Vendredi 3 novembre 2017
Quand l’écriture devient une obsession
Le livre «Hymne à l’espérance» que vient de publier le chroniqueur Kamal Guerroua en ce mois de novembre aux éditions de L’Harmattan est, si l’on veut bien, un essai aux parfums poétiques aussi accrocheurs qu’inspirants. Par-delà la hantise de l’écriture et l’indémontable passion des vers qu’on ressent au fil des pages, l’auteur nous restitue aussi dans une prose raffinée, avec la même touche enfiévrée et «érudite» qui caractérise ses diverses chroniques dans la presse nationale, le condensé de ses révoltes intérieures, ses cris d’espoir pour des lendemains meilleurs, ses éloges des mots et de la littérature en général, ses rêves d’une Algérie nouvelle et prospère. Le tout ponctué par des petites histoires, des dictons du terroir, des souvenirs de son enfance tressés avec subtilité dans le flux à la fois émotionnel et subjectif de quelques rimes parachutées ça et là entre les vagues du temps. Ce mélange de genres semble même enivrer le chroniqueur qui s’est mis comme atteint d’un «vertige solaire», c’est d’ailleurs le titre de l’une des peintures de l’artiste toulousaine Anne Munoz-Winther insérées dans l’ouvrage, dans une quête quasi obsessionnelle de la beauté et du sens, à l’ombre, dans le giron des mots. A l’en croire, la poésie, c’est cette suprême sensibilité qui nous fait revenir en peu de mots, de façon claire et posée, sur ce qui fonde l’humain, ébranle ses passions et suscite l’élan de son cœur :
« J’ai ramassé des miettes de silence/ dispersées entre des trombes et des ombres/ Mes poèmes chantent dans un cœur transpercé/le visage d’un pays chéri/ cette Algérie à la mine défaite ».
« Dites-nous, écrit le Portugais Cruzeiro Seixas, ce que c’est qu’un poème, qu’est-ce que c’est que la main de l’homme qui l’écrit, comment s’appelle l’endroit où l’homme, le poète s’enracine? ». C’est cette interrogation-là, combien anodine, qui remonte des profondeurs de l’hymne de l’auteur. Celui-ci est allé même «fouiner» chez Federico García Lorca, Kateb Yacine, Jean Amrouche, Boris Vian, etc, pour trouver la quintessence de cette sensibilité frôlant la révolte qui loge dans ses tripes.
Puis, il est également question de ce penchant aussi spontané que magnanime pour un retour aux sources qui campe presque la totalité du texte dans une sorte de nostalgie jamais guérie où l’odeur à double voies paternelle/ maternelle pèse de toutes ses forces au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture :
« A l’écoute, dans le noir, de la voix à peine audible mais douce du père, de la mère ou des grands-parents, les enfants plongés dans le cours, combien ruisselant, de l’imaginaire voyaient vite s’irradier leurs visages par la lumière fragile des bougies. On leur relatait, autour du «kanoun» (le brasier traditionnel), l’épopée mythique de l’Aguellid (roi) numide Jugurtha (160-104 av. J.-C) –ce «Yougar’ithen» (l’homme hors du commun)– qui faisait des duels mortels avec les lions, effrayant, à la fois viril et courageux, ses admirateurs et ses ennemis».
Si l’encre de la plume est une drogue pour Kamal, la Kabylie semble lui être une hypnose perpétuelle incroyablement salvatrice. Ce flot erratique mais doux qui suit le jusant lunaire, cet aimant qui l’attire, fait valser son intimité, ses pensées, ses rêves, ses souvenirs.
« La Kabylie, est cet havre de lumière où chaque montagne est un temple de mémoire et d’identité, où chaque femme est un repère de souffrance et de résistance, où chaque homme est une légende d’histoire et d’héroïsme, où chaque voix est unique, chaque timbre particulier, vibrant, voilé, argenté. »
Concis, dense, truculent et par endroits lyrique, l’ouvrage de Kamal Guerroua est une méditation grave et altière sur l’humain dans ce qu’il a de sensible, de fragile et de merveilleux.
M. A.
Hymne à l’espérance, L’Harmattan, 112 pages, 13,5 euros