Vendredi 13 décembre 2019
Élection présidentielle : une étape nécessaire ?
Marche contre le système et l’élection de Tebboune. Crédit photo : Zinedine Zebar.
L’enjeu de cette élection n’est pas lié à la personne des candidats, mais au devenir de la nation et de l’état algérien. C’est l’aboutissement d’un processus politique long et périlleux qu’il fallait accélérer et canaliser…
En l’absence d’un président légitime, dans le cadre constitutionnel, les pouvoirs publics devaient intervenir pour sauver les institutions de l’état complètement désamorcées. Une étape nécessaire pour éviter la rupture entre le peuple et l’armée nationale populaire. La première institution de la nation, la présidence de la république, se devait de se remettre debout et fonctionnelle.
Après avoir opéré dans un vide constitutionnel depuis le 9 juillet 2019, une situation devenue intenable pour les institutions de la nation, l’organisation d’une élection présidentielle devenait impérative pour permettre à la première institution du pays de redevenir fonctionnelle. Un appel à la participation à l’élection présidentielle a donc été lancé pour pallier à cet enjeu aux conséquences majeures. Les Algériens ont refusé de participer à cette élection laissant grande ouverte la voie aux candidats qu’on connaît aujourd’hui.
On pourrait évoquer leur appartenance au système, leur vécu et même leur manque de rigueur dans leurs programmes, mais on ne peut les blâmer d’avoir pris la décision de se lancer dans cette élection dans les conditions qu’on connaît. Bien que le mouvement du Hirak soit salutaire et salvateur, il a manqué de cohésion et de discernement en laissant ce vide de représentativité aussi flagrant. Il a échoué dans sa démarche de dégager un consensus autour de personnalités compétentes pouvant les représenter dans cette élection présidentielle.
Un apprentissage salutaire !
Les algériens sortaient chaque vendredi et mardi pour manifester et crier leur ras le bol. Les marches s’intensifiaient même à l’approche des élections présidentielles et des divisions commençaient à opérer au sein du peuple. Les uns appelant à participer à l’élection, les autres à la boycotter. Logiquement, tout le monde a le droit d’agir selon son propre chef, sa propre conviction et son penchant idéologique. On ne réfléchit pas tous de la même manière. C’est d’ailleurs tellement regrettable et désolant de voir ces scènes de violence et d’intimidation devant les bureaux de vote… de surcroît dans des pays étrangers, ce qui délégitime nos actions malgré la véracité des revendications populaires. Des algériens empêchent d’autres algériens à exercer leur droit civique est inacceptable. Car, tout simplement, la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre. Cela étant dit, comment ne pas soutenir les revendications légitimes de ce peuple – magistral – qui est sorti pacifiquement appeler au changement et à l’établissement d’un état de droit ? Mais, avec un constat amer de l’absence de représentants du peuple dans cette élection présidentielle. La légitimité des candidats en lice a été évoquée, de même que le pouvoir en place qui prépare les élections, bien qu’une commission indépendante pour l’organisation des élections fut mise en place pour assurer des élections libres, sans parler des appels incessants de l’armée dans ce sens. Le peuple aurait pu choisir ses candidats dans ce cadre opérationnel et réussir sa transition avec son président élu, avec un vote massif, à travers une élection présidentielle. Ne dit-on pas : «Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil.» ?
Aujourd’hui l’élection a eu lieu et un président a été élu avec les résultats et la participation populaire qu’on connait. Le Hirak quant à lui doit apprendre de ses erreurs, se réorganiser et canaliser ses efforts dans la poursuite de son mouvement. Les revendications populaires légitimes restent d’actualité et le Hirak ne doit pas s’affaiblir. Rester pacifique et scruter à la loupe les prochaines décisions du président élu.
Le Hirak peut désormais travailler dans un cadre légal et peut changer avec la seule voie démocratique possible, en l’occurrence l’urne. Voter dans cette élection présidentielle est un acte citoyen qui s’imposait par lui-même afin de sauver la nation d’une déchirure et pour amorcer un processus de reconstruction.
Par manque de synergie politique, les tenants du pouvoir en Algérie pondent un échéancier en fonction de la conjoncture – pas subtilement distillé – ce qui a laissé place à toutes sortes de lectures : propres et conjoncturelles, mais aussi calomnieuses et sournoises… Malgré les appréhensions, les urnes ont fini par parler avec l’élection d’un nouveau président élu pour le pays. Loin d’être une tâche facile, une lourde responsabilité guette le prochain président élu. Il devrait rapidement répondre aux exigences de la population et ouvrir tous champs hermétiquement fermés pour permettre la mise sur pieds des institutions de l’état. Préparer un terrain propice pour le peuple afin qu’il puisse participer démocratiquement au changement attendu dans un cadre légal de ces mêmes institutions.
La participation de la majorité absolue dans ce changement est nécessaire pour trouver un compromis – un consensus à minima – pour éviter la rupture entre le peuple et son armée populaire nationale. Un processus qui ne pouvait avoir lieu sans que la première institution de l’état, en l’occurrence la présidence, soit debout et fonctionnelle.
