Dimanche 18 novembre 2018
«Fahavalo, Madagascar 1947», un documentaire pour libérer la mémoire malgache
«Fahavalo, Madagascar 1947 » ,un film documentaire pour libérer la mémoire malgache… du peuple malgache et sa jeunesse tout particulièrement, sur un pan douloureux de son long et lent écoulement à travers les âges.
En sous-titre des plus expressifs y est accolée l’expression vernaculaire locale dans Madagascar «Fahavalo » qui désignait les insurgés patriotes locaux, désignés exagérément « ennemis de la France». Des rebelles à la dénomination de type «Fellagas » en Tunisie, puis en Algérie lors des insurrections violentes qui se sont déroulées plus tard dans ces deux pays d’Afrique du Nord également sous domination française.
Le film-documentaire projeté en diffusion particulière dans une petite salle de l’Espace St-Michel, sis à la place parisienne du même nom à la mi-journée de ce samedi informe et témoigne plus qu’il ne délivre de message particulier. Comme si d’évidence son intention-prétention ne voudrait que susciter échanges et débats dans la société malgache, et tout particulièrement parmi sa jeunesse, notamment parmi les lycéens et étudiants sur un pan coûteux en vies humaines et sacrifices collatéraux de leur histoire nationale somme toute récente.
Un segment d’une cruelle lutte anticolonialiste contre la domination-exploitation française aux répressions féroces qualifiées à juste titre, ici et là, de genocides et de crimes contre l’humanité.
Le tout dans un contexte historique allant de 1895, année de l’invasion de Madagascar par la France qui en fera l’année suivante une colonie, à 1960. Date et année à laquelle l’île et le peuple malgache accédèrent à la souveraineté internationale sous un régime néo-colonial sous influence française qui sera renversé en 1972 par une révolution de type militaire, pour, semble-t-il, reprendre plus ou moins vigueur depuis quelque temps.
Il s’agit d’une réalisation de la Franco-Malgache Marie-Clémence Andriamonta-Paes, assistée de son époux brésilien César Paes pour tout ce qui a trait à l’image. La qualité couleur de cette dernière est simplement éblouissante comme réussite, et savamment imbriquée de judicieux apports d’images d’archives en noir et blanc original. Le tout porté et magiquement soutenu par une composition musicale remarquable signée de l’auteur-compositeur et musicien malgache, Régis Gizavo. Ce dernier est notamment connu pour avoir accompagné de grands interprètes chanteurs comme I Muvrini, Cesaria Evora, Lénine, Mano Solo et Christophe Maé. Le film, annoncent également ses producteurs, sortira en salle en France dès le 30 janvier 2019.
Le travail fort précis qui y est accompli, ramasse et rend intelligible une somme de témoignages de survivants de la tragédie qui s’est passée à Madagascar peu après celle des massacres de masse perpétrés par la même puissance coloniale à Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie.
Parmi ces survivants certains étaient encore des enfants, parfois orphelins recueillis par des proches parents ou voisins au moment des faits relatés dans la douleur. Des lourds souvenirs et une douleur souvent et longtemps enfouie sous l’emprise de la peur et de l’interdit légués de façon diffuse mais certaine, du fait de la forte terreur insidieusement et très fortement « incrustée » dans les esprits de citoyens malgaches, aux mémoires divisées bien que devenus entre temps formellement indépendants.
Les vieilles divisions facilitées par le règne colonialiste remontent donc à la surface quasiment telles qu’elles, à travers les différents témoignages des acteurs ou simples victimes non partisanes de la tragédie du peuple malgache face aux forces de répression françaises et leurs contingents de supplétifs africains. Les fameux bataillons de tirailleurs « étrangers » enrôlés de gré, et parfois de force, parmi des peuples subjugués par le même dominateur-exploiteur.
Ceux venant d’Afrique noire étaient catalogués comme tirailleurs sénégalais même s’ils comptaient parmi eux des gens venant d’autre pays d’Afrique de l’Ouest et non seulement du Sénégal. Idem pour ceux provenant de l’actuel Maghreb dit arabe qui se voyaient inclus et aussi sommairement assimilés dans le fameux bataillon de tirailleurs Algériens .
