22 novembre 2024
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Deux Algériens, mais…dos à dos

DEBAT

Deux Algériens, mais…dos à dos

Dans son article paru dans le Quotidien d’Oran du 7 juin 2021, sous le très long titre, comme les affectionnent les intellectuels algériens, «De l’instrumentalisation du terrorisme islamiste à l’orchestration du terrorisme viral » », Khider Mesloub se livre à un discours dont notre génération passée est abreuvée depuis le berceau.

En lui répondant, c’est en fait une réponse à tous ceux qui sont dans ce socle de pensée qu’il semble incarner. Nous sommes, Khider et moi, dans deux mondes qui ne sont pas seulement opposés, mais dos à dos.

Si le rédacteur en chef de ce journal a accepté la publication de cette confrontation c’est qu’il aura décelé dans mon écrit la cordialité et la décence de mes propos à l’égard d’une personne pour laquelle je resterai courtois sans pour autant cacher mon désaccord profond, le mot est faible. 

Dès les premières lignes de son dernier article, le ton est donné. C’est immédiatement reconnaissable, car ce qui nous accompagne depuis plus d’un demi-siècle finit par nous être aussi familier et perceptible. Le moindre mot, la moindre expression, référence ou allusion, fait réagir le cerveau dans sa reconnaissance spontanée de l’objet ou de l’idée en présence.

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La profonde personnalité d’un intellectuel transparaît toujours à travers son style, ses tournures et, surtout, son appropriation immédiate des clichés. Ils ont été si souvent entendus en Algérie, prononcés par ceux dont on pense qu’ils sont majoritaires du simple fait qu’ils correspondent aux slogans d’État. Je pourrais, presque mot à mot, en fermant les yeux, deviner la suite de l’écrit dès l’introduction des premières phrases. 

Je les reconnais, car ils sont nés d’une éducation politique coulée dans un moule dans lequel j’ai toujours refusé d’entrer, au prix fort car cela aurait été plus simple pour la suite de ma vie. Ce sont les mots qui ont accompagné notre Algérie perdue, notre terre natale dont on nous a privé, car on nous l’a arrachée pour ne pas avoir été façonnés dans ce moule. 

Khider Mesloub n’est pas un illettré, il maîtrise parfaitement la langue française et a sans aucun doute une éducation scolaire et universitaire qui lui permettent d’être dans un niveau de débat qui nous convient.

Et cela tombe bien, car nous aussi, nous connaissons Schumpeter et Marx, cités dans son dernier article. Le niveau est égal, nous pouvons donc y mettre toute la puissance de nos arguments. Le « nous » concerne tous ceux qui sont en exil politique forcé dont je me fais l’interprète d’un certain nombre.

L’exercice que je vais devoir effectuer m’est donc extrêmement pénible, car je vais devoir respecter mon engagement de courtoisie. Que le lecteur sache deviner, en sous-titres, qu’à travers des mots respectueux et argumentés, il s’y cache un combat politique d’opposition et de colère qui, lui, est légitime dans sa force.

Sur le fond, Khider Mesloub a raison, mais…

Il n’y a aucun doute que sur le fond du constat à propos de la manipulation des États-Unis et de toute hégémonie mondiale, Khider Mesloub a raison. Cela est une vérité incontestable pour la manipulation des grandes puissances et l’humanité connaît cette vérité depuis qu’elle a une conscience historique racontée au travers des siècles.

Les arguments partent de faits qui ne sont donc pas contestables et les accusations de l’impérialisme américain sont courantes, justifiées et combien publiées et prononcées dans les discours.

Khider Mesloub, par cet écrit, montre bien qu’il est dans la catégorie de ceux dont on ne peut enlever la capacité intellectuelle de synthétiser une opinion à travers l’histoire contemporaine.

De ce côté, je le salue et lui transmets mes respectueux sentiments. Mais là s’arrête la concordance des vues, car ce n’est pas du fond de la thématique dont il est question, mais de la marque de ceux qui veulent nous faire « payer » les larmes et la colère contre l’impérialisme et la colonisation jusqu’au dernier souffle de notre vie.

