Mardi 7 août 2018
Albert Camus, un enfant de Belcourt
Aujourd’hui, je voudrais parler à ces jeunes de l’un de mes « Panthéon » en littérature.
Je me souviens que lors d’une mutation, après deux décennies dans un établissement, mes collègues m’ont offert deux livres, connaissant mon grand amour pour la lecture.
Pour l’un d’entre eux, ce fut accompagné par ces mots surprenants : «Pour toi qui viens d’Oran, nous avons pensé à Camus ».
Ils auraient pu me dire «Toi qui aimes la littérature » ou « Toi qui aimes Camus » ou encore « Toi qui es d’origine algérienne ». Non, ce fut «Toi l’Oranais ».
Eh bien, détrompez-vous, je ne vous présenterai pas aujourd’hui « La Peste », livre éminemment célèbre de l’auteur dont l’histoire se déroule à Oran. Lien automatique que mes collègues avaient établi eux-mêmes dans leur pensée.
Pas plus que je ne choisirai le livre francophone le plus lu dans le monde, « L’étranger » d’Albert Camus, une intrigue qui se déroule à Alger, sa ville natale.
Non, aujourd’hui je vous recommande un autre roman du même auteur algérien, « Le premier homme », un peu moins connu par les jeunes mais comme j’ai quelque chose derrière la tête, comme tous les profs, je l’ai choisi pour deux raisons.
La première est que ce livre est incontestablement celui qui est un résumé de ce que Camus a écrit dans d’autres romans (à l’exception donc de ses essais), soit son quartier, sa ville, sa mère, sa grand-mère et son instituteur.
C’est en quelque sorte la compilation de toutes ses parcelles d’autobiographies précédentes car Camus n’a cessé de raconter sa vie et son pays natal dans ses écrits.
Un instituteur à qui il rendra un hommage flamboyant lors de la remise de son Prix Nobel, un discours resté dans toutes les mémoires et qui représente un texte de référence pour l’éducation nationale de tous pays ainsi que la vertu humaine incarnée.
La seconde raison est que ce livre, plus que tout autre, permet aux jeunes générations de comprendre ce que fut notre jeunesse algérienne et donc, leur propre pays. Camus est né bien avant moi mais à chaque fois que je relis ce roman, j’ai l’impression de me retrouver dans ma jeunesse dans laquelle on n’aurait jamais déplacé ni modifié l’environnement physique comme de sensations.
Tout, absolument tout, à l’exception de l’histoire familiale personnelle et de la dimension intellectuelle de Camus que nous ne revendiquons certainement pas, n’est autre chose que l’environnement que nous avions connu. Tout y est, du soleil jusqu’à l’odeur de la craie.
C’est pour cette raison qu’il ne faut jamais aborder Albert Camus par le prisme de l’histoire coloniale et de ce qu’on en pense, les uns et les autres. A aucun moment du livre il n’est fait état de cette histoire politique, des torts comme des larmes. Je sais que certains lui reprochent son silence assourdissant mais Camus raconte tout simplement son pays natal avec la plus grande des beautés émouvantes.
C’est pour cela qu’on retrouve notre Algérie, c’est un fait, pas une opinion politique sinon nous ne pourrions jamais parler de littérature et de ce grand auteur sans subir l’interférence de situations qui n’ont rien, absolument rien à avoir avec l’histoire de ce petit enfant de Belcourt.
Cette autobiographie a un autre caractère spécifique, son manuscrit a été retrouvé dans la sacoche de l’écrivain, décédé après un terrible accident au cours duquel le véhicule percuta un platane. C’est sa fille qui assura la publication posthume de l’ouvrage inachevé.
En tant qu’enseignant de la propriété intellectuelle dans des filières d’arts appliqués, je ne rate jamais l’occasion de mentionner ce livre pour donner un exemple de ce qu’est en droit, le droit moral d’une œuvre. Je suis toujours surpris et ravi que ces anciens lycéens, dans leur majorité, connaissent ce livre, en plus des autres dont nous avons déjà mentionné la célébrité.
Bien entendu, en dehors de ces deux raisons que j’ai choisies, il reste celle de la grande simplicité d’écriture qui ne pourra gêner une génération qui n’a pas été aussi francophone que nous l’avions été. Argument que je répète à chaque fois et qui motive mon choix.
Je vous recommande deux passages succulents avec cette grand-mère d’origine espagnole qui fut l’héroïne de son enfance mais aussi une personne totalement décalée par rapport à une instruction de plus en plus grande de ce jeune garçon dont nous savons le parcours brillant.
Le premier passage, les gens de ma génération l’ont certainement tous ressenti un jour ou l’autre de leur vie. Camus est d’une grande tendresse lorsqu’il se rappelle de cette fin d’année à son lycée où la famille est invitée à venir participer à des discours, des présentations et des festivités.
Je vous laisse deviner ce que fut cette journée, accompagné de sa grand-mère, aussi peu à l’aise dans ce monde que ne l’étaient les nôtres à notre époque. Nous aussi nous étions un peu gênés devant nos copains et copines lorsque nous avions à faire à l’originalité de nos proches d’une génération lointaine, nos grands-parents, leurs voix et gestes sans retenues. Mais qui oserait prétendre que nous ne les aimions pas ?
Ces aînés, hommes et femmes d’un autre temps, sont la racine de notre nostalgie profonde et du grand amour de ce pays qui nous a vus naître et grandir, au même titre que cette grand-mère pour ce jeune Albert de Belcourt.
Le second passage est lorsqu’il était obligé de faire sa sieste, moment éternel en Algérie, alors que ses petits copains jouaient au foot dans la cour de l’immeuble. C’est à ce moment qu’il décrit son emprisonnement entre le mur de chaux blanche de la chambre, comme ceux de toutes les chambres de l’Algérie d’antan, et la gigantesque montagne qui lui faisait face de l’autre côté, le dos de sa grand-mère.
Tout le livre est un hymne à cette jeunesse pauvre mais tellement heureuse d’un petit Albert qui a toujours essayé de trouver sa place entre une grand-mère qui la prenait toute entière et une mère effacée, prostrée devant la fenêtre, sans jamais réagir.
Albert Camus n’a jamais connu son père, décédé à sa naissance, ni même jamais communiqué normalement avec cette mère dont il sera marqué toute sa vie. La pauvre femme était en effet atteinte d’une profonde dépression et se murait dans un grand silence, n’y sortant que très rarement pour un petit signe de tendresse maternelle.
C’est certainement pour cela que l’essentiel de l’œuvre de Camus, vous le savez peut-être déjà, porte sur « l’absence ».
Une absence qui fut magistralement inscrite dans le sens profond de « L’Étranger » », son livre le plus connu dans le monde, nous l’avons déjà précisé.
Pourquoi ce titre « Le premier homme » pour le roman que je vous propose aujourd’hui ? Je vous laisse en découvrir la signification par votre lecture, dévoilée au détour d’une unique phrase dans le livre.
Mais si vous tenez compte de ce qui vient d’être dit dans cette présentation, vous en avez la réponse assez clairement.
Bonne lecture !
Précision :
J’ai reçu quelques messages sympathiques de lecteurs, par un réseau social. Cela serait impudique de le relever ici, et hors propos, si ce n’est qu’ils appellent à une réflexion qui intéresse cette rubrique et les jeunes lecteurs.
Je ne suis absolument pas un professeur de lettres. Ce serait extrêmement triste et, surtout, très grave s’ils avaient l’exclusivité de transmettre le plaisir et la passion de la lecture. Nous en avons tous l’impérative mission éducative.