Il y eu aussi, faut-il le souligner, des soldats malgaches rentrés du front européen, et surtout français de la Seconde Guerre mondiale, qui furent chargés de la répression et mise à mort de leurs propres compatriotes, inconscience politique aidant. Certains confrontés à l’exemple de ceux de leurs semblables compatriotes qui prirent, tôt, fait et cause pour l’initiative belliqueuse des insurgés patriotes, tournèrent casaque et rejoignirent le front de l’affranchissement national du joug et de la domination étrangère. Et de l’insurrection appelée « Tabataba » dans le sens de vacarme contre l’oppression. Celle des « Vazoha » colons blancs européens et français ainsi désignés par les autochtones soumis de gré ou de force.
C’est dire que de ces témoignages qui recèlent en eux des points de vue ou positions contradictoires de l’époque des faits évoqués, il ressort le besoin de circonscrire nombre de phénomènes confluents comme ceux de la collaboration et de la trahison intérieure. Ceux de l’implication d’éléments issus d’autres peuples colonisés, surtout continentaux, dans la répression de peuples dominés souvent sans retenue, et encore moins ou aucune sorte de solidarité du fait de la discipline au sein du corps expéditionnaire français en « mission de maintien de la paix » coloniale.
Les témoignages filmés retracent également les réquisitions par les compagnies et sociétés coloniales les populations d’hommes qui devaient s’acquitter de travaux pénibles sur divers chantiers comme le tracé de lignes ferroviaires et divers ouvrages comme ponts et tunnels creusés dans la riche au prix de beaucoup de souffrance et de pertes en vies humaines. Des travaux non forcés se remémorent les uns, des travaux esclavagistes pour d’autres qui précisent à cet effet que ce n’était jamais rémunéré.
Lors de ces réquisitions obligées de toutes les manières les femmes et épouses des requis devaient s’acquitter seules, et des tâches ménagères du foyer, et de l’exploitation agricole des bouts de terrains qui leurs étaient concédés comme « miettes de subsistance » parmi les centaines de milliers d’hectares de bonnes terres arrachées au patrimoine de leurs ancêtres.
La violence de la répression militaro-policière contre les insurgés malgache en 1947 est bien rendue dans le film. Non seulement par les narrations-témoignages mais aussi grâce au recours d’images d’archives forts éloquentes qui montre le combat inégal entre une armée fortement outillée en armes létales et de destruction, contre des paysans armés de sagaies et de foi en des croyances plus ou moins païennes en des forces et esprits « magiques » de la forêt.
Donc avec des talismans qui dopaient leur volonté de résistance avec peu de chance de renverser le rapport de force irrémédiablement défavorable à leur entêtement à en découdre. Pour la liberté.
Au final, une réalisation cinématographique à saluer car bien amenée techniquement et agencée de manière didactique afin de susciter questionnements et débats parmi les populations malgaches de tous âges. Non pas pour un difficile et hypothétique oubli mais beaucoup plus pour apaiser les mémoires qui restent à rapprocher. Et pourquoi pas comme semble y tenir la réalisatrice Marie-Clémence Andriamonta-paes afin d’apaiser en l’humanisant plus la douleur et faciliter enfin le deuil pour tous les descendants des protagonistes locaux du drame.
Les autres protagonistes ne semblent pas se résigner à une telle démarche humaine et humaniste, leurs leaders et porte-paroles en sont toujours avec la chimère des bienfaits du colonialisme partout où il n’a pourtant semé que souffrance, misère, mort et désolation parmi les peuples soumis par le fer et le feu.
Toutefois, il est remarquable de voir ce genre de matières et productions cinématographiques à réflexion programmées en France métropolitaine, alors qu’en Afrique, celle de l’ouest tout particulièrement, les géants «industriels et capitaines d’industries français » Bolloré et Lagardère se confronter autour de la gestion des salles de cinéma où la programmation ignorera certainement ce genre de créations jugées contraires à l’image de la France dans le continent africain, e5 partant dans le monde.