Mardi 2 juin 2020
SpaceX, l’espace n’est plus un bien commun de l’humanité
Un événement historique vient de se produire dimanche 31 mai. Pour la première fois une fusée entièrement financée par une entreprise privée a été lancée avec succès pour rejoindre la station spatiale en orbite terrestre. Entre le rêve et l’inquiétude, le sentiment est mitigé.
J’étais un trop jeune enfant pour me souvenir du célèbre « Bip Bip » du premier satellite jamais lancé par l’être humain au-delà de l’attraction terrestre, celui de Spoutnik par l’URSS. Puis, suite à cet affront, le Président Kennedy avait promis qu’un américain irait sur la lune dans les dix ans à venir.
Vint le temps de l’adolescence et je fus assez mature pour suivre la fabuleuse épopée des fusées Gemini puis des fusées Apollo qui finirent par concrétiser la promesse de Kennedy. Aucune autre génération que la mienne ne saurait être autant magnétisée par l’exploit de la conquête de l’espace parce qu’elle a vécu sa naissance et lu Jules Verne ou Hergé dans les années précédentes.
Mais l’étape que nous vivons ne laisse pas non plus indifférent quant à certaines inquiétudes, tout au moins à des interrogations. Remettons l’exploit de SpaceX dans un contexte élargi qui nous donne une perspective plus raisonnée, au-delà de la première sensation spontanée d’enthousiasme et de rêve.
Le « rex nullius » vole en éclat
Tout avait bien commencé, pourtant dans un climat de défiance internationale. Le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’ONU avait fini par rédiger en 1959 les grands principes du droit international le concernant.
Les éléments de l’accord devaient trouver une forme plus juridiquement engageante avec le texte de résolution de 1966 affirmant le principe de non militarisation de la Lune et des corps célestes. L’accord prévoyait ainsi l’interdiction de la mise sur orbite d’armes nucléaires.
Un traité fut signé en 1967 sur cette base par les trois grandes puissances qu’étaient les États-Unis, l’URSS et la Grande Bretagne. La France rejoint le traité en 1970.
Ainsi le traité fut érigé en loi internationale car, il faut le reconnaître, seules ces grandes puissances pouvaient accéder à l’espace. Le traité repose sur la très ancienne règle romaine de « rex nullius » (aucun propriétaire à une chose). Une notion juridique qui est encore répandue dans le droit contemporain de nombreux pays, y compris la France, profondément imprégnée dans son code civil par le droit romain.
Ce concept juridique est également présent, à quelques nuances près, pour la haute mer hors des zones territoriales ainsi que pour l’antarctique. Le continent est dorénavant un lieu appartenant à la science et à la préservation des espèces, c’est à dire un bien commun de l’humanité.
Mais voila qu’une déflagration allait détruire cet esprit consensuel qui avait fait croire à l’humanité qu’il existait des espaces de forte solidarité et de coopération au nom de l’intérêt vital de son existence.
En 2015, Barack Obama signe le Space Act. Les termes de la loi replacent le droit américain sur un autre chemin. Ils réglementent différemment les conditions d’un éventuel vol spatial privé et commercial ainsi que l’industrie minière qui voudrait investir dans l’exploitation des richesses des astres, depuis la Lune jusqu’aux astres les plus lointains.
C’était le point de départ qui légalise le projet futur que sera celui de SpaceX car nul ne doute qu’il s’agit là d’une première étape. Le propriétaire de SpaceX n’a jamais caché que son objectif à terme était Mars. On comprend que les intentions d’une firme privée qui investit tant ne soit pas seulement d’ordre touristique.
Nous voilà donc à la fin d’un rêve universel et le retour à la féroce compétition mondiale.
Le sursis par la contrainte financière
Depuis l’accord international de 1967, vu les conditions géopolitiques du monde, la question n’était pas si celui-ci devait exploser mais quand ?
Ce fut donc fait en 2015, Barack Obama n’ayant en fait qu’entériné un vieux projet américain qui était dans les cartons.
Qu’est-ce qui a retardé son exécution ? Tout simplement le coût colossal de l’industrie spatiale qui ne pouvait être le fait de sociétés privées. Seuls les États des grandes puissances mondiales de l’époque pouvaient prévoir des budgets de cette dimension et en posséder les compétences.
La célèbre agence de la Nasa est financée et contrôlée par le budget fédéral. D’ailleurs, au passage, la gestion de ce budget fut l’une des rares compétences directes accordées au Vice-Président américain.
SpaceX et son propriétaire milliardaire, Elon Musk, allaient avec cette loi non seulement trouver une opportunité mais aussi profiter considérablement des acquis. Les savoirs, les technologies, les investissements de recherche ainsi que les leçons des nombreux échecs (même mortels) déjà acquis ont ouvert le chemin d’un capital-risque plus raisonnable, en tout cas à la hauteur d’investissements privés.
Les raisons du revirement
Les raisons sont multiples, nous en retiendrons deux qui sont reliées. Lors de l’enthousiasme universel de l’accord pour sortir l’espace de la compétition des États, l’humanité était à des années lumière de s’imaginer la progression exponentielle qu’allait connaître la science et l’industrie spatiale.
Les deux grandes puissances avaient déjà fort à faire avec leur féroce compétition du moment pour se projeter dans celle de l’avenir spatial qui n’avait pas encore les contours qu’il a aujourd’hui ni les moyens technologiques de réaliser l’investissement.
La seconde raison tient à la montée concomitante du développement d’un autre géant qui s’est lancé dans l’industrie spatiale, la Chine. Tout cela a fait renaître les appétits des États.
Les matières premières disponibles dans les astres sont considérables. Ce n’est pas l’idée de les ramener sur terre qui est conceptualisée, ou pas encore, mais bien celle de disposer de ressources dans un territoire que l’être humain devra habiter dans le futur. De gros besoins se feront alors ressentir. La notion de réserves stratégiques a toujours été au cœur des politiques américaines pour assurer la survie du pays tout autant que sa prospérité.
Cette idée s’est amplifiée avec la mission Rosetta de l’Agence européenne spatiale qui a décollé en 2014, juste avant la signature du Space Act par le congrès américain. La fantastique réussite de la mission a justifié à posteriori les craintes américaines et la certitude qu’il était utile de prendre la première place dans la nouvelle conquête spatiale.
En effet, si les astres recèlent des matières premières, les comètes ont prouvé de longue date leur grand potentiel car elles ont apporté à notre Terre la vie et la richesse minérale qui fut indispensable au développement de l’humanité.
Nous voilà donc repartis pour la compétition après quelques décennies de croyance en un rêve universel.
Mais la compétition n’est-elle pas aussi ce qui génère la prospérité ? Oui à la condition d’être encadrée par des lois de pays démocratiques.
En conclusion, nous pourrions dire que l’aventure SpaceX va nous prouver encore une fois que les grandes aventures sont le fait de la compétition privée. Il faut se réjouir de ces avancées qui, au final, profiteront à l’humanité.
Mais il n’est pas interdit, comme nous l’avons fait dans cet article, de toujours avoir un œil sur le mécanisme privé qui peut à tout moment dévier de l’intérêt général. Le capitalisme nous a enseigné la nécessité d’une grande prudence à son égard même s’il a prouvé son apport au développement des peuples.