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Le projet de loi sur les hydrocarbures et la souveraineté de l’Algérie

TRIBUNE

Le projet de loi sur les hydrocarbures et la souveraineté de l’Algérie

Parce que la compagnie algérienne Sonatrach (ci-après SH) et ses associés étrangers ne parviennent plus à réaliser des découvertes majeures de pétrole et de gaz depuis 2007-2008, le gouvernement algérien a décidé, en 2017, de remanier l’ordonnance n° 2006-10 du 29 juillet 2006 qui avait amendé la loi n° 05-07 du 28 avril 2005 sur les hydrocarbures, en raison du fait que celle-ci supprimait les prérogatives de puissance publique de SH, la soumettant désormais au même statut que les entreprises de droit commun. Mais ce n’est que le 13 octobre 2019 que le Conseil des ministres adopte le projet de loi.

Les ressources énergétiques de l’Algérie sont en voie d’érosion

Pour les responsables algériens, la raison principale pour laquelle peu de compagnies étrangères soumissionnent pour les appels d’offres lancés par l’autorité de régulation chargée de la valorisation des hydrocarbures (ALNAFT) résulte de l’insuffisante attractivité de la législation algérienne, notamment dans son volet fiscal. Il était, selon eux, d’autant plus impératif d’adopter un nouveau cadre juridique, que les difficultés liées à l’exploration des ressources pétrolières et gazières, situés principalement dans le sud de l’Erg oriental et les zones adjacentes, s’expliquent par la baisse sensible du niveau de réserves qui sont exploitées intensivement depuis 1956(1).

Il est exact que le territoire algérien reste inexploré ; on y creuse en moyenne 10 puits pour une superficie de 10.000 km², alors que la moyenne mondiale est de 135 puits. Pour autant, on n’en inférera pas qu’il existerait des ressources pétrolières et gazières en quantités dans les zones qui n’ont pas été encore explorées (on songe surtout aux territoires situés dans l’Erg occidental, proches du Maroc et de la Mauritanie).

Si entre 2005 et 2014, les compagnies pétrolières ont paru se satisfaire des avantages fiscaux octroyés par la législation existante, la cause en était le  prix élevé du baril de pétrole qui a été, en moyenne, de 90 dollars durant cette période, permettant aux majors, notamment, d’amortir leurs investissements et de réaliser des profits substantiels. Ces compagnies ont également tiré parti de la situation de faiblesse de SH, premier contributeur obligé du Trésor public, qui voyait  ainsi le niveau de ses fonds propres stagner dangereusement, ce qui l’empêchait d’élaborer une stratégie à long terme, fidéliser ses ressources humaines les plus compétentes, renouveler et moderniser ses équipements, acquérir un savoir-faire indispensable à sa montée en puissance technologique. L’instabilité très forte de son management, entre 2010 et 2019 a fait le reste (2).  

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Les Algériens qui critiquent la téléologie du Projet de loi sur les hydrocarbures(ci-après PLH), au nom de la défense des intérêts nationaux mis en péril par « l’impérialisme occidental », et non le texte lui-même que 98% d’entre eux n’ont pas lu, doivent savoir que seul l’effet prix des hydrocarbures a été à l’origine de la constitution  par l’Algérie d’abondantes réserves de change, ce qui a autorisé l’Etat et les collectivités locales à investir massivement dans le logement social, les infrastructures publiques et les équipements collectifs.

Ils doivent également savoir que le financement du modèle social hérité des années du socialisme, à travers notamment la préservation du système de retraite par répartition, les transferts sociaux, les subventions implicites (dont profitent toutes les catégories sociales et par précellence les plus favorisées d’entre elles) n’a pu être garanti que grâce à la providentielle manne pétrolière des années 2000 et 2010(3). En revanche, les volumes de pétrole et de gaz exportés n’ont eu de cesse que de diminuer et cela depuis 12 ans, qu’il s’agisse du condensat, du GPL, du GNL ou du gaz naturel à l’état de source d’énergie primaire. Quant au pétrole, sa croissance en volume a été 3,5 fois inférieure à sa croissance en valeur entre 2007 et 2014, puis 2,4 fois inférieure entre 2014 et 2018.

Le Projet de loi sur les hydrocarbures est conforme à la Constitution

Le PLH est un texte de loi ordinaire. Il a été suggéré qu’il devait être adopté sous forme de loi organique. Mais cet argument ne trouve aucun appui ni dans la constitution ni dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Le PLH comporte 239 articles structurés autour des six principales rubriques suivantes : 

  1. Dispositions générales

  2. Le cadre institutionnel 

  3. Les activités amont 

  4. Les activités aval 

  5. Dispositions fiscales et prix de base 

  6. Infrastructures, sanctions et recours 

Comme dit plus haut, nous nous intéresserons surtout à la question de savoir si le PLH remet en cause le principe de la souveraineté permanente de l’Etat sur ses ressources naturelles, tel que ce principe est consacré par le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes juridiques (c’est-à-dire la Constitution) ainsi que par l’ensemble des lois pertinentes, notamment la loi relative au domaine national. Nous expliquerons également pour quelle raison l’Algérie ne peut pas remettre à plus tard l’aggiornamento de sa législation sur les hydrocarbures.  

On notera d’emblée que le PLH prévoit en son article 4 que : « les dispositions de la présente loi s’appliquent aux activités d’hydrocarbures conduites sur le territoire terrestre et les espaces maritimes sur lesquels l’Etat exerce sa souveraineté ou ses droits souverains », cependant que l’article 5 dispose que : «  les Hydrocarbures découverts ou non découverts situés dans le sol et le sous-sol du territoire terrestre et des espaces maritimes sur lesquels l’Etat exerce sa souveraineté ou ses droits souverains, sont la propriété exclusive de l’Etat, qui en assure la gestion dans une perspective de développement durable et [leur] valorisation(…) » Enfin, aux termes de l’article 6 : « les Hydrocarbures constituent des ressources stratégiques de l’économie nationale. L’Etat veille à l’affectation des hydrocarbures produits pour satisfaire en priorité les besoins du marché national.» 

Il convient également de faire retour aux visas du PLH. Est visée, en premier lieu, la constitution en son article 18 qui dispose que : 

 «La propriété publique est un bien de la collectivité nationale.»

 «Elle comprend le sous-sol, les mines et las carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forets.» 

Quant à la loi n° 90-30 du 1er décembre 1990, modifiée et complétée portant loi domaniale, elle rattache en son article 15, tiret 7, « les hydrocarbures liquides et gazeux ainsi que les richesses de la mer(…) situées sur la totalité de l’espace maritime du territoire national en surface ou en profondeur sur ou dans le plateau continental et les zones maritimes sous souveraineté ou juridiction algérienne (on songe ici à l’exploration off-shore en Méditerranée) au domaine public naturel. Pour le surplus, en vertu de l’article 66 de la loi précitée, le régime juridique de l’ensemble de ces espaces obéit aux principes d’inaliénabilité, d’insaisissabilité et d’imprescriptibilité (article 66, alinéa 2, tiