22 novembre 2024
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Retour sur l’écrasement du mouvement Tahrir par le maréchal Al Sissi 

DECRYPTAGE

Retour sur l’écrasement du mouvement Tahrir par le maréchal Al Sissi 

Dans le sillage des « Printemps arabes » (où, en vérité, l’hirondelle Révolution n’a jamais pointé son bec et encore moins déployé ses ailes car la saison hivernale de la lutte des classes ne se prêtait guère aux envols des embrasements sociaux révolutionnaires, particulièrement sous les cieux de ces pays islamiques où l’économie capitaliste productive n’a jamais décollé pour avoir été longtemps déplumée par le colonialisme), le peuple égyptien se révolte contre le régime de Hosni Moubarak.

Après quelques semaines de contestation, les manifestants obtiennent le départ de Moubarak. Sa chute suscite d’immenses espoirs. Aujourd’hui, l’enchantement a cédé la place à la désillusion, la perspective d’une vie meilleure, à la misère, la liberté tant convoitée, à la dictature militaire. 

Revenons brièvement sur cette page de l’histoire égyptienne, marquée en 2011 par le soulèvement populaire, appelé Tahrir

Début 2011, dans un sursaut de révolte spontanée et inorganisée, des millions d’Égyptiens prennent d’assaut la rue, convergent vers la place Tahrir, l’occupent durant deux mois, pour proclamer leur rejet du régime et surtout pour réclamer pain, justice sociale et dignité (revendications jamais satisfaites). En effet, sur la Place Tahrir, l’épicentre de la révolte, des millions de citoyens égyptiens exigent la démission de Moubarak et la fin du « Régime ou Système ». Aux cris de « Moubarak, dégage ! », ou encore « ‘Aïch, horia, ‘adala edjtéma’ia ! » – « Painliberté, justice sociale ! », ils réclament le départ du régime despotique, expression de leur besoin de liberté, de meilleures conditions de vie et de travail. 

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Acculée par l’éruption dangereuse des travailleurs engagés dans de puissantes grèves illimitées (voilà où résidait le véritable danger pour le pouvoir), l’armée (considérée par les crédules manifestants comme unie au peuple) pousse Moubarak vers la sortie, afin d’organiser, assure-t-elle, des « élections libres » (ce qui n’existe nulle part dans le système capitaliste car tous les rouages économiques, politiques et médiatiques sont concentrés et contrôlés par les puissants). Le 11 février 2011, en dépit du bilan meurtrier de la répression policière, évalué à plus de 850 morts, le peuple égyptien, encore une fois floué, fête naïvement dans la liesse l’éviction de Hosni Moubarak

La suite, tout le monde la connaît : les Frères musulmans, seule formation politique structurée mais infiltrée et manipulée par l’armée, remporte, sans surprise, les élections. Aussitôt, les Frères musulmans remplacent l’élite dirigeante limogée.  Cependant, l’Etat, la classe capitaliste, la bourgeoisie affairiste et étatique conservent leurs positions sociales et leurs privilèges (on notera que la nouvelle élite islamisée servira ces mêmes classes dirigeantes sans scrupule. L’élite, généreusement rémunérée par les puissants, a de tout temps eu pour vocation de servir les classes dominantes qu’elle idéalise et divinise, quels que soient leurs systèmes politiques – féodal, monarchique, bourgeois, fasciste, nazi, stalinien, militaire -, mais jamais elle n’œuvre pour l’émancipation du peuple laborieux qu’elle méprise et redoute). 

Nul doute, la propulsion inespérée des Frères musulmans au pouvoir prouve cette évidence politique : changer de gouvernement par les élections ne modifie aucunement la situation économique, sociale et politique du peuple, sinon que les élections offrent aux masses dupes la possibilité d’élire une nouvelle bande de malfrats et de saltimbanques. En effet, le gouvernement islamiste dirigé par Morsi, allié aux Frères musulmans, ces adeptes de la religion prêchant la soumission à l’ordre dominant, a dévoilé son incurie notoire, son incapacité à gérer l’Etat. Mais surtout, il s’est évidemment révélé tout autant corrompu que l’ancien régime de Moubarak.

En outre sa politique réactionnaire islamiste, illustrée par son entreprise dictatoriale d’imposer ses anachroniques « mœurs » islamiques moyenâgeuses pour exercer une funeste influence morale et culturelle sur l’ensemble de la société, a suscité beaucoup d’hostilité parmi la nouvelle génération moderne amplement éduquée et urbanisée, même au sein de la classe dirigeante. (De là s’explique, entre autres, l’urgente décision de l’armée moderne égyptienne de déloger les islamistes du pouvoir.

