22 novembre 2024
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« Algérie, la nouvelle indépendance » de Jean-Pierre Filiu

PUBLICATION

« Algérie, la nouvelle indépendance » de Jean-Pierre Filiu

Jean-Pierre Filiu a publié « Algérie, la nouvelle indépendance », Paris, Éditions du Seuil, novembre 2019. Lecture.

Du foisonnement d’analyses disponibles sur l’insurrection citoyenne en Algérie, l’essai de Jean-Pierre Filiu, que nous avons invité à Lyon le 6 mars dernier pour présenter son dernier livre, défriche entre autres la piste du retour de l’histoire et d’une réappropriation collective d’une mémoire détournée. 

Notons d’abord que cet essai s’impose comme le premier travail de réflexion académique entièrement dédié au hirak. Rendons grâce à l’auteur de l’avoir produit dans un court délai sans en attendre l’issue. Ensuite, depuis le mois de novembre, date de parution du livre, la situation a, certes, connu certaines évolutions, comme la désignation d’un chef d’État le 12 décembre 2019 et d’un nouveau gouvernement, la disparition du général Gaïd Salah, ancien chef d’état-major de l’armée et homme fort du régime, le 23 décembre 2019, la libération de certains détenus d’opinion.., mais les dynamiques à l’œuvre et les objectifs escomptés, de part et d’autre, n’ont pas connu de changements notables. 

Facile d’accès, cet essai ouvre l’histoire de la nouvelle indépendance de l’Algérie qui s’écrit sous nos yeux depuis février 2019, et passe en revue les grandes questions qui agitent ce soulèvement. En ce qui concerne sa nature profonde, l’auteur  n’hésite pas à la qualifier, à juste titre, de révolution qui ambitionne de libérer les Algériens par le choix stratégique d’une lutte pacifique. L’accouchement d’un changement politique dont la société est grosse depuis longtemps est, cependant, tributaire de la levée de l’hypothèque militaire (p. 39) qui pèse lourdement sur ce soulèvement. 

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La mobilisation est si massive qu’elle rassemble des millions d’Algériens lors des marches hebdomadaires des mardis et vendredis dans les grandes villes du pays, mais le fer de lance de cette révolution, précise-t-il, est incontestablement la jeunesse et le football, sans oublier bien sûr le rôle des femmes qui sont en première ligne (p. 75).

Les jeunes ont bien pris conscience que si les Algériens s’étaient libérés il y a près de soixante ans de la domination coloniale, aujourd’hui il faudrait bien se résoudre à entreprendre de se libérer d’une domination interne.  L’auteur lève en partie le voile sur les manœuvres de manipulation, sans succès, de certains courants islamistes en embuscade (p. 131), auxquelles s’est livré Bouteflika en pensant pouvoir les circonvenir.

La réflexion historique, doublée d’une connaissance du terrain, a permis à Filiu de saisir sans difficulté dans la profondeur de ce mouvement inédit la reconnexion des Algériens avec la guerre d’indépendance. Le rattachement à celle-ci peut être saisi à travers, notamment le message exprimé avec force d’Istiqlal (indépendance), ou encore « les généraux à la poubelle et l’Algérie recouvrera son indépendance », c’est-à-dire le parachèvement du processus de libération déclenché en novembre 1954, mais inachevé en 1962, car confisqué selon le juste mot de Ferhat Abbas, par l’armée des frontières. D’où très justement l’intitulé de son essai « Algérie, la nouvelle indépendance » qui se traduit par la lutte pacifique, mais déterminée des Algériens pour leur nouvelle indépendance (p. 147) que l’auteur qualifie de « passage de l’autodermination postcoloniale en 1962 à l’autodermination postdictatoriale en 2019 ». Jamais la promesse de libération n’a semblé, dit-il, aussi à portée de mains des Algériens (p. 162). 

 Ce lien rétabli avec la guerre d’indépendance se vérifie également dans le mot d’ordre central des manifestants « dawla madania machi ‘askaria » et l’exhumation de certaines figures de la guerre d’indépendance au premier rang desquels figurent M’hidi et Abane, lors des grandes marches des mardis et vendredis qui n’est en rien fortuite ; ces deux héros incarnaient au cours des premières années de la guerre de libération l’opposition au primat du militaire sur le civil.

Leur assassinat en 1957, par les généraux parachutistes de l’armée coloniale pour le premier et ses opposants au sein du FLN pour le second, est un signe annonciateur du projet de militarisation du futur régime politique par l’armée des frontières en 1962. Ce ressourcement à l’histoire donne à ce soulèvement une assise politique solide et des repères historiques légitimes, car rien de sérieux ne se construit à l’échelle d’une nation sur l’amnésie. 

Ce soulèvement reconnectant les Algériens avec l’histoire du mouvement de libération pour mieux les projeter vers l’avenir en vue de construire un État de droit. Jamais un mouvement de contestation populaire n’a autant aspiré à la refondation du régime politique, fondé en 1962 et tenu depuis subtilement par l’armée, sur de nouvelles bases démocratiques, comme le soulèvement en cours depuis février 2019.

Le choix de la lutte non violente pour « dégager » le régime politique en fin de vie est loin d’être, pour l’auteur, un aveu de faiblesse, mais un choix lucide qui procède d’une double vision stratégique : d’un côté, il s’agit de reconstruire par des manifestations massives une dynamique citoyenne fédératrice des populations algériennes en opposition aux manœuvres du régime, ayant la vie dure, de « diviser pour régner ». De l’autre, il est question d’imposer par la mobilisation citoyenne un rapport de force politique suffisamment fort pour faire plier le haut commandement de l’armée disposant d’un appareil répressif redoutable et bien rodé, sans effusion de sang.

La forte implication des femmes dans le hirak, malgré les intimidations policières qui n’ont pas hésité à contraindre des manifestantes, le mois d’avril 2019, conduites au commissariat de Baraki, banlieue est d’Alger, à se déshabiller, est considérée comme un facteur déterminant dans la préservation du cours pacifique de la mobilisation. La participation des femmes est en outre porteuse, selon l’auteur, d’espoir de voir leur statut juridique rehaussé à rebours des maquisardes de 1954-1962 dépossédées partiellement de leurs droits dès 1962 (page 87).

En bref, cet ouvrage et le fruit d’une analyse politique à chaud d’un soulèvement inédit au cours de ses neuf premiers mois, consolidée par une approche historique qui permis à l’auteur d’aborder certaines questions par des renvois à la période coloniale et de se  livrer, comme il est toujours instructif de regarder au-delà de ses frontières, à certaines comparaisons avec des situations présentant quelques ressemblances, comme la Tunisie et l’Égypte. Un livre à lire et à méditer.           

Auteur
Tahar Khalfoune, juriste.

 




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