23 novembre 2024
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L’Algérie sans la Kabylie

TRIBUNE

L’Algérie sans la Kabylie

Le 4 janvier 2016 je publiai dans « Le Soir d’Algérie » une tribune intitulée « Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ? ». 

Aït Ahmed venait d’être inhumé à Aïn El-Hammam et le pouvoir avait délégué pour le représenter à la cérémonie les présidents des deux chambres, le Premier ministre et d’autres, mais leur cortège a été bloqué à des kilomètres du lieu de l’enterrement et eux sommés de faire demi-tour par une population qui ne voulait pas de leur présence à l’évènement, jugée indécente. Ce jour-là, cette semaine-là, la Kabylie avait mis au piquet le pouvoir.

Après avoir noté que « l’exemple nous vient souvent de cette Kabylie qui nous donne périodiquement des leçons à méditer profondément », j’avais conclu mon écrit par cette phrase : « Si toute l’Algérie avait été la Kabylie, combien resterait-il à vivre au pouvoir ? ». 

Trois ans plus tard éclatait le « Hirak » qui arracha la tête du « système » mais laissa le corps intact. Profitant d’une accalmie due au Covid-19, le corps se dota en un an d’une nouvelle tête civile, d’une nouvelle tête militaire, d’une nouvelle Constitution, et s’occupe en ce moment de mettre en place un nouveau parlement préfabriqué. 

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En juin 1991, l’Algérie avait, comme aujourd’hui, rendez-vous avec l’élection de la première Assemblée nationale de l’ère du pluralisme. Pour s’assurer qu’il la contrôlerait, le pouvoir avait imposé une loi électorale dans une ambiance de contestation populaire, comme aujourd’hui. A quelques jours du vote l’état de siège a été décrété, le Chef du gouvernement (Mouloud Hamrouche) renvoyé, et les dirigeants du FIS arrêtés, comme aujourd’hui les figures du « Hirak ». 

Un nouveau gouvernement dirigé par Sid Ahmed Ghozali ouvrit un dialogue avec les partis, accepta de revoir la loi électorale décriée et fixa l’élection à décembre avec la certitude qu’il la gagnerait. Il l’a perdit, Chadli Bendjedid fut contraint à la démission, l’état d’urgence fut proclamé et la décennie noire s’ouvrit.

Trente ans après, l’Algérie se retrouve dans la même configuration avec des manifestations populaires plus importantes en nombre et en couverture du territoire national qu’en 1991, un président imposé par l’armée et une Constitution rejetée par 80% du corps électoral. Autre différence en défaveur du pouvoir, en 1991 la Constitution bénéficiait d’un plébiscite populaire et le président de la République d’une légitimité incontestable.

Chadli avait annoncé la veille du scrutin qu’il accepterait le résultat de l’élection et a tenu parole. Il préféra partir au lieu de s’opposer à la volonté populaire. Aujourd’hui, Tebboune le mal-élu ne cesse de répéter à la volonté populaire que la nouvelle Assemblée verra le jour en juin prochain quel que soit le taux de participation, c’est-à-dire dire avec ou sans votants.

L’Algérie est certes habituée aux élections trafiquées et aux partis qui naissent majeurs, vaccinés et moustachus un mois avant de les gagner haut la main, mais pas dans un climat d’effervescence, en temps de pandémie, de précarité économique et de péril à nos frontières. 

Plus grave encore, la région centrale du pays, la Kabylie, qui n’a pas élu l’actuel président, qui n’a pas approuvé l’actuelle Constitution, et qui ne va pas être représentée dans les prochaines Assemblées va se retrouver en apesanteur, sans orbite, sans amarres avec l’Algérie.

Si le pouvoir est incapable de comprendre qu’il est en train de détacher en pointillés la Kabylie, qu’il va l’acculer à la sécession à long terme, il faut lui faire un dessin.

Je répète donc : l’Algérie sans la Kabylie est apparue clairement à la vue – à moins d’être aveugle – avec la non-participation de cette région à l’élection présidentielle, puis avec l’acceptation par le pouvoir des résultats du référendum sur la Constitution sans elle et, bientôt, avec sa non-participation à l’élection législative. Quand viendra l’heure des élections communales et wilayales (départementales) auxquelles elle ne participera vraisemblablement pas, elle aura achevé sa sortie du système institutionnel algérien.

Voilà à quel danger le pouvoir est en train d’exposer le pays car la Kabylie, en agissant comme elle le fait, n’a pas été brusquement saisie par le démon du séparatisme. Elle a pris le risque d’être ostracisée par le pouvoir par punition d’être restée fidèle au « Hirak » dont elle a été partie prenante depuis son déclenchement.

Le « Hirak » a aboli dès le premier jour les clivages ethniques et politiques entre Algériens et montré de manière éclatante leur désir de vivre ensemble, leur unité et leur aspiration à une Algérie moderne, démocratique et sociale en dépit des tentatives sournoises et nihiliste des réseaux zitotistes depuis l’étranger pour en faire un mouvement taliban. 

La notion d’ostracisme est apparue dans la Grèce antique il y a vingt-cinq siècles, et désignait le vote populaire par lequel les citoyens pouvaient bannir les hommes politiques tentés par le pouvoir tyrannique. Dans l’Algérie d’aujourd’hui, c’est le contraire qui arrive : quelques hommes de pouvoir peuvent décider de bannir de la vie politique une région de plusieurs millions d’habitants.

Je repose ma question de janvier 2016 en la pointant sur la conscience algérienne : « Si toute l’Algérie avait été la Kabylie, combien resterait-il à vivre au pouvoir ? La réponse est entre vos mains, Algériens et Algériennes des autres régions et de tous bords politiques et idéologiques. 

La Kabylie a fait ce qu’elle devait faire, c’est-à-dire aller jusqu’au bout de son engagement dans le « Hirak » pour une Algérie unitaire et meilleure. A vous de voir ce que vous devez faire pour qu’elle soit aujourd’hui l’incarnation de toute l’Algérie et éviter ainsi son exclusion de l’ensemble national. 

Il ne faut pas laisser le pouvoir la chasser de la Constitution, du Parlement et de la gestion de ses collectivités locales. Il ne faut pas la livrer à un face-à-face extrêmement dangereux pour l’avenir du pays. Nous devons, d’une frontière à l’autre du pays, refuser l’idée que l’Algérie puisse se retrouver un jour dans une guerre de sécession. 

Que vont être obligés de penser les forces vives de la Kabylie, ses figures politiques, intellectuelles et artistiques, ses centaines d’associations actives dans la région, le reste du pays et la diaspora ? Quelle sera leur réaction collective quand ils seront tous gagnés par le sentiment d’avoir été chassés de la vie du pays parce qu’ils ont manifesté aux côtés de leurs concitoyens pour la réalisation des idéaux de la Révolution du 1er Novembre 1954 ?

Ils se replieront sur eux-mêmes, chercheront à s’organiser avec leurs propres moyens, rêveront d’un autre avenir et voudront le construire comme alternative au sort que leur aura fait le pouvoir. Une conscience nouvelle apparaîtra et se développera en eux au fil des mois et des ans, donnant à penser à chaque Kabyle de Kabylie, du reste du pays et de la diaspora qu’il n’est pas concerné par les lois votées par une Assemblée nationale qui ne le représente pas. Il ne leur restera de liens officiels avec l’Algérie que la présence des forces de l’ordre en qui ils finiront par voir des geôliers

Ce n’est pas l’attitude du pouvoir envers eux qui les touchera le plus, ils connaissent sa cruauté pour l’avoir déjà subie, et savent de quoi il est capable pour maintenir le pays à sa botte. Ce qui les décevrait, les blesserait, les désespérerait, c’est l’indifférence de leurs compatriotes des autres wilayas, leur lâchage, leur désolidarisation.

Ce que le MAK n’a pas pu obtenir, Tebboune veut le lui offrir gracieusement, lui permettant de récolter infiniment plus qu’il n’a semé. Un large champ de manœuvres s’ouvrira devant les parties étrangères intéressées par la dissociation de la Kabylie de l’Algérie.

L’idée est connue et la tentation ancienne, elle attendait juste un alignement des planètes favorable. Et voilà que des artisans zélés et pressés de réaliser le vieux rêve de nos ennemis se présentent en la personne de Tebboune et des soutiens locaux et extérieurs de son projet de « nouvelle Algérie », une Algérie sans les Algériens, sans le vote des Algériens, sans le « Hirak » et sans la Kabylie. Une portion d’Algérie, quoi.

Il ne faut pas regarder les choses avec les yeux de maintenant mais de demain et d’après-demain, des temps de crise socio-économique à venir car l’Algérie va trembler sur ses fondements dans les prochaines années pour cause d’effondrement économique et de cessation de paiement. Elle ne trouvera autour d’elle que des ennemis prêts à la dépecer, on retournera contre elle les principes qu’elle a défendus (autodétermination des peuples, respect des minorités) et lui imposera ceux qu’elle déteste (droit d’ingérence, droits de l’homme, Accords d’Abraham).

Voilà où vont nous conduire les prochaines élections législatives si elles se tiennent contre le bon sens, l’avis du « Hirak », le vœu de la majorité de la population et, surtout, au prix de l’exclusion de la Kabylie de la vie nationale. Cela équivaudrait à une trahison nationale, à l’atteinte suprême à l’intégrité, l’unité, la souveraineté et l’indépendance du pays.

Ceux qui y auront participé seront considérés comme complices de la destruction de l’Algérie. Pour quels gains ? 

Ne serait-il pas plus sage, plus prudent, de reporter ces élections à l’après-dialogue avec le « Hirak » qui permettrait de trouver les voies et moyens de repartir d’un nouveau pied vers une meilleure Algérie, celle pour laquelle sont tombés les chouhadas ?

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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