », et « Paris dans mon sac », dont nous vous proposons la vidéo. Elle obtient un disque d’or en 1970 pour cent mille albums vendus. Ses interprétations en français n’ont rien à envier à celles des chanteurs en vogue des années d’or et d’insouciance. Ces années 1960 qui représentent sans aucun doute le sommet de ce que l’on appelle les trente glorieuses.
Le 25 février 1960, soit cinq années avant Johnny et Sylvie, elle épouse Kamel Hamadi avec qui elle forme un couple mythique.
Le 1er juin 2014, Noura tire sa révérence, laissant aux générations un patrimoine d’une richesse qui se laisse découvrir et savourer sans modération.
Kamel Hamadi
Kamel Hamadi (de son vrai nom Larbi Zeggane) est né le 22 décembre 1936 à Aït Daoud. Il est surtout connu pour sa collaboration avec de nombreux chanteurs algériens et maghrébins, appartenant à différentes générations, y compris de grands noms tels que Djamel Allam, Lounis Ait Menguellet, Khaled, Cheb Mami et, celui que l’on surnommait le cardinal, El-Hadj M’hamed El Anka.
Au cours de sa carrière, il aura signé plus de 2000 titres. Pour bien appréhender ce nombre, cela représente en moyenne une création tous les 10 jours. Le tout réparti sur 60 années de carrière !
Issu d’une famille conservatrice, Kamel Hamadi suit une scolarité régulière jusqu’à l’obtention de son certificat d’études primaires, en 1950, mais il doit embrasser le même métier que son père, Saïd Zeggane, qui est tailleur. Ce qu’il fait d’ailleurs pendant trois ans en tant qu’apprenti, dès l’âge de 14 ans, chez son oncle domicilié alors à Sig et Bouguirat, près d’Oran.
En 1953, il s’installe à Alger, chez son autre oncle, pour devenir tailleur, et c’est là qu’il aura l’occasion de révéler ses talents d’écriture pour la première fois. En effet, étant présenté au chanteur Arab Ouzellag, celui-ci l’encourage à continuer dans cette voie. Mais, c’est grâce à Saïd Rezoug que la radio lui ouvre ses portes un an plus tard. Il présentera, avec lui, l’émission « Lesrar n ddunit » (les secrets de la Vie) consacrée à la découverte de jeunes talents.
C’est au cours d’un numéro de cette émission qu’il rencontre, en 1957, El-Hadj M’hamed El-Anka qui lui demande de lui écrire une chanson parlant de la relation père-fils, après l’avoir écouté en train déclamer un de ses poèmes ; il lui écrit alors « A mmi εzizen » (Cher fils), titre qui sera chanté plus tard par le maître du chaâbi.
Après quelques autres chansons et de petits sketchs qui l’ont fait connaître un peu plus, le jeune Larbi décide de se consacrer au monde de la chanson et de la scène, mais il le fera d’abord discrètement. Ce qui l’amène à choisir son nom artistique à partir de deux noms de vedettes égyptiennes de l’époque dont il était fan : Imad Hamadi et Kamel Chenaoui. Et, c’est ainsi que l’auteur-compositeur Kamel Hamadi se lance dans une carrière qui ira toujours crescendo.
Vers 1958, ayant eu ses premiers succès à la radio, Kamel Hamadi trouve le chemin de la maison Tepaz où il sort ses premières chansons, à l’âge de 21 ans. Parmi ses grands succès citons le non moins mythique «Yidem yidem », en duo avec H’nifa (vidéo ci-après)
De retour en Algérie, pendant les années 1960 et 1970, il renoue avec la radio kabyle chaîne II et accompagne plusieurs jeunes chanteurs de l’époque dans leurs ascension, leur composant des chansons dans des styles différents. Parmi ces jeunes premiers Lounis Aït Menguellet, Atmani, Salah Sadaoui, et Aït Meslayène. Ce qu’il continuera à faire avec d’autres chanteurs de la nouvelle génération, comme Karima. En kabyle, il a également collaboré avec Abdelkader Chaou, Boudjemaâ El Ankis et bien d’autres encore. La liste est longue
Kamel Hamadi, ce sont aussi des interprétations en solo qui ne prennent pas une ride, comme « A t’bib dawiyi », un tube qui remonte à 1965. Il faut dire qu’avec sa voix sereine qui transpire un écho fraternel, on ne se lasse pas de l’écouter.
Malgré ses 85 ans, Kamel Hamadi n’a pas encore rendu le tablier, avec de nouvelles productions et de nouvelles collaborations. À cet égard, il est à déplorer que sa collaboration avec Ben Mohamed pour lancer la jeune Zahia Belaïd dans l’aventure d’un premier album « Riḥa idurar » sorti au Canada, en 2020, est un sacré flop. Le nombre de vues sur YouTube ne dépassant pas quelques milliers en un an. Dommage ! car « Riḥa idurar » vaut le détour.
Notons enfin que dans un nouveau titre « Ma ɣaben », interprété en solo, en 2019, il énonce son espoir de voir les cadres algériens rejoindre leur pays pour le (re)construire. Tout un programme !
Long vie Dda Kamal !