23 novembre 2024
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Le devenir de la Nation se décide et l’opinion s’interroge !

TRIBUNE

Le devenir de la Nation se décide et l’opinion s’interroge !

«La politique du pire ne réussit qu’à créer les conditions de ce qu’elle fait semblant de combattre», Jacques Attali.

Il y a des jours où on aimerait voir que le côté positif des choses : avancer son travail personnel et celui de son équipe, s’informer et échanger sur l’actualité ; s’enthousiasmer pour la lecture, les films, le cinéma, la musique, le sport et les soirées passées avec la famille et les amis. A côté de ça, on ne peut plus ignorer et ne pas écouter les informations émanant de plusieurs horizons qui caractérisent les singularités algériennes parfois allant jusqu’aux actes de vandalisme et à des appels de guerre en l’absence d’éthique politique, d’une responsabilité citoyenne individuelle et collective, d’une conscience intellectuelle et de l’autorité.

Pour ne reprendre que les trois nouvelles de ces dernières semaines : celles liées à la position confuse et peu pédagogique de certains acteurs politiques sur le projet portant sur la révision de la Constitution, celle de la guerre des langues (du français en particulier) et celle de la haine qui se déverse sur la Toile comme une pluie battante, qui divisent et qui exaspèrent les Algériens.

En règle générale, la souveraineté nationale s’exprime par la Constitution qui veille à ce que celle-ci reste une et indivisible. Les axes principaux d’une Constitution moderne et républicaine sont conçus de sorte à faire que le peuple soit le seul maître de son destin. En d’autres termes, seul le peuple est invité à élire ses représentants par la voie des urnes à tous les niveaux local, régional et national.

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Une fois élus au suffrage universel, les représentants du peuple deviennent alors les dépositaires légitimes de cette souveraineté nationale. C’est de cette pratique démocratique que l’ensemble du système institutionnel (mairies, wilayas, assemblée nationale, sénat, …) qui en résulte forme un État de droit plus représentatif, dans lequel la puissance publique est soumise au respect de la norme suprême et juridique qui est la « Constitution ».

En revanche la formation d’une Nation trouve sa source dans un ensemble plus complexe formé à partir des liens qui donnent le sentiment d’une appartenance commune et collective à un même territoire, une même histoire, une même culture et religion. Et parfois, la Nation est imposée par des institutions étatiques d’une manière démocratique ou pas d’ailleurs. Aujourd’hui, la plupart des peuples sont fiers d’appartenir à leurs Nations. Les Américains se forment en Union de plusieurs États et ils parlent un anglais-américain.

Les Égyptiens sont fiers d’être pharaons (et non arabes) mais ils parlent l’arabe. L’Indonésie est le plus grand pays musulman mais qui ne parle pas arabe. On peut citer plusieurs pays dans le monde qui ont su adopter le bon sens de la Nation sans se faire du mal.

Soixante ans après l’Indépendance, les Algériens se cherchent toujours une appartenance commune (et de préférence externe), et ils parlent toujours de la Nation Arabe sans parler de la Nation algérienne, de la langue arabe sans parler de l’arabealgérienne et ils méprisent la richesse de leur identité amazighe, de son histoire glorieuse et de sa diversité culturelle au lieu d’en faire une force, c’est tout le problème ! Comme vous l’avez lu, il est important d’établir une véritable Constitution où tous les algériens se reconnaissent pour le devenir de notre Nation si on veut éviter les erreurs du passé pour les générations futures.

Alors pourquoi les politiques tournent le dos à la révision du projet constitutionnel appelé « Nouvelle Algérie » porté par le Président Tebboune ? Avec la Constitution de Chadli en 1989, on a créé plusieurs partis politiques de gauche, de droite, des démocrates, des socialistes, des républicains, des communistes et des islamistes.

Avec des amendements et des décisions juridiques conçues sur mesures, on a retiré l’agrément à un parti menaçant la stabilité de l’État et l’existence de la Nation. Cette erreur des politiques, s’appuyant sur un vide constitutionnel d’origine volontaire ou pas, a coûté trop cher à notre patrie : 200.000 morts et plusieurs milliers de disparus.

La tragédie nationale est due en partie aussi à la responsabilité de la classe politique qui développe un discours de la haine et de rejet de l’autre. Les meetings et les débats politiques se terminent souvent par des insultes et des injures entre militants et représentants des partis. On a vécu des scènes de violence, des femmes menacées et invitées de force à porter le voile, des islamistes qui se transforment en charlatans, un leader politique habillé en uniforme de militaire, des appels à la violence et aux changements vestimentaire et alimentaire, des démocrates qui applaudissent les militaires… Cependant, il est possible d’éviter de reproduire les mêmes erreurs si le périmètre de réflexion sur la nouvelle révision de la Constitution est donné aux experts en droits et élargi aux partis d’opposition et aux représentants de la société civile. Et avec un débat démocratique cette réforme pourra transformer le débat politique vers un vrai débat d’avenir.

Pourquoi alors ne profite-t-on pas de cette opportunité pour corriger nos erreurs ? A moins que ce nouveau projet vise seulement à consolider un pouvoir fragile en quête de popularité. Dans ce contexte et avec une qualité rédactionnelle accompagnée d’un humour à l’algérienne, Nour-Eddine Boukrouh (le mufti malgré lui) dans une publication intitulée « L’Algérie : a-telle besoin d’une constitution ? » apparue le 17 mai 2020 dans votre journal s’interroge aussi sur l’utilité de cette réforme.

En s’appuyant sur le retour des expériences liées à l’application des constitutions des Présidents (Ben Bella 1963 ; Boumediene 1976 ; Chadli 1989 ; Zéroual 1996 et Bouteflika 2008), Boukrouh répond à Nour-Eddine (à lui-même) et à la question qui titre sa publication par un « non » affirmatif. Selon lui aucune des cinq constitutions n’a servi à quoi que ce soit. Ni au peuple, ni au président (désigné, élu ou pas) de couler des jours meilleurs jusqu’à la fin de son mandat, ni au pays de se développer sur le plan économique et culturel. Donc pourquoi en faire une autre de plus ? Saïd Sadi (le fugitif malgré lui) dans sa publication intitulée « Révision de la constitution. Pack de survie du régime » publiée sur sa page Facebook le 13 mai 2020 note que l’opinion publique qui a fait de cette initiative un non-évènement ne s’y est pas trompé.

Selon lui, la proposition de la révision n’est rien d’autre que la méthode imposée par Boumediene en 1976 pour consolider son régime qui ne peut s’appliquer de nos jours pour affronter des problèmes de société qui ne sont pas de même nature. Sadi s’interroge : pourquoi le pouvoir perd encore son temps dans ce projet de réforme au lieu de résoudre les vrais problèmes d’actualité qui se posent à lui ? Abderzak Makri (l’hypocrite malgré lui) suggère de criminaliser l’usage du français dans l’administration. Carrément ! Il est révélé dans la presse que ses enfants ont été envoyés à l’étranger, comme le cas d’un bon nombre d’enfants des responsables politiques, pour étudier en français. Etrange attitude ! Ce responsable assume pleinement son rôle de courtisan et d’allié indéfectible au régime de Bouteflika, et il a soutenu de toutes ses forces et intérêt la candidature de Bouteflika au 5e mandat avorté par la mobilisation citoyenne.

En Algérie, le pouvoir dans ses traditions n’hésite pas à utiliser la question linguistique pour rallier des soutiens populaires. A titre d’exemple, il a toujours utilisé les islamistes (défenseurs de l’arabe) pour contrer les berbéristes (défenseurs de Tamazight) et inversement.

L’annonce de Makri a suscité un véritable tollé d’indignation des internautes sur les réseaux sociaux. Nul ne peut balayer d’un revers de la main une histoire d’occupation commune de 132 ans entre les deux pays appartenant au même espace méditerranéen. Cette initiative qui arrive à la veille de la révision est introduite pour affaibli le mouvement citoyen « le Hirak » muni en Kabylie (les réactions virulentes à ces propos sont tenues en grande partie par les habitants de cette région du pays) comme le cas de l’arrêt de plusieurs jeunes à travers tout le pays pour avoir affiché des caricatures sur leurs pages Facebook en période de confinement.

Selon Mediapart, l’Algérie figure à la 146ème place sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse en 2020 et elle a reculé de 27 places par rapport à 2015 (119ème), établi par Reporters Sans Frontières (RSF). Si on se glisse dans l’histoire des cinq Constitutions qui ont conçu le paysage politique de l’Algérie indépendante comme l’a fait Nour-Eddine Boukrouh. Avec celle de Ben Bella (1963), la victoire de l’Indépendance est volée et confisquée au peuple ; naissance d’un seul drapeau, parti politique et pensée uniques, et le pays s’engage dans l’application de la politique nassérienne. Avec Boumediene (1976), c’est la légalisation de la dictature, la primauté du militaire sur le civil et la nationalisation des richesses.

Avec Chadli (1989), c’est l’arabisation, l’islamisation, les crises d’ordre politique, social et économique, et le multipartisme. Avec Zéroual (1996), c’est le terrorisme, la guerre civile et les luttes claniques au sommet de l’État conduisant le Président à écourter son mandat. Avec Bouteflika (2008), c’est la monarchie républicaine, la généralisation de la corruption et la naissance de la issaba. L’arbitrage et le laxisme de tous ces régimes ont conduit à la naissance de plusieurs phénomènes inquiétants (désobéissance civile, violence, haine et racisme) qui font défaut à la démocratie et à la Nation comme l’illustre parfaitement la citation de Jacques Attali indiquée au début de cette contribution.

Le pouvoir affiche sa volonté molle (et douteuse) de faire face aux problèmes qui lui sont posés mais en réalité il crée volontairement les conditions qui divisent ses citoyens. A cela s’ajoute l’émergence de nouveaux phénomènes plus dangereux tels que ceux de la députée qui déverse en toute impunité sa haine, son racisme et appelle à l’extermination des Kabyles ; celui du jeune qui profane publiquement une fresque au centre d’Alger et celui de l’imam qui considère que la fatwa émise par le ministère permettant d’avancer la zakat avant l’Aïd El-fitr est une aumône dont il faut s’acquitter, ne font qu’aggraver une situation déjà fragile.

J’ai honte de citer les noms de ces personnes, elles se reconnaitront. Les exemples de ces étranges agissements qui bouleversent profondément la nature des luttes politiques à venir sont nombreux, et malheureusement ils trouvent des soutiens à visage découvert partout dans le pays. Les trois auteurs de ces actes odieux ont un seul dénominateur commun, ils sont tous victimes de l’arabisation et de l’islamisation qui trouvent ses appuis dans la Constitution actuelle.

Ainsi, l’exclusion du français de l’école aura des conséquences négatives et irréversibles sur le devenir de la Nation algérienne et nos enfants auront encore plus de mal à prendre en mains leur destin. L’intégration de cette langue n’implique pas la dépendance à la France. Le problème de la colonisation est réglé en 1962, c’est celui de l’arabisation et de l’islamisation qui pose problème et qui freine le développement. La production de connaissances et la formation des jeunes générations sont une richesse qui ne doit pas être confinée et appauvrie par l’arabisation.

Néanmoins, les langues nationales l’arabe, l’arabe algérien et tamazight doivent être encouragées et développées mais sans qu’elles soient généralisées aux domaines scientifiques, techniques et de l’ingénierie. Criminaliser le français à l’école et à l’administration revient à étouffer une voix d’une Algérie radieuse et vivante, portée jusque-là par ses enfants écrivains (qui réfléchissent algérien), dans le monde de la modernité et de la civilisation.

Dans le monde moderne et universel, toute l’histoire de la démocratie a consisté à laïciser les principes fondamentaux et moraux du monothéisme (cas de la Turquie, pays musulman) à confiner la loi divine dans la sphère personnelle et privée, pour permettre à la loi humaine de gérer au mieux les problèmes sociaux où chaque citoyen y est libre d’obéir (ou pas) à la loi divine en plus de la loi constitutionnelle. Cette dernière doit être assez claire et exigeante pour encadrer et interdire tout comportement religieux contraire à l’ordre public afin d’éviter à nouveau la tragédie des années 90 ainsi que les comportements les plus idiots (cités ci-dessus) qui reviennent en force sur la scène publique ces derniers temps.

Cet élément n’est pas pris en compte dans le nouveau projet de la Constitution, car celui-là reproduit à l’identique l’article 2 de l’ancienne Constitution de Chadli de 1989. Le résultat est tragique et désolant, vous le connaissez toutes et tous (200.000 morts dans des conditions inhumaines : têtes coupées et arrachées, femmes violées et éventrées, bébés brulés vifs …), sans parler des séquelles liées au traumatisme de cette tragédie.

Suggérant à la société civile, via une nouvelle révision, de se soumettre à la fois à la loi d’Allah et celle des hommes c’est de participer à l’extension d’un tsunami communautariste et meurtrier qui déferle sur notre pays. Décidément, le pouvoir ne tire aucun enseignement des crises précédentes et des demandes de la contestation citoyenne, il n’en fait qu’à sa tête ! Pour un avenir serein vis-à-vis de nos enfants, il est urgent de mettre fin à de telles dérives. L’islamisme est une idéologie, l’islam est une belle religion et la grandeur de la politique n’est ni de nier Allah ni de le défendre.

En une phrase, si les réformes économiques et constitutionnelles portées par le projet « Nouvelle Algérie » sont semblables à celles d’avant, nous serions incapables de bâtir un pays et de fonder une Nation. 

Auteur
Mourad Khelifa

 




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