23 novembre 2024
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Saïd Sadi : fièvre corona et congélation politique

TRIBUNE

Saïd Sadi : fièvre corona et congélation politique

On sait que, pour l’heure, il n’y a ni vaccin ni médicament contre le Covid-19. Peut-il y avoir une thérapie pour le malheur algérien ?

Tout en faisant face à la crise actuelle avec des fortunes diverses, des gouvernements de pays développés, surpris par des politiques industrielles hasardeuses qui les ont mis en situation de pénurie et de dépendance en matière de moyens de protection, se projettent déjà dans les perspectives post-pandémie.

Les analystes comme les logisticiens s’accordent à dire que les productions économiques, les stratégies de communication, les politiques fiscales, les prévisions environnementales, les redistributions de la richesse commune voire l’organisation de la représentation nationale sont appelées à être profondément revues ; certains d’entre eux n’hésitent pas à estimer qu’elles devront être réinventées.

Dans les nations où le citoyen arbitre la vie publique, l’épidémie a provoqué un séisme dont les conséquences probables sont assimilées à celles qui ont accouché du monde né au lendemain de la deuxième guerre mondiale. C’est dire la gravité et le sérieux avec lesquels est appréhendée la profondeur du choc.

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Dans notre pays, plus que jamais exposé aux impérities d’un système de violence et de prédation, la gestion anachronique perdure dans un amateurisme dont l’indolence, ou, plus exactement, l’inconscience, défie tout entendement.
Comme aux plus sombres heures de l’ère glacière, le téléphone judiciaire continue de sonner, broyant les vies de contestataires pacifiques, souvent jeunes, et la censure abrupte rappelle que le tolérable et l’interdit relèvent du fait du prince.

Le système de santé est miné depuis longtemps par une formation qui a provoqué une hémorragie dans le corps médical; plus de 15000 praticiens algériens exercent dans la seule région de l’Ile de France. La bureaucratie archaïque, éradiquant les référents éthique et déontologique, a été jusqu’à saluer et autoriser la mise sur le marché d’une potion charlatanesque, la fameuse Rahmat Rabi.

Combien de malades cancéreux sont décédés avant d’avoir pu accéder aux examens et aux traitements nécessaires ? Aujourd’hui, les personnels soignants sont face à l’épidémie sans le minimum de protection. Les mesures cosmétiques annoncées dans la fébrilité générée par cette pandémie n’auront aucun effet durable et performant. Il y a longtemps que le marasme sanitaire était une réalité quotidienne. Plus sensible, la déshérence du secteur de la santé était plus décriée. Cependant, comme dans d’autres domaines, ce naufrage est lié au package d’une régression nationale qui ne peut être traitée par des interventions catégorielles.

Pendant ce temps, la guerre des clans fait rage et le jeu politique, renvoyant aux spéculations les plus sordides, atteste de l’omnipotence de la police politique.

Nul ne sait ce qui restera d’un pays où tant de propositions vertueuses ont été niées, d’opportunités inespérées gaspillées et d’avertissements solennels sévèrement réprimés. La dérive remonte à loin.

La plate-forme de la Soummam qui a rassemblé tous les patriotes et transformé un appel à la guerre de libération – salutaire mais précipité – en projet de société démocratique fut combattue par le courant arabo-islamiste qui sévit toujours. Après l’indépendance, les réactualisations et les déclinaisons de ce texte fondateur ne connurent pas meilleur sort.

Pour les officiels, la remise en cause fondamentale d’un régime périmé et hors d’époque ne semble pas être à l’ordre du jour. C’est pourtant la seule question qui vaille d’être posée.

De leur côté, les mouvements alternatifs, ayant mal apprécié la nature de l’impasse et les ruptures qu’elle implique, se sont contentés de se positionner derrière les attentes populaires quand ils n’en ont pas empêché les mécanismes d’accomplissement, pourtant assumés par la rue. Les réactions opposées à la désobéissance civile par des acteurs supposés adhérer au changement étant l’un des signes les plus caricaturaux de la paralysie intellectuelle qui givre la scène nationale. Le conservatisme sectaire est une vieille tradition algérienne.

Les assassinats politiques d’après-guerre ont donné le ton. Par la suite, les choix et décisions institutionnels autoritaires ont aliéné la réflexion et lourdement handicapé l’action publique. Les louvoiements qui ont suivi Avril 80 sont exemplaires d’un art d’organiser l’échec stratégique et de conduire une nation à sa perte. Les manœuvres ayant présidé à l’instrumentalisation de la révolte d’octobre 88 n’ont rien à envier aux tergiversations caractérisant les dévoiements qui guettent l’esprit du 22 févier. La culture de la répression-pollution est le marqueur majeur du système algérien. Rien n’indique une volonté de s’en écarter aujourd’hui. Toujours trop mal, trop peu, trop tard.