Le mode de production féodal s’est désintégré en Égypte, comme il s’est désagrégé en Algérie. De ce fait les islamistes, ces survivances anachroniques, appartiennent à un monde révolu, et leur idéologie obscurantiste mortifère est incompatible avec le monde moderne, excepté pour servir parfois les intérêts des puissances impérialistes dans leurs enjeux géostratégiques, notamment par le maniement de l’islamisme comme épouvantail ou comme dérivatif terroriste). 

Évidemment, au cours de la période de gouvernance islamiste, le véritable pouvoir demeure concentré entre les mains de l’armée, la seule force en mesure d’assurer l’ordre capitaliste au niveau national (au profit bien sûr des puissances impérialistes et financières internationales qui veillent toujours à la stabilité et à la pérennité de leurs intérêts).  

Cependant, en 2013, des mouvements de contestation renouent avec l’esprit de révolte de 2011. Des grèves sont déclenchées car aucune des revendications fondamentales des travailleurs n’a été satisfaite (pain, travail, salaire, logement). Au plus fort de la nouvelle vague de contestation sociale, on dénombre plus de 14 millions de manifestants. Lors de ces grèves, certains manifestants brandissent des pancartes sur lesquelles est proclamé, entre autres, le mot d’ordre suivant : « Ni Morsi ! Ni les militaires ! » Conscient du danger révolutionnaire proclamé par ce mot d’ordre, l’armée décide d’intervenir. 

En fin stratège, le maréchal Al-Sissi entre en scène pour assurer la population laborieuse révoltée de sa protection (sic). Il déclare que l’armée protège les manifestants, qu’elle est l’alliée du peuple (sic). Le maréchal Al-Sissi garantit une transition « démocratique » du pouvoir. Assurément le maréchalissime Al-Sissi a soutenu le peuple égyptien, comme la corde soutient le pendu ! 

Ainsi, en juin 2013, sous l’effet conjugué de l’aggravation de la crise économique et de l’exacerbation de la colère des masses paupérisées, Morsi (le féodal) est préventivement « détrôné » par l’armée afin d’éviter la transformation de la révolte du peuple en insurrection contre l’État. Ce coup d’État suscitera une opposition radicale de la composante islamiste (populeuse et féodale) contre le nouveau régime militaire. La réaction du pouvoir ne se fait pas attendre ; elle est sanglante : un massacre impitoyable est perpétré contre les opposants. 

Au final, le maréchal Al-Sissi récupère la révolte (qui ne fut jamais une Révolution, à l’instar du Hirak algérien). Un nouveau « gouvernement civil-bourgeois » affidé est installé aux commandes du pouvoir, placé sous tutelle de l’armée. Dans le même temps, les mouvements sociaux sont réprimés. Les manifestants emprisonnés ou massacrés. La terreur étatique renoue avec les vieux démons répressifs de l’ancien régime de Moubarak. La résistance féodale pro-Morsi tente de s’organiser. Mais sans succès. Elle est réprimée dans un bain de sang : un millier de personnes sont tuées le 14 août 2013 sur la place Rabia, au Caire. 

Un an plus tard, en mai 2014, le maréchal Al- Sissi, adoubé par les États-Unis, est plébiscité à la présidence de la République avec 97% des suffrages exprimés (preuve de la supercherie des élections en système capitaliste : c’est toujours le candidat du capital – des puissants, de l’armée – qui est élu). Une fois intronisé à la présidence, le nouveau pharaon botté Al-Sissi accentue la répression et adopte une politique économique foncièrement libérale. 

De fait, depuis l’élection du maréchal Al-Sissi, l’armée joue un rôle central dans l’économie. L’institution militaire a fait main basse sur toute l’économie de l’Égypte. L’armée détient une part importante de l’économie du pays. Ses intérêts s’étendent sur tous les secteurs lucratifs et stratégiques : autoroutes, stations-service, supermarchés, immobilier, etc. Pour se protéger, l’État militaire égyptien réprime dans le sang toute protestation menaçant ses intérêts économiques et politiques, musèle toute voix dissidente. Au reste, depuis le pronunciamiento du maréchal Al-Sissi, plus de 15 000 Frères musulmans et sympathisants ont été emprisonnés, des centaines ont été condamnés à mort dans des procès de masse expéditifs. Les partis d’opposition (laïque, de gauche), à la pointe de la révolte de 2011, sont interdits. Leurs dirigeants écroués. 

Pour couronner le tout, dernière lubie autocratique du maréchal Al-Sissi, mise en œuvre au mois d’avril 2019 : amender la Constitution par les députés stipendiés, afin de permettre au nouveau pharaon casqué de trôner à la tête de l’Etat galonné jusqu’en 2034 et de conférer à l’armée tous les pouvoirs lui permettant d’être l’unique « garante des institutions ». À cet égard, la monarchisation soldatesque de son pouvoir a déjà été amplement amorcée avec l’intronisation officielle de ses deux héritiers aux postes-clés de l’Etat militarisé. Ce faisant, pour protéger sa militarocratie, le maréchal-président perpétuel a nommé ses deux fils à des fonctions hautement sensibles. Le premier, Hassan, a été propulsé à la direction de la communication de la direction générale du renseignement, le second, Mahmoud, a été hissé à la direction du renseignement, chargé de la sécurité intérieure. 

En tout état de cause, depuis le putsch du maréchal Al-Sissi, les espoirs nés du soulèvement de 2011 se sont évaporés. Depuis lors, le peuple égyptien est confronté à une dégradation dramatique de ses conditions sociales et à la main de fer du pouvoir dictatorial militaire. 

Sans conteste, les « Printemps arabes » se sont mués en Hiver glacial. En effet, de la Tunisie à la Syrie en passant par l’Égypte, les fameuses révoltes, assimilées mensongèrement à des révolutions, ont connu des issues dramatiques. Ces soulèvements populaires ont débouché soit vers la guerre civile (conduite par des mercenaires djihadistes stipendiés par les puissances impérialistes), soit vers la récupération islamiste (pilotée par les classes possédantes parasitaires féodales des pays du Golfe), soit vers la dictature militaire quand les mascarades électorales n’aboutissaient pas au résultat escompté. 

Nul doute, ces révoltes ont échoué dans leur entreprise de transformation « démocratique-bourgeoise » et sociale de leur société. Et cet échec s’explique par la nature de la lutte des classes dans ces États néo-colonisés. Dans ces pays, comme dans de nombreux pays comprador, dominent des familles et des clans, héritages de leur passé féodal récent, gouvernant leur État comme une entreprise familiale privée, reliquat de l’époque archaïque. En effet, ces familles et ces clans néo-féodaux concentrent les richesses et le pouvoir dans des États patrimoniaux. De là s’explique leur détermination à se battre jusqu’à l’extermination totale de « l’adversaire » (évidemment toujours « leur » peuple mais jamais l’ennemi extérieur – en cas de guerre, c’est toujours le peuple qu’ils envoient sur les fronts afin de se sacrifier pour la « patrie ») dans le but de conserver leur pouvoir. Au reste, les instances politiques, la classe bourgeoise et l’appareil militaire sont confondues dans une même oligarchie corrompue. Cette aristocratie, la bourgeoisie affairiste et d’État et l’armée règnent en maîtres absolus sur ces pays semi-féodaux, semi-coloniaux. 

À l’évidence, les révoltes dans les pays arabes ont été dévoyées ou écrasées. À plus forte raison dans le cas de l’Egypte. Aussi est-il primordial de comprendre les carences politiques de ces soulèvements populaires pour éviter de réitérer les mêmes erreurs stratégiques. Ces échecs nous enseignent que tout soulèvement populaire mené dans un pays semi-féodal – semi-colonisé doit impliquer prioritairement la rupture radicale avec toutes les forces politiques et les institutions étatiques congénitalement corrompues, du fait de leurs liens indéfectibles avec l’ancien monde sclérosé. Faute de quoi, tout mouvement de révolte populaire moderne est voué à l’échec, comme l’histoire récente des soulèvements sociaux en Tunisie et en Égypte le démontre. 

De ce fait, pour éviter cet écueil, le peuple en révolte, aujourd’hui majoritairement éduqué et formé, doit d’emblée prendre en charge sa lutte par son auto-organisation à l’échelle locale et nationale, au moyen de l’institution d’une démocratie directe horizontale pilotée par ses intègres représentants élus et révocables, démocratie organisée dans chaque quartier, village, ville et lieu de travail, dans une perspective de rupture radicale avec le monde ancien et l’économie diffamante et affamante capitaliste. 

Auteur
Khider Mesloub

 




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