Mercredi 18 juillet 2018
Djamel Allam, oughaled ! Reviens
Comment parler de Djamel Allam quand on apprend qu’il est malade, très malade ? Lui qui a toujours été vivant, très vivant ?
Il s’agit là de la crème de nos chanteurs. Je l’imagine, adolescent, rue du Vieillard, son antre de Béjaïa, grattant une guitare basique sous les yeux de sa mère interdite. Muette.
D’où lui viennent ces sons ? Ces mots ?
Djamel a repoussé les murs. Ils les a même défoncés. Aux débuts des années 1970, il a déferlé sur Alger et ses plages avec son arpège et cette voix qui se brise chaque fois qu’il le faut. Pour contenir les larmes. La colère. Une voix qui repart fort, très haut quand il faut crier l’espoir.
Comme tous les bons musiciens, il a commencé la gratte dans la rue ou sur les rives de la Soummam. Peut-être sur la crête de Yemma Gouraya ? Depuis un peu plus de quarante ans, il en est redescendu et il a pris une route très longue. D’abord la Zeriba de Zéralda, c’était au temps où l’Algérie rêvait debout. Elle était la mecque des révolutionnaires. Elle voulait recevoir le monde. Elle était ouverte à tous les vents novateurs, tout le monde y croyait. Surtout Allam, mi-hippie, mi-Kabyle.. Mi moderne, mi réac. Une bombe façonnée par le désir d’ailleurs et l’attachement viscéral à la demeure ancestrale. Vivre chez soi, face à la mer. Dos à la montagne. Ceint par les odeurs des mûriers. Des figuiers, des oliviers et toutes ces herbes qui impreignent à jamais notre peau.
Djamel ne s’est jamais ancré nulle part. Toujours en voyage. Toujours en partance, sans bagages. Faut-il que je reprenne son sextant pour narrer ses trouées. Ses échappées ? Je voudrais lui rappeler ses fracassantes et toujours attendues arrivées au « Merle Moqueur », un bistrot de la Butte-aux-Cailles, dans le treizième arrondissement, son quartier. Ses incursions à la montagnes Sainte Geneviève, pas trop loin de Saint-Germain. A la contre-escarpe ou chez son ami et frère, Mahmoud Zemmouri. Je voudrais lui parler de ses amis, Higelin, Lalanne, Renaud, Khaled, Idir et tant d’autres…
Je voudrais lui conter ces interminables soirées vécues dans les souterrains d’Alger. « Le petit port », « l’Eden », « le Triangle », « chez Bernard », « Da M’Barek »… Un itinéraire digne des défis de Fort Boyard !
Je rêve de ramener à son souvenir ces longues nuits passées, au centre d’Alger, avec une foule d’amis, chez notre hôtesse Nadia. Un délire de générosité !
Djamel Allam est un volcan en perpétuelle éruption. Salimo, son premier garçon doit le savoir. Son père l’a chanté. L’a fabriqué. Sa femme, malgré la séparation ne l’a jamais oublié. Ne peut pas l’oublier. A-t-il, lui, oublié ce jour, où dans le Hoggar, à l’occasion d’un marathon et du tournage d’un film, un torrent d’eaux a déferlé sur nos tentes, nous coupant de la ville de Tamanrasset ?
Nous avons eu peur. Nous avons traversé une chute impressionnante sur une échelle bancale. Après nous avons ri et chanté.
Djamel est né pour aller de l’avant. Il a toujours été de l’avant. Je voudrais le revoir, aujourd’hui, pour lui donner des nouvelles de notre ami commun. Djamel Kahyatani, ancien directeur de la cinémathèque de Tlemcen, auquel nous rendions quotidiennement visite à l’hôpital Necker, au début des années 1990.
Djamel se souvient-il de Bébé, cet enfant terrible d’Alger auquel il a confié son costume de scène pour l’emmener au pressing et qui l’a… vendu !
Djamel, enragé, lui demande des nouvelles de son costume. Bébé, affecté de bégaiement répond : » Qu… Qu… Quoi ? Tu… tu… tu… veux chanter av… av… av…avec un costume p… p… Pierre Cardin à Alger ! Prends un Sonitex ! »
Djamel a ri un bon coup et a pardonné. Et ce jour, Djamel, où à l’occasion d’un grand concert au Zénith, sans doute en hommage à Matoub Lounès, je me suis réfugié dans sa loge, le seul endroit hospitalier des coulisses. Que dire, encore, de cette table aux Hammadites qu’il a mis en feu avec sa voix et sa guitare à deux mètres de l’auguste assemblée qui participait à l’annuel séminaire de la pensée islamique ? Il y avait là notre « arabiseur » en chef Mouloud Kassem Naït Belkacem. Un Kabyle trafiqué. Enfant des zaouïas. Cousin par alliance mafieuse de Chakib Khellil. Le chef de gang qui prétend devenir notre futur président. Ouretsrou ! Djamel Allam a compris avant tout le monde que les femmes d’Algérie, à commencer par la mère, étaient martyrisées.
Tella ! C’est du gospel, une rivière de miel déversée sur une terre sèche. Il irrigue Djamel. Avec Tiziri, qui a donné son prénom à ma fille, il nous donne un cours de musique. Avec rien, le bout des doigts, de la percussion et une voix sincère et bien ajustée, on crée un chef d’oeuvre.
Eclectique, il bouge, il va vers le chaâbi, le raï, le chaoui et surtout vers le monde. Il nous transporte. Nous fait voyager… sans visa.
Dessin de Yassine Latrach.
Djamel n’a rien caché. Il est malade.
Beaucoup de ses amis sont partis. Tous les autres partiront après ou avant lui. Pour l’heure, il est vivant, je veux lui dire que nous sommes là, qu’il est là, que nous sommes ensemble.
Il a relevé des défis. Il relèvera celui là.
Sait-il combien de leçons il a semées ?
Combien d’hommes, il a élevés ?
Reste avec nous Djamel !