Vendredi 4 juin 2021
Algérie : dernière alerte avant la tempête
Il y a un seul Hirak, contrairement à ce qu’avancent Tebboune et ses laudateurs. Un Hirak patriote et populaire qui veut une Algérie libre, juste et respectueuse de ses enfants. Crédit photo : Zineddine Zebar.
Le peuple du Hirak auquel Tebboune doit d‘être devenu incidemment «président de la République» a été brutalement arrêté dans son élan citoyen et démocratique.
Il a été placé en garde à vue pour s’être permis de rêver d’un avenir meilleur et d’avoir voulu concrétiser les idéaux du 1er novembre 1954 endossés par les différentes Constitutions depuis 1963 : construire un Etat démocratique et social, élire librement son président, ses députés et ses maires.
Que ça, et avec un civisme parfait.
L’Histoire, l’expérience des peuples, les exemples anciens et récents montrent tous que « Ceux qui rendent impossible une révolution pacifique, rendent inévitable une révolution violente ». Quand, selon quelles modalités ? Personne ne l’a jamais su à l’avance, mais c’est arrivé à tous les coups. Ajoutons qu’il est toujours trop tôt pour la violence. Néanmoins c’est l’option qu’a choisie le pouvoir en Algérie, l’exposant à un sort qu’aucun pays ne lui enviera.
Les Algériens ont observé le bien-fondé de ce principe dans deux cas au moins : avec le colonialisme français qui a ignoré pendant un siècle leurs revendications pacifiques avant de quitter les lieux après sept ans de violences inutiles et, de nos jours, avec les Palestiniens divisés entre partisans du pacifisme (OLP à Ramallah) et partisans de la lutte armée (Hamas à Gaza).
Des faucons adorateurs du feu ayant été plus souvent au pouvoir que des colombes pacifistes en Israël, il a tout misé sur la force. Il a méprisé les premiers avant d’être obligé de mettre un genou à terre par les seconds, équipés d’armes remontant à l’âge de pierre : flèches de tout bois, armes blanches, lance-pierres et projectiles métalliques dont 90% n’arrivent pas à destination, etc. S’ils n’ont pas battu l’ennemi, ils lui empoisonnent la vie et l’empêchent de dormir sur ses lauriers. Seule la voie de la sagesse qu’Israël peut encore écouter lui apportera la paix à condition d’être partagée avec les Palestiniens. Sinon, il ne dormira sa vie durant que d’un œil et sur une seule oreille.
Le pouvoir algérien a rompu avec la politique de la non-violence envers le Hirak et décidé d’y mettre un terme en déployant la force, pensant amener ainsi les Algériens à accepter de gré ou de force son projet de « nouvelle Algérie » sous les augures d’un président très mal élu, d’une Constitution rejetée par les quatre-cinquièmes du corps électoral, et d’un faux parlement en cours d’installation par la corruption.
Il n’y a pas de Hirak « authentique » et de Hirak « dévié ». C’est le même depuis le début qui ne cherchait pas le départ des Bouteflika mais du « système », c’est-à-dire le remplacement de la « souveraineté militaire », catégorie que ne connaît pas le droit contemporain, par la souveraineté populaire constitutionnalisée par le droit algérien. Le mot d’ordre « Yetnahaw gaa » du premier jour en témoigne et est toujours d’actualité.
En revanche, il y a bel et bien eu vol du Hirak par Tebboune et le commandement militaire qui a donné en 2019 à ce dernier le choix entre le palais d’El-Mouradia et la prison d’El-Harrach où son fils dormait depuis des semaines au moment où il prêtait le serment constitutionnel.
Le Hirak n’avait pas pour but suprême l’installation de Tebboune à la présidence, ni la promulgation d’une Constitution rédigée à la hâte puis rejetée par 80% du corps électoral, ni la fabrication d’un faux parlement avec l’argent public transformé en moyens de corruption. Et il n’a commencé à s’en prendre aux généraux que lorsqu’il s’est aperçu qu’ils l’ont laissé sur le bas-côté après l’avoir spolié de sa victoire, sans aucune considération pour ce qu’il avait réalisé, ni respect pour ses aspirations à un avenir meilleur.
Certes, des « Twaychia » de l’intérieur et des « Qaramita-Hashashin » » de l’extérieur ont nui au Hirak dans lequel ils refusaient de voir une « révolution citoyenne » du type de celle à laquelle j’ai appelé entre septembre 2017 et janvier 2018, mais un mouvement séditieux voué à faire tomber le pouvoir pour permettre aux premiers de le ramasser, et aux seconds d’assouvir leur inextinguible désir de vengeance envers l’armée en raison du rôle qu’elle a joué dans les années 1990.
Ils ont collé au Hirak comme des sangsues dès le départ et tout fait pour le transformer en « révolte des affamés » et « tribunaux populaires ». Les premiers ignorent tout du fonctionnement d’un Etat, et les seconds attendent son effondrement pour construire sur ses décombres un gourbi islamiste « civil ». Le Hirak en sera bientôt débarrassé et les oubliera comme s’ils n’avaient été que les éphémères acteurs d’un cauchemar dont il va se réveiller pour faire face aux réalités avec des idées raisonnables et des objectifs sensés.
L’incurable, du Hirak et du pouvoir, est ce dernier qui n’a pas encore compris qu’il a affaire à un nouveau peuple, celui issu du mouvement du 22 février 2019, et non à l’ancien qui supportait tout, applaudissait à tout et est passé une certaine nuit de décembre 1991 de l’ère de Staline le dictateur à l’ère de Raspoutine le charlatan. Lui aussi doit se réveiller de son songe où il se voit en Aladin tenant une lampe merveilleuse alors qu’il est en train de fracturer la boîte de Pandore.
Que va faire le «Hirak » face à l’étalage de la force du pouvoir et à sa répression aujourd’hui, demain ou un jour ?
Tout et n’importe quoi pouvant aller du mal au pis en passant par le survivalisme qui permet de résister dans des conditions extrêmes, sauf accepter de revenir à l’ancienne Algérie despotique et corrompue en plus médiocre.
De l’aveu du monde entier le Hirak a été d’un pacifisme exemplaire, mais avant lui l’apôtre de la non-violence lui-même, le Mahatma Gandhi, est mort de mort violente. De la main d’un des siens, et non d’un tir ennemi.