Jeudi 14 mai 2020
Idir ou la culture des humbles
«Il faut tout un village pour élever un enfant», dit le proverbe africain.
L’œuvre de Idir est une alchimie géniale, c’est le mélange de quatre éléments l’eau, l’air, la terre et le feu. En somme ? c’est le style, la fiction, le milieu et le message que j’essayerai de développer explicitement plus loin, car elle représente le contraire de l’inanité et de la rodomontade qui touche aussi bien le païen que le pastophore .
Ce réactif autant dire qu’il est impossible d’en extraire les constituants une fois amalgamés, et c’est tout le secret de la création artistique qui capte notre imaginaire, annule les frontières et dépasse nos différences culturelles pour s’élever, en faisant d’un conte populaire kabyle, un hymne universel qui célèbre la vie, la jeunesse, la culture et l’espoir.
Cette poésie résonne dans l’éternité avec des mots simples mais bien choisis, pesés, ciselés dans un équilibre tel que la mobilisation de nos sens est immédiate, et fait office de vibration, d’une onde qui touche une fibre sensible, établit des ponts entre les peuples, utilise la culture comme vecteur et la langue kabyle comme porte-étendard, de cet humanisme qu’il incarnait si bien dont le but ultime résidait dans la transmission, la générosité et le don de soi.
Il serait donc réducteur de considérer Idir comme seulement un artiste aguerri, ça serait manquer de lucidité devant celui qui célèbre la femme en général, qui défend sa culture et sa langue au-delà des frontières physiques de son village et de son pays, de cet ambassadeur humaniste qui fuit les lumières artificielles pour briller parmi les étoiles, de celui qui trouve et montre le chemin de l’humilité incarnée, de cette figure de héros qui ne revendique pas ces attributs, ni matamore, ni faux brave. Il est de ceux qui tirent leur révérence le sourire aux lèvres, de ce citoyen du monde à la voix qui porte.
Comme il incombe de faire vivre sa mémoire et son œuvre, il serait judicieux de revenir aux sources pour célébrer la légende et ne pas faire offense à cet héritage qui est le notre maintenant en contemplant la genèse de ce géologue de formation qui a trouvé sa pierre philosophale et qui a transformé tout ce qu’il a touché en or dans le pays du bijou argenté.
Sa région
Ath-Yenni, région natale d’Idir, n’est pas seulement une fabrique de bijoux notoirement connue pour la dextérité de ces artisans bijoutiers. Mais leur savoir-faire remonte loin dans l’histoire avec un passé glorieux datant de la période turque. Ces derniers excellaient dans les Arts comme moyens d’expressions et dans l’artisanat érigée en économie locale pour faire face à l’oppression des dominants du moment.
Ce moyen de subsistance assurait une source de revenus non négligeable dans une région enclavée et exposée à la misère. L’armurerie et la fausse monnaie étaient une pratique courante d’un savoir faire orienté et destiné à résister à un autre colonisateur, un de plus dans l’histoire millénaire des Berbères qui accouche de son Histoire ancestrale des hommes de destin qui forgent aussi bien les peuples que les âmes.
Idir par sa clairvoyance et son instinct affûté de poète avait saisi les contours de sa culture forgée sous le poids des épreuves, de l’adversité et les méandres du temps. Il ne pouvait qu’être le digne fils de celui qui a avait compris que la vie était un partage dans notre relation à l’autre.
Mais, il n’en demeurait pas moins que c’était aussi un village situé entre deux vallons ou l’olivier et le figuier sont bien installés et ont une place de choix, ayant le Djurdjura comme seul témoin, et il n’en fallait pas plus pour élever des Hommes, car il y’en a eu et pas des moindres.
Certains étaient précepteurs de princes, la famille Mammeri notamment, alors que d’autres avaient la colline comme royaume. Mais, les uns ne contredisaient pas les autres car on est dans l’esprit de l’être collectif et de l’altérité. L’artiste le savait que trop bien bien et s’est donné la mission de le raconter à sa manière. Si ingénieuse, si subtile, si empruntée alliant le conte et la légende, réconciliant le présent et le passé, sans jamais insulter l’avenir et sa modernité.
Ses belles histoires magnifiées devenaient une philosophie de vie teintée d’une sonorité atemporelle et joyeuse, elle servait aussi d’autres desseins plus existentiels voire plus urgents pour entretenir la mémoire collective et perpétrer la tradition. Il avait tenu à être à la hauteur de cet héritage si lourd et si important à la fois tout en gardant son humour alerte et tranchant bien de chez nous qui consistait à traiter la gravite de l’existence par la légèreté de l’âme.
Sa naissance
Né dans un petit village, l’enfant d’Ath-Lahcène est tombé dans la marmite très tôt. Tel un rite, son initiation passe par les contes et la poésie via le matriarcat de sa mère et de sa grand-mère. Il en fut heureux de baigner dans cette culture et de cet amour, ou il laissa voguer se belle imagination.
Sans doute que Vava Inouva des origines a pris forme très tôt dans la tête de cet enfant précoce, sans que le destin n’interfère, ni trop tôt, ni trop tard, car ce dernier choisit bien ces moments ; et ne contrarie pas l’innocence des premiers balbutiements.
Le remplacement de la grande chanteuse Nouara à une émission de radio à pied levé n’est qu’une preuve éloquente du destin du petit Hamid Cheriet qui allait devenir Idir.
Lui-même disait que « c’est la musique qui m’a choisi et non le contraire ».
Après une scolarité exemplaire dans le parfait sillage de ses aînés. Cette philosophie venait refléter l’esprit de toute une région, à croire à la réussite et à l’ascension sociale via l’école, le savoir, l’esprit critique, et la valeur travail dans tous les domaines.
Cela montrait déjà l’enracinement de la tradition et la quête de l’universel, qui mettait en exergue le pragmatisme de cette culture locale. Cette philosophie de vie venait couronnait la plasticité et l’intelligence de l’enfant-Roi choyé par tout un clan ou la logomachie n’avait pas sa place sous le regard bienveillant d’un aïeul.
Dans un univers ou les apprentissages se faisaient au rythme des balancements des barattes et du métier à tisser qui élargissait les horizons de jour en jour tout en s’enracinant dans les profondeurs de cette terre bénie ou le futur n’est qu’une continuité d’un passé qu’on attelle à bâtir tous les jours.
Vive Ath-Yenni, Vive la Kabylie et Vive l’Algérie.