Lundi 18 décembre 2017
Tamanrasset est une ville qui nous a tellement inspirés
C’est à l’occasion du concert de Tinariwen à ’’Tavastia-klubi’’, au coeur de la capitale finlandaise Helsinki, que nous avons rencontré et interviewé le guitariste et vocaliste Alhousseini ag Abdoulahi, dit Abdallah, connu de ses fans sous le nom de « Catastrophe ».
Dans ce petit entretien, Abdallah revient sur ses premiers pas avec Tinariwen, les circonstances de sa création, et notamment le rôle de la ville de Tamanrasset comme ’’un lieu d’inspiration’’ et un carrefour intéressant pour les membres du groupe.
À rappeler que ce groupe de blues touareg, créé dans l’exil et la souffrance, est toujours considéré comme une famille d’artistes, qui promeut le nom de Tinariwen pas seulement comme étant un groupe de musique mais aussi un mouvement culturel et une tendance musicale à laquelle contribuent également d’autres musiciens. Abdallah affirme que pendant l’enregistrement du dernier album de Tinariwen ’’Elwan’’, paru le 10 février 2017, ’’il y avait des chansons qui ont été enregistrées aux Etats Unis et au Maroc et des musiciens qui y ont contribué’’. Selon notre interlocuteur, ces derniers ont tous essayé d’ajouter quelque chose de nouveau.
Le Matin d’Algérie: D’abord, d’où est venu le mot »catastrophe »?
Alhousseini ag Abdoulahi: (rire). En 1994 j’étais au nord du Niger avec le grand leader touareg Mano Dayak, à cette époque-là je ne parlais pas le français, et je l’entendais souvent dire »Oh! c’est une catastrophe », et puis, j’ai à mon tour commencé à l’utiliser aussi souvent.
Par la suite, les gens autour de moi m’appelaient »la catastrophe ». À vrai dire, c’était le premier mot que j’ai capté dans la langue française, car c’était facile pour moi de le prononcer (sourire). Depuis lors, tous les amis, mes proches et mes fans m’ont appelé »Catastrophe ».
Le Matin d’Algérie: Revenant aux débuts du groupe »Tinariwen » qui a été fondé en 1982. Où étiez-vous pendant ce temps-là?
Alhousseini ag Abdoulahi: À cet époque, j’étais chez moi au nord du Mali, très jeune, et je n’ai pas encore rencontré les premiers fondateurs du groupe, à savoir Ibrahim ag Alhabib, Alhassan ag Touhami et Intayaden (décédé en 1995). En effet, c’est à partir de la ville de Tamanrasset que ces trois membres sont partis à Alger pour participer à un festival, et ils ont donc créé le groupe. Bien que ce festival était le premier événement musical pour eux, mais il faut rappeler qu’ils avaient déjà commencé à jouer de la musique bien avant, et cela date de la fin des années 1970 et des débuts de la décennie 1980.
Quant à moi, je suis arrivé à la ville de Tamanrasset vers la fin de 1983, et comme j’avais 16 ans et j’étais encore nomade, c’était intéressant pour moi de découvrir la vie citadine, et c’était donc une autre expérience pour moi. Depuis 1983, je me suis souvent rendu en Algérie à ce jour, et je peux dire que tout le départ fut à partir de l’Algérie. D’ailleurs je note que même les membres du groupe »Tinariwen » ont grandi dans la ville de Tamanrasset qui, en effet, a fait notre départ. Et comme cette ville est située dans la même région et pas loin du Nord du Mali, je trouve donc tout naturel de voir tous ces déplacements des gens et des musiciens à Tamanrasset, qui est considérée comme la capitale des Toueregs.
D’autre part, il y avait pendant cette époque-là deux lignes principales: Tamanrasset et Tripoli. À Tripoli, il y avait un camp militaire qui rassemblait plusieurs militants touaregs qui venaient du Mali, du Niger et d’autres régions pour faire une formation militaire. Il faut dire que plusieurs militants se sont retrouvés à Tripoli après qu’ils ont quitté leurs régions. Quand à moi, j’ai rejoint le camp en 1986, mais ce camp existait déjà depuis 1983. C’est donc là où que j’ai rencontré Ibrahim et plusieurs d’autres.
Le Matin d’Algérie: On constate que Tamanrasset est une ville qui a une importance particulière pour Tinariwen. Que représente exactement cette ville pour vous-même et pour les autres membres du groupe ?
Alhousseini ag Abdoulahi: Dans cette ville tous les membres de Tinariwen ont appris à jouer de la guitare, et c’est aussi un endroit où nous avons passé notre jeunesse. D’autant plus, il y a des membres à savoir Elaga Ag Hamid et d’autres, qui sont justement nés à Tamanrasset, donc ceci dit que cette ville est un lieu d’inspiration pour nous.