Cette critique n’est pas seulement un agacement mais une profonde divergence de vue, car il s’agit fondamentalement du combat politique pour libérer l’Algérie. Le mien ne tombera jamais dans cette disposition qui consiste à tirer sur le meilleur ami des régimes totalitaires sans auparavant « balayer devant ma porte », c’est-à-dire celle de mon pays natal. 

Ma réponse ne porte pas sur l’ensemble de son article, qu’il ne s’en étonne pas et ne m’accuse pas pour une mauvaise et partielle lecture. Elle porte exclusivement sur l’attaque violente portée à l’impérialisme américain. Il faut reconnaître qu’elle prend une place dans son article aussi hégémonique que celle des États-Unis dont il accuse l’ampleur. 

Si Khider Mesloub ne voulait pas en faire son unique message, c’est raté, car il n’a pas lésiné sur la dose. 

L’impérialisme, la sempiternelle excuse de « l’ennemi extérieur »

Khider Mesloub y « met le paquet », toutes les caricatures et les clichés sur l’impérialisme et le capitalisme des « Yankees » y passe. Je me demande si j’ai lu un tel déversement, avec un aussi grand acharnement, depuis les discours du parti unique de ma jeunesse. 

L’ennemi extérieur, ce vieil ami des régimes autoritaires. Le bouloulou des peuples, celui qu’on ressort pour souder l’instinct national autour du régime politique qui y trouve allégrement son compte. Et lorsque l’image de l’ennemi extérieur, le danger qui menacerait la nation, ses intérêts, sa souveraineté et sa liberté, devient plus atténuée, on le réveille, on en trouve un autre ou on instille   une piqûre de rappel à la population. 59 ans que nous supportons cette piqûre, j’en suis immunisé, dans la douleur comme dans ses effets. 

Un conflit frontalier, un contentieux économique, politique ou doctrinal, une tentative d’hégémonie, et c’est reparti pour vingt ans de pouvoir intérieur. Voilà un peuple, selon le pari des gouvernants,  dont on a la garantie qu’il sera soudé autour de ses remparts, contre un ennemi extérieur. Et lorsqu’on a fini le tour de toutes les potentielles menaces extérieures, on revient à la valeur sûre, soit l’impérialisme américain et le colonialisme français. Ce bon vieil impérialisme américain.

Ce que ne rappelle pas Khider Mesloub est que l’ennemi extérieur est bien commode pour désigner les traîtres de la nation qui seraient à son service pour la dénigrer et l’affaiblir. Ils seraient la honte des valeurs nationales, coupables d’un acte de haute trahison et passibles d’une sanction pénale lourde ou d’interdiction de séjour lorsqu’ils sont à l’étranger.

Puisque Khider Mesloub nous cite des auteurs, je vais lui en citer un autre, puisqu’il faut en passer par là malgré ma réticence à le faire (l’enseignant en est abreuvé dans les copies par ceux qui veulent embellir le propos), soit le « Général de l’armée morte », d’Ismaïl  Kadaré. Un ennemi invisible dans le désert, qui ne viendra jamais, et qui justifie que le peuple se barricade derrière une forteresse militaire, prêt à combattre, attendant les ordres des autorités. 

En quoi je suis opposé à la critique systématique de l’impérialisme américain ? En absolument rien sur le fond, c’est une vérité historique et qui perdure encore. La grande différence avec ceux qui essaient de nous abreuver de cette excuse depuis plus d’un demi-siècle est que je ne suis ni aveugle ni dépourvu de discernement. Mes ennemis, je les choisis en fonction de mon propre jugement et pas en fonction d’un instinct suiviste, moutonnier, provoqué par des régimes qui n’y voient que leur intérêt pour survivre.

Dans son développement, Khider Mesloub oublie de dire que cela fait plus d’un demi-siècle que les pays du Sud ont eu leur indépendance et s’ils doivent perpétuellement lutter contre le néo-capitalisme, ce qui est une nécessité, ils n’ont rien fait pour se sortir de leur situation.

Il met en silence la perpétuation des régimes atroces, autoritaires et parfois d’une barbarie extrême. Des régimes dont les leaders n’ont pas trouvé que l’impérialisme étranger soit leur ennemi lorsqu’il s’agit de leurs intérêts financiers ou militaires, à des moments où ils sont menacés par d’autres intérêts et appétits du pouvoir interne (une situation très récurrente avec les multiples coups d’état qu’on ne compte même plus). 

Adeptes de « l’argent n’a pas d’odeur », ils ont développé des affaires colossales avec les ennemis du peuple. Ils y ont placé les masses considérables des revenus de la corruption et ont, pour la plupart, des villégiatures de repli, avec leurs familles.

Si Khider Mesloub veut parler d’impérialisme, il ne doit pas occulter celui qui est à l’intérieur. Et là je le rejoindrai dans sa fougueuse croisade contre l’hégémonie américaine. Chose curieuse, à l’inverse, il considère les autres hégémonies, la Russie et la Chine, comme des remparts pour l’humanité.

Il est bien connu que ces régimes sont les standards de la liberté et de la démocratie des peuples. Je l’ai déjà dit, Khider Mesloub nous rajeunit de plus d’un demi-siècle, lorsque nous étions habitués, tous les soirs, à écouter ces diatribes à la télévision. Nous espérions, avec prière, que le film de la soirée ne soit pas décalé ou supprimé par obligation de les entendre sinon de nous forcer à aller nous coucher puisque les médias, radio, télévision et presse, étaient uniques et sous monopole d’État.

L’impérialisme américain ou capitaliste est effectivement d’une nature qu’il faut combattre, c’est une certitude qui ne peut être contredite. Mais il faut le faire en ne tombant pas dans les bras ou sous le courroux de ceux qui vous entraînent vers la haine de l’ennemi extérieur alors qu’il est le meilleur allié de leurs intérêts et de leur pouvoir interne. 

Le pauvre virus, un autre responsable, il en faut beaucoup

Khider Mesloub, pourtant beaucoup plus jeune que moi, semble-t-il, après avoir été recherché quelques informations sur son identité (ce qui est légitime lorsqu’on veut répondre courtoisement à une personne), est paradoxalement le champion du monde de la thèse de l’ennemi extérieur. Ceux de mes années de jeunesse, pourtant dévoués à cette thèse, du matin au soir, seraient battus d’un KO foudroyant face à Khider Mesloub.

Sous le couvert d’un très bon débat sur les dangers des décisions de confinement dues au Covid 19, il y trouve un moyen de revenir sur la menace liberticide qui plane sur les peuples. Les gouvernants impérialistes profitent de l’épidémie pour renforcer leurs pouvoirs sur des populations terrorisées qui s’en remettent à eux et à la « pseudo-démocratie » pour légitimer un pouvoir autoritaire (ce sont des mots de mon interprétation, pas ceux de l’auteur).

C’est vraiment hallucinant que cette volonté de toujours trouver des ennemis extérieurs aux peuples. Un réflexe, une éducation, une pensée totalement incrustée dans un discours qui semble venir du plus profond des âges.

Mais, encore une fois, chose très étrange mais si souvent habituelle chez les défenseurs de cette thèse, il inverse totalement la cause du danger en occultant l’autre, le plus directement liberticide, celui qui nous fait face en interne. 

En conclusion je dirai qu’il ne faut jamais aveuglément entrer dans des thèses qui sont incrustées dans les esprits des citoyens à travers un système qui incarcère toute pensée divergente (ou même, juste complémentaire).

Et cela, même si le niveau intellectuel des auteurs de cette thèse nous semble intéressant et leur  critique porter sur une base réellement objective.

« L’ennemi extérieur » n’est jamais choisi au hasard, c’est parce qu’il a concentré autour de son action et de son image un passé et un présent coupables qu’il est le parfait client de ceux qui s’en servent pour nous abrutir, nous incarcérer et y trouver un intérêt, politique et financier.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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