Le Hirak est et reste un mouvement salvateur qu’il faut saluer… un mouvement appelé à continuer sur la même dynamique et opèrera désormais dans un cadre légal jusqu’à l’aboutissement des revendications populaires. Ce Hirak magistral sera le garant de ce changement, sous la direction du nouveau président élu dont les décisions seront scrutées à la loupe au pire de se retrouver éjecté par le Hirak. Il doit impérativement gagner la confiance du peuple en répondant positivement et rapidement à ses doléances ; parmi lesquelles : la dissolution des deux chambres, la révision de la constitution, la libéralisation totale de la presse et de la justice, la nomination d’un gouvernement de compétences et la liste est longue.
Le rôle de l’armée est primordial
L’état-major sait qu’il doit un jour passer le flambeau au peuple, mais attend le moment opportun pour le faire subtilement et avec les moyens humains et financiers qu’il faut.
La représentativité humaine
D’abord la représentativité humaine. Cette variante montre un manque criant de partis politiques qui ont réussi à asseoir un programme de reprise… il y a des partis de tous bords, oui, mais pas de cohérence avec un programme clair qui réponde aux aspirations du peuple. Ils ne sont surtout pas entourés d’une équipe de personnes dynamiques et compétentes capables d’assurer une bonne gouvernance avec un programme digne, leur permettant de prendre les rênes du pouvoir d’un pays comme l’Algérie. Des personnalités connues, experts et intellectuels, interviennent à la télé ou à travers la presse, mais cela reste singulier bien que salutaire. Un changement commence par la base. Les partis politiques de la nouvelle Algérie devraient s’organiser avec la formation d’équipes capables de participer aux prochaines élections municipales comme on en voit dans les pays développés. Ensuite, viendrait le tour des législatives pour élire des représentants du peuple, des députés, qui travailleraient pour le peuple et pas pour leur propres comptes.
Le parti qui réussirait à avoir la majorité de députés aura la lourde tâche de gouverner le pays. Gouverner pour élucider les problèmes socioéconomiques et se donner les moyens de communiquer avec le pouvoir en place, la présidence et l’armée nationale populaire, sur la façon réfléchie, démocratique, sereine, nationaliste et en douceur, comment établir une vraie démocratie populaire pour et par le peuple et ainsi passer définitivement le flambeau au peuple.
La situation économique du pays
Ensuite, faut prendre en compte la situation économique du pays : les armées de par le monde sont, depuis des années, les principaux bénéficiaires de la manne du pays sous des formes différentes. Les pays développés avec leurs entreprises du domaine militaire, d’autres se financent directement à travers le budget de l’état. L’ANP reçoit un budget de 12 milliards de dollars annuellement pour continuer dans sa professionnalisation en tant qu’armée populaire avec des assises nationales populaires. Il faut une économie en marche et dynamique pour que l’armée puisse assoir son équilibre géostratégique par les moyens qui parlent la langue militaire… elle ne peut fonctionner dans un vase clos mais elle ne peut aussi transmettre le pouvoir « au néant » qui pourrait, à terme, nonobstant la possibilité de glissade, nuire à sa propre existence.
L’armée nationale populaire est la pierre angulaire de notre patrie et il est primordial de s’unir autour de son projet de la sauvegarde territoriale du pays. Les hommes représentant l’armée aujourd’hui partiront un jour pour être remplacés par d’autres… mais l’institution militaire reste. L’état-major attend de voir émerger les personnalités qui parleraient sereinement de ses questions et clarifier le poids de l’armée dans le pays.
L’ANP a besoin d’assurances sur sa survie et sur l’émancipation des institutions algériennes, voir de l’état en tant que nation. Cette dichotomie entre l’armée et le peuple a creusé un faussé avec les années… l’armée peut aider dans le nivellement du niveau de vie de la population, voir même dans les préambules de la professionnalisation à travers leur expertise et leur intelligencia. Ce sera un juste retour pour ce manque de discernement de leur part… et pour qui ? Pour un peuple digne qui a tellement souffert et appelle – pacifiquement – à redessiner la plateforme managériale et politique du pays.
Conclusion
Nous nous trouvons devant une situation délicate après cette élection présidentielle. Une étape importante est franchie pour remettre sur pieds les institutions de la nation et ainsi entamer ce processus du changement tant attendu. En même temps, les résultats du scrutin le montre, le peuple est divisé et manque cruellement de direction, de discernement et d’informations. L’armée a montré son envie d’accompagner le peuple à réaliser ses revendications, a aidé à la mise en place de la commission indépendante des élections ainsi que l’organisation de l’élection présidentielle… sans parler de son appui à la justice pour l’entame du processus d’éradication du fléau de la corruption qui continue de gangrener la société algérienne.
Aujourd’hui, avec l’élection d’un nouveau président, l’armée lui passe le flambeau, o combien lourd, et c’est à lui de prendre le relai et accompagner le peuple dans leurs revendications. L’armée se défait du poids de la responsabilité politique et s’engage dans ses missions régaliennes, non sans attendre l’émergence d’un contre-pouvoir légitime, compètent et capable de lui transmettre le pouvoir… Un contre-pouvoir qui saurait la rassurer sur l’imbroglio existentiel de l’institution et donc de la nation Algérie.
Ben Youcef Bedouani
Ingénieur, Economiste & Conseiller Financier.