Je souligne également que Tamanrasset était, même bien avant l’indépendance de l’Algérie, une ville où habitaient beaucoup de leaders touaregs et des personnages connus. C’est ce qu’on l’appelle d’ailleurs Kel Ahaggar (Touaregs du Hoggar), qui est une partie très connue de la communauté touareg . Donc Tamanrasset est un coin historique attaché à l’histoire des Touaregs depuis toujours. Après la sécheresse de 1973-1974 des milliers de Touaregs venus de plusieurs villes du Nord du Mali, à savoir Tombouctou, Gao, Kidal, mais aussi du Niger, se sont tous réfugiés à Tamanrasset. Par la suite, ce mouvement a créé une grande ambiance dans cette ville et un grand carrefour des Touareg dans toute la région.
Le Matin d’Algérie: En 1998, vous avez rencontré à Bamako, Philippe Brix, manager du groupe Lo’Jo, et avec qui Tinariwen fera par la suite un succès mondial. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre?
Alhousseini ag Abdoulahi: Durant les années 1996 et 1997, il y avait une tendance d’intégration après l’accord qui a été signé entre la rébellion et le gouvernement malien. Par conséquent, il y avait beaucoup de Touaregs qui ont rejoint la fonction publique au mali et d’autres sont devenus des militaires, tandis que nous étions un peu loin de l’administration. Pendant cet époque-là, le groupe Lo’Jo est arrivé à Bamako pour participer dans un festival de musique, et leur manager a découvert les chansons du groupe Tinariwen et a décidé de prendre contact avec nous. Effectivement, il a rencontré des membres du groupe ’’Azawad’’, et ces derniers lui ont filé les noms des musiciens de Tinariwen. Parmi ces noms, il y avait Ibrahim, Hassan, mon nom et ceux d’autres musiciens.
Une année plus tard, le groupe Azawad a été invité en France, et parmi les invités il y avait des membres de Tinariwen. À ce moment-là, Hassan, Keddou et moi-même, nous étions seuls à Bamako alors que les autres membres étaient quelque part en Algérie, et dans d’autres villes.
À la suite de cette invitation, nous sommes allés en France pour participer à un festival, cependant, c’était au nom d’Azawad. Une année plus tard, nous sommes repartis avec le nom de Tinariwen.
Le Matin d’Algérie: Comment l’idée vous est venue pour écrire la chanson ’’Arawan’’, qui était une sorte de fusion de rap et de blues touareg ?
Alhousseini ag Abdoulahi: La chanson Arawan est une composition personnelle que j’ai faite en 2003. Je l’ai composée à un moment où la vague du rap était aussi dominante et en pleine évolution dans la région du Nord du Mali. L’idée m’est justement venue quand j’ai pensé à faire quelque chose qui pourrait intéresser les jeunes, notamment ceux qui voulaient de l’ambiance et la danse. La musique que nous produisions dans le groupe Tinariwen n’était pas de cette tendance, et j’ai donc pensé à faire quelques chose pour le plaisir et le goût de nos jeunes adolescents, notamment pour ceux qui ne comprenaient pas les messages de Tinariwen. Quand on est adolescent ou jeune on ne s’intéresse probablement pas au message et on veut surtout se pencher sur le rythmique.
Quand au nom de ’’Arawan’’ est un nom d’une ville qui se trouve au nord de Tombouctou, d’ailleurs c’est une ville que je ne connais pas, mais son nom me plaît tellement. Et étrangement, je n’ai pas connu l’histoire de ville jusqu’après la parution de la chanson, et j’ai découvert par la suite que c’est une ville chargée d’histoire.
Au début, avec mes collègues du groupe, nous nous étions pas familiarisés avec ce genre de musique sur scène, mais par la suite, nous avons vite commencé à la jouer.
Le Matin d’Algérie: Pendant la rébellion vous avez composé la chanson ’’Chet Boghassa’’, qui ferait plus tard un succès. Un mot sur cette composition.
Alhousseini ag Abdoulahi: ’’Chet Boghassa’’ est une pensée à la femme, mais aussi une histoire qui date de l’année 1992. C’était au moment de la rébellion. Nous étions des combattants dans les montagnes de Boghassa dans le désert, et un jour, nous avons monté une attaque, qui a été échouée par la suite. En effet, j’ai composé cette chanson autour de cet événement, et le texte évoque la résistance, et malgré tout il faut continuer à combattre et avoir du courage.