Dimanche 15 juillet 2018
Omar Racim et l’histoire du soldat Cheikou Cissé (I)
Le soldat Cheikou Cissé a été telle une ombre, qualifié de «sauvage » du continent noir, dans le plus terrible des polars de l’écrivain Vladimir (de son nom Vladimir Bolansky) ans “Monsieur Afrique et le rat de brousse” (1) à la page 78.
L’encyclopédie ouverte Wikipédia et de nombreux journaux européens et africains le qualifiait de « tirailleur sénégalais, mort en 1933, en Nouvelle-Calédonie », alors qu’il était encore vivant, ne respirant qu’un air qui n’a jamais été le sien, ni celui de sa famille qui cherche encore, ni de ceux de ses vigoureux et nobles ancêtres de cette partie de l’Afrique des royaumes du Sahel, qu’une géographie coloniale française, dénommée abusivement le Soudan français. Nous évoquons aujourd’hui cette figure emblématique de la mémoire africaine, le soldat Cheikou Cissé dont l’existence mérite d’être portée sur les grands écrans tant elle concentre les ingrédients d’une tragédie hellénique des plus représentatives.
Cheikou Cissé est né en 1892 à Sarobougou (Sérobougou, Mali), Cercle de Bandiagara dans le Haut-Sénégal selon la cartographie coloniale, alors que l’on situe abusivement son lieu de naissance à Chorboze dans un éphémère Soudan français, actuellement le Niger. Au village, il a laissé une femme et deux enfants. Envoyé au Maroc, il sera blessé trois fois, puis comme des milliers de soldats des colonies, il sera encore une fois envoyé pour se battre aux Dardanelles (Turquie) au sein de sa compagnie des Tirailleurs sénégalais.
Il sera ramené au Soudan français avec son unité. Au lieu de le renvoyer chez lui dans son foyer, il est expédié à Keyes (Sénégal). Le journal Le Matin du 21/12/1931 évoque le cas Cheikou Cissé comme étant un « tirailleur et bon soldat. Pendant la guerre, il se laissa monter la tête par des agents des soviets. On lui persuada de se révolter. Le bon nègre se révolta, après avoir soulevé la petite garnison d’un poste. Il fut condamné à Dakar. »
Cissé ne savait ni lire, ni écrire et devant la Cour de Dakar, il sera jugé avec ses camarades pour avoir participé à un complot ayant pour but d’appeler à la guerre civile, suivie d’actes de vol (17 fusils militaires) commis avec effraction. Il sera condamné à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. Ses neuf camarades, ils ont été condamnés à des peines allant de 5 à 10 ans ferme.
L’enceinte fortifiée à laquelle Cheikou Cissé sera interné à la prison Barberousse d‘Alger (aujourd’hui, Serkadji). Le héros noir de 1914 se retrouve en compagnie de trois détenus politiques, deux Syriens et le futur miniaturiste algérien Omar Racim. C’est ce dernier qui alerta l’opinion de l’existence du jeune soldat malien condamné par le Conseil de guerre de Dakar.
Le détenu Omar Racim déclenche la campagne Cheikou Cissé
Le 4 octobre 1922, La Lutte sociale, organe communiste de la Section SFIO-Algérie, publie la liste des détenus politiques de la prison Barberousse dans laquelle figure le nom de Cheikou Cissé. Omar Racim est certainement à l’origine de la «fuite» des noms, puisqu’il fut lui-même incarcéré et condamné pour les mêmes faits que son codétenu ; en effet, le 6 novembre 1915, le Conseil de guerre permanent de la Division Territoriale d’Alger, déclarait
« Indigène musulman non-naturalisé, Omar Racim ben Ali, dit « Sanhadji » demeurant à Alger, coupable d’avoir pratiqué des machinations et avoir entretenu des intelligences avec des agents de puissances étrangères pour engager celles-ci à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre la France et ses alliées, et que de ce chef, il sera condamné à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée. Le jugement sera confirmé le 26 du même mois. » (2)
Omar Racim (né le 3/1/1884 et décédé le 3/2/1959) et à la différence de son frère Mohammed Racim (24/6/1896 – 30/3/1975), était un fervent anticolonialiste et sympathisant du mouvement Les Jeunes Algériens de l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader. Le panislamisme et la culture arabe, formèrent son tremplin culturel et idéologique qui s’exprimera à travers ses conférences, articles et œuvres d’art, entre miniatures et calligraphies. Qui feront de lui, plus tard un des mouvements de l’art maghrébin et arabe. En 1912, Omar Racim demandait et dans une lettre envoyée à l’organe de la Société Fraternité Musulmane-Union et Progrès de l’Ile Maurice, L’Islamisme un organe de langue française des Musulmans mauriciens et que dirigeait M. Noorooya, à faire partie de l’association en tant que musulman africain.
A sa sortie de prison, il entamera son activité artistique et se distinguera par sa profonde connaissance de l’art et de la musique arabe et musulmane, tout en fréquentant les cercles politiques et culturels les plus progressistes de son époque. C’est ainsi qu’au mois de juillet 1923, il sera invité par l’association culturelle et artistique d’Alger la Rachidia, pour une conférence sur l’art musulman (3), il définira l’art en général en expliquant sa genèse à travers diverses manifestations et la place qu’occupe l’art arabe en Afrique du Nord et son influence andalouse, tout en expliquant la place importante qui avait existé en Arabie dans les parties habitées par des sédentaires. A l’âge de 39 ans, Omar Racim a mûri ses connaissances de l’art musulman et la maîtrise des techniques de son exécution, des tons et les effets modernes qu’il introduisit dans son œuvre. Cette conférence fut accompagnée de projections cinématographiques représentant les monuments arabes de Fez, Marrakech et Grenade. Une primeur pour un conférencier « musulman non-naturalisé » en ce début du XXe siècle.
Deux années après la conférence d’Omar Racim mourrait le communard hongrois Pierre Kovacs qui a été condamné au bagne par un Conseil de guerre français et juste à la publication d’un décret de remise de sa peine, en date du 12/8/1925, le militant de 1870 décède de la faim le 1er juillet 1925. Mais pour le cas de Cheikou Cissé, il y a lieu de signaler que le journal des communistes d’Algérie fera de son cas une de ses campagnes les plus en vue, notamment après la mort en prison des huit compagnons de Cissé condamnés à Dakar et l’évasion d’un d’entre le groupe des révoltés. Le député communiste André Marty, fera de Cheikou Cissé son combat au sein du Secours Rouge International (plus tard, le Secours Populaire français) en demandant l’amnistie immédiate du soldat malien et sa réhabilitation. De 1925 à 1933, Marty et le SRI ne cessaient de prendre l’opinion française et mondiale à témoin devant une mort lente et programmée du soldat Cissé. Andrée Marty a reçu en 1925, une lettre du ministre de la Guerre, disant que « nous avons pris bonne note de votre demande concernant une mesure gracieuse, mais il nous faut plusieurs semaines avant qu’une décision intervienne » (4).
Huit années plus tard, c’est au tour du ministre des Colonies de faire savoir que l’administration pénitentiaire avait proposé Cheikou Cissé pour une mesure gracieuse. Mais dans les faits le même ministère et son Gouvernement de l’Afrique coloniale française, redoutaient le retour de celui que les militants des droits de l’homme et ceux du monde syndical nommaient le camarade Cissé. Déjà avec la publication par La Lutte sociale de son nom comme étant un détenu d’opinion et illégalement condamné, Cheikou Cissé sera transféré de Barberousse (Alger) à Nouméa (Île Nou), et de là vers Cayenne où Les Annales Coloniales (du 17/3/1936), confirment sa déportation à vie en Guyane. (A suivre)
K. A.
1– Roman paru en 1995 dans la série Fleuve Noir, collection « Aventures sans frontières », N° 7, 228 pages.
2– In, Le Courrier de Tlemcen, Algérie, du 10/12/1915.
3– In, L’Echo d’Alger, du 1/7/1923.
4– La revue La Défense, organe du Secours Rouge International – Section française, numéro du 17/8/1934, p.3.