C’est le régime ayant offert l’école, la justice, la mosquée et la communication à l’intégrisme qui prétend le combattre tout en cultivant ses sources et sa violence.

C’est le régime qui a emprisonné et torturé des lycéens détenant un alphabet tifinagh qui a fini par reconnaître la constitutionnalité de l’amazighité pour la dévitaliser par une officialité factice.

C’est le régime qui a fait venir Mohamed Boudiaf qui le fait assassiner en direct à la télévision.

C’est le régime qui emprisonne arbitrairement les manifestants de l’insurrection du 22 février qui assure vouloir concrétiser ses objectifs…

La liste des ruses, manœuvres, manipulations qui ont servi de méthodes de gouvernance peut être déclinée à l’infini.
Mais à la fin, on reviendra toujours à la faute originelle. L’assassinat d’Abane, aggravé par la disparition de Ben M’hidi dix mois auparavant, doit être moralement et politiquement soldé si l’on veut sortir de l’ornière. Un combat faisant prévaloir « la primauté du politique sur le militaire » pour construire « un Etat démocratique et social…qui n’est pas une théocratie désormais révolue » ne peut pas s’accommoder d’un ordre politique qui a commis ce crime d’Etat.

Que faire ?

D’abord survivre à la pandémie qui n’a pas fini de sévir en Algérie et, plus généralement, en Afrique. Cela veut dire accepter les contraintes du confinement et aider les volontaires qui compensent avec abnégation et pragmatisme les défaillances de l’Etat. Ensuite, mettre à profit ce confinement pour affiner nos concepts et anticiper des mesures que nul ne peut différer. Avec un premier souci : éviter de refaire les erreurs du passé.

De mauvais élèves de l’Histoire nous serinent qu’il faut oublier l’hégémonisme islamiste, par essence inaccessible à la critique, qui gangrène la révolution du 22 février pour s’occuper des généraux, feignant ne pas avoir compris que les deux fléaux se nourrissent l’un l’autre. Erreur fatale quand elle est émise par des esprits sincèrement pressés de voir le bout du tunnel. Faute impardonnable quand l’idée vient de ceux qui savent et qui, pour des considérations d’opportunisme politicien voire de simple affichage, ne veulent pas assumer la problématique algérienne dans sa globalité démocratique.

Mauvais élèves de l’Histoire aussi car ces politiques ignorent ou , plus grave pour ce qui concerne certains d’entre eux, occultent un précédent que le peuple algérien a dû affronter avec courage et persévérance pour ne pas aliéner son émancipation et, du même allant, hypothéquer la dignité et la liberté des générations futures.

En1941, le muphti de Jérusalem Al Husseini, qui assumait un soutien déclaré à Hitler, trouve les oreilles complaisantes de quelques nationalistes parmi lesquels Mohamed Bourras, responsable de scouts, proche des Oulémas. Révolté par le sort fait à ses compatriotes, il franchit le pas de la composition avec Berlin. Il sera fusillé le 27 mai 1941 pour complicité avec les Allemands alors que la France vichyste était déjà engagée dans la collaboration.

Comparaison n’est pas raison ; néanmoins, les tropismes mortifères envers le fondamentalisme qui se dévoilent devant nous interpellent. La collusion avec l’islamisme d’aujourd’hui fait écho à la tentation de s’allier au nazisme hier pour, croyait-on, se débarrasser d’un colonialisme refusant le minimum de droit aux indigènes.

Des militants, eurent le courage de dire qu’il fallait savoir combattre simultanément sur les deux fronts. Dans un climat dominé par l’impatience et les improvisations, ces patriotes trouvèrent assez de ressource pour expliquer et convaincre qu’une victoire du nazisme, même abattant la puissance coloniale française, allait instaurer un système qui serait le cimetière de la cause algérienne. Ils ont été critiqués et même accusés par les populistes de leur temps de compromission avec l’ordre colonial. Ils ont tenu bon. Ils ont eu raison. Ils faisaient partie de ceux qui investissent l’Histoire longue, celle qui féconde les grands destins.

On imagine la sentence que le tribunal de l’Histoire aurait infligé au mouvement national si la voie des empressements simplistes avait prévalu.
Cet épisode essentiel de notre passé récent a souvent fait l’objet de débats intenses dans les rangs des militants du printemps amazigh. Ce mouvement qui a posé les conditions et les termes de l’alternative républicaine qui ne peut faire l’économie d’un énoncé clair et sans concession des fondamentaux démocratiques. Les valeurs portées par ce moment original de la vie nationale peuvent parler aux luttes d’aujourd’hui. Nous y reviendrons à l’occasion de la commémoration d’un 40éme anniversaire qui intervient dans des circonstances exceptionnelles.

Saïd Sadi.

Le 15 avril 2020.

Cette publication est parue sur la page Facebook de l’auteur.

Auteur
Saïd Sadi

 




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