Jeudi 22 octobre 2020
Médias au service des puissants (1)
Les médias «produisent» et commercialisent une marchandise singulière : l’information. Celle-ci doit rapporter revenus et profits aux multinationales des communications. La corporation des médias œuvre dans cette superstructure et sa fonction consiste à réguler le fonctionnement de ce système d’endoctrinement idéologique.
Il s’agit, pour ces scribes de l’information, de formater l’opinion publique citoyenne afin d’assurer sa soumission, pour tenter de désamorcer les récriminations politiques et annihiler les velléités subversives populaires. S’il faut faire la démonstration de la dévotion servile des grands médias témoignée aux puissants et à l’État, le traitement informationnel du Mouvement des Gilets jaunes de France aura été la parfaite illustration (1). De même, aujourd’hui, la transmutation des médias algériens en supplétifs idéologiques du nouveau pouvoir bouteflikien recyclé confirme cette propension pavlovienne des médias officiels à changer de maître sans subir aucune pression sur leurs chaînes ligotant ordinairement leur liberté d’expression complaisamment surveillée et muselée.
De toute évidence, cette posture obséquieuse des médias officiels révèle l’asservissement total des appareils idéologiques au capital. Depuis l’école, en passant par le cinéma et la littérature, jusqu’aux médias audiovisuels, internet et les médias sociaux numériques, tous ces appareils idéologiques de façonnement des esprits sont totalement monopolisés par le capital (ou l’État dans les pays dictatoriaux) pour lui servir d’instruments de propagande.
En France la majorité des médias est la propriété d’un petit nombre de grands groupes financiers, comme dans la majorité des pays du monde entier. La corporation médiatique, sectatrice dévote de l’idéologie de la liberté d’information, a tendance à expliquer le dévoiement et la soumission des plumitifs journalistiques par la concentration des entreprises médiatiques : « Dix milliardaires ont pris le contrôle d’une grande partie des médias français. Ces oligarques, venus du BTP, de l’armement, de l’industrie du luxe et de la téléphonie, ont accaparé les grands quotidiens nationaux, les chaînes de télévision et les radios, pour assoir leur influence. Avec à la clé, conflits d’intérêts, censures, pressions, licenciements, ingérence malsaine […] Cette concentration des moyens de production de l’information entre les mains de quelques-uns met en péril l’indépendance de la presse dans notre pays. Et porte ainsi atteinte au fonctionnement démocratique. Comment garantir la liberté de l’information et le pluralisme de la presse ? » s’indignait un scribouilleur effarouché officiant au sein d’un organe de propagande français, ayant pignon sur rue et du pognon plein les banques.
Or, comme on va le démontrer, ce n’est pas la monopolisation des médias par quelques groupes capitalistes qui expliquerait l’aplaventrisme légendaire des obséquieux journaleux des médias officiels, jamais à court d’idées complaisantes pour se vendre aux plus offrants, ni en défaut de flexibilité professionnelle courtisanesque pour se plier devant les puissants.
De fait, les médias opèrent ouvertement comme des organes du pouvoir financier et de l’État. Pour preuve : au cours de la révolte des Gilets jaunes, les médias français ont ignoré délibérément la violence sociale permanente imposée par les difficultés économiques, la violence entrepreneuriale des patrons, la violence des forces de l’ordre nazifiées perpétrée lors des manifestations, la violence de « terrorisme social » infligée à l’ensemble des travailleurs par l’État capitaliste totalitaire. Pour ces médias officiels aux ordres, cette violence n’existe pas.
Les plumitifs du capital sont conditionnés à ne voir que la violence circonstancielle et résiduelle matérialisée par la destruction de quelques vitrines de restaurants, de magasins ou de banques, les incendies de voitures, les tags sur les murs. Cette focalisation médiatique sur cette violence réactionnelle dérisoire a pour dessein d’escamoter les violences étatiques, politiques, économiques, sociales et carcérales, et corrélativement d’inverser les responsabilités et les culpabilités.
Il faut relever que ce comportement des serviles officiants médiatiques n’est pas télécommandé d’en haut, depuis le propriétaire milliardaire ou étatique jusqu’au banal chef de service journalistique. Il est l’œuvre de clercs totalement acquis à la défense de l’ordre existant dominant. Pour décrocher un emploi dans ces grandes entreprises de fabrication de la marchandise informationnelle maquignonnée et corrompue, ne serait-ce que comme pigiste, il faut avoir le profil de l’emploi : posséder la foi démocratique capitaliste chevillée au corps (prosterné), croire aux mascarades électorales ( à la démocratie totalitaire caporalisée comme en Algérie), partager les valeurs bourgeoises libérales (ou féodales despotiques pour les pays du Tiers-monde), être pétri de la fibre patriotique belliqueuse (de la foi islamique tyrannique et inquisitoire pour les pays musulmans). En résumé, avoir une personnalité servile et une âme vile.
Aussi, assuré de recruter des agents formatés selon ces valeurs dominantes libérales bourgeoises (pour les pays dits « démocratiques ») ou féodales obscurantistes (pour les pays totalitaires), quel besoin le milliardaire (l’État) propriétaire de médias aurait-il de manœuvrer ses valets journalistiques ? Ils lui sont instinctivement dévoués. Souvent, avec un zèle fanatique. Qui plus est, il est de peu d’intérêt de constater que dix milliardaires contrôlent 80 % des moyens d’information-propagande-aliénation en France (comme dans d’autres pays).
Seraient-ils cinquante, le résultat serait le même. Et rien ne changerait en termes d’autocensure que s’imposent journalistes et directeurs de rédaction pour conserver leur emploi, servir leurs maîtres. Ce qui importe d’observer, c’est dans quel secteur économique ces milliardaires ont investi leur capital. Ce sont des marchands d’armes, des magnats de la construction, des marchands de produits de luxe et de la grande distribution.
Quoi qu’il en soit, avec la révolte des Gilets jaunes, comme avec la période actuelle post-hirakienne en Algérie, les dernières illusions sur la prétendue liberté de la presse ont volé en éclat. Et les journalistes, définitivement éclaboussés. Le peuple ne croit plus ces menteurs professionnels stipendiés. Les médias eux-mêmes ont pris conscience de cette discréditation, disqualification, cette débâcle éthique et déontologique. Il faut souligner, au passage, qu’on assiste au même phénomène de discréditation en Algérie. Les médias algériens, ces caméléons dénués de moralité, après avoir longuement servi obséquieusement le prétendant pharaon Bouteflika, ensuite épaulé un moment le Hirak à ses débuts, se sont mis promptement au garde-à-vous informationnel pour s’enrôler au service de l’État-major de l’armée, en particulier du défunt Gaïd Salah, avec une ardeur courtisanesque inégalée, en vue de mener contre le peuple algérien révolté une guerre de désinformation et de propagande. Aujourd’hui, ils continuent leurs basses besognes propagandistes au service du nouveau pouvoir rafistolé.
Voilà une conséquence majeure salutaire de la révolte des Gilets jaunes, comme du Hirak algérien. Cette crise de confiance s’explique, selon la majorité des Français, par le manque d’indépendance des journalistes vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Environ deux tiers de l’opinion publique jugent que les journalistes ne sont pas indépendants, ni du pouvoir politique, ni du pouvoir économique. Depuis quand un salarié est-il indépendant de son employeur ? En vérité, dans le système capitaliste, tout salarié est asservi à son patron, autrement dit c’est un esclave rémunéré, et à ce titre ne dispose d’aucune liberté au cours de sa phase d’exploitation, c’est-à-dire son temps de travail aliéné. Il est corps et âme dévoué à son maître à qui il doit docilité, obéissance, soumission. Une fois franchi le portail de l’entreprise, tout salarié perd sa liberté (de pensée, de conception, d’élaboration, de programmation, de décision : facultés totalement monopolisées par Son patron). Il est dépossédé de soi. Il appartient corps et âme à son maître employeur qui lui impose le planning de production, lui dicte le rythme de travail, lui prescrit les tâches à exécuter, lui assigne les objectifs commerciaux, lui ordonne de fournir une rentabilité toujours performante. Heureux l’esclave d’antan qui ne s’enorgueillissait pas de sa condition sociale servile, conscient de son assujettissement forcé. Aujourd’hui, l’esclave-salarié est fier d’exhiber son contrat d’asservissement professionnel, sa fiche de paie d’aliéné heureux, fier de ses quatre semaines de vacances octroyées par son patron, par ailleurs employées à enrichir les capitalistes du secteur de loisirs par ses dépenses consuméristes.
« La confiance dans les médias à son plus bas historique en France », avait titré la chaîne de propagande BFMTV. Le journal Le Monde, l’organe officieux de l’État impérialiste et antisocial français, avait écrit au moment de la révolte des Gilets jaunes : « Selon les trois quarts des sondés, les journalistes sont jugés trop dépendants du pouvoir politique. Une critique entendue fréquemment au sein du mouvement, qui préfèrent les Lives sur Facebook pour contrôler leurs propos et se méfient des porte-paroles, comme de toute médiation. »
Même l’audimat de la télévision est en chute libre. Média jusque-là préféré des Français pour s’informer, la télévision recueille un niveau de confiance de seulement 38 % (-10 points en un an). La presse écrite s’effondre à 44 % (-8 points). Pareillement, les réseaux sociaux subissent la même érosion en matière de confiance. En effet, on pouvait penser que les activistes font confiance à internet, à Facebook, à Google, aux médias du net. Or, la même suspicion de collusion avec les puissances d’argent s’exprime à l’égard des organes dominants de la Toile.
Preuve du pouvoir de nuisance des médias consécutivement à toute révolte populaire : les calomnies colportées sur les Gilets jaunes. Dans le sillage de toute la presse française, Le Monde avait propagé sans discontinuer la fable selon laquelle les Gilets jaunes étaient affiliés idéologiquement à l’extrême-droite. Mais ce mensonge n’ayant pas eu l’effet escompté, les médias français ont agité le sempiternel épouvantail lucratif de l’antisémitisme.
Le Monde du 20-21 janvier 2019 avait titré : «Les Gilets jaunes, terrain d’influence pour la nébuleuse complotiste ». On pouvait y lire : « des figures conspirationnistes de l’ultra-droite se servent du mouvement », « les dérapages se sont multipliés depuis le début du mouvement », « la colère contre les institutions démocratiques est le résultat d’une entreprise idéologique », « ces obsessions complotistes antisémites autour de Macron et de la banque Rothschild s’affichent désormais dans les cortèges », « en se servant du mouvement né le 17 novembre pour démultiplier leur influence, les complotistes et antisémites liés à l’extrême droite gagnent en visibilité depuis plusieurs semaines. » Et de conclure : « Le jour de l’acte X, des figures complotistes et antisémites et d’extrême-droite se sont finalement données rendez- vous ».
Ainsi, parce qu’il avait osé défier courageusement la classe dominante, le Mouvement des Gilets jaunes a été outrageusement calomnié. Pour accréditer l’imposture de l’antisémitisme, les médias avaient brandi des images d’un fait divers où un dénommé Finkielkraut, philosophe de son État bicéphale, avait été traité de sioniste par un manifestant. Aussi, pour accuser l’auteur de l’apostrophe d’antisémitisme, les médias français avaient prétendu que la qualification de sioniste serait assimilable à de l’antisémitisme.
À l’époque actuelle, à la faveur de la crise sanitaire du Covid-19, les médias joue un rôle négativement déterminant dans la propagation et la perception des risques et des conséquences potentielles liés au coronavirus.
En effet, les professionnels de l’information, en particulier les journalistes, avec leur traitement de l’information délibérément catastrophiste, contribuent, depuis le début de l’épidémie, au processus d’amplification de la perception anxiogène de la crise sanitaire du Covid-19.
En tout état de cause, une récente étude, effectuée pour les Assises du journalisme de Tours en partenariat avec France Télévisions, France Médias Monde, Le Journal du Dimanche et Radio France, publiée le 26 septembre 2020, a montré que l’opinion des interrogés envers les médias couvrant la crise du coronavirus est très défavorable.
Le constat est sans appel : les médias sont sévèrement jugés par l’opinion. Ils sont 60% à juger la couverture médiatique de la pandémie de Covid-19 excessivement anxiogène, a indiqué l’étude Via Voice. Concernant la manière dont les médias ont couvert l’information, 43% des sondés ont estimé que les médias ont alimenté la peur de la pandémie, et 32% ont pensé qu’ils l’ont exploitée pour faire de l’audience. Enfin, l’étude ViaVoice montre que la crise sanitaire et son traitement médiatique auront des conséquences dans le rapport des Français aux médias. Un véritable climat de défiance s’est manifesté vis-à-vis du gouvernement et des journalistes.
Mesloub Khider
1- Autopsie du Mouvement des Gilets jaunes, Éditions L’Harmattan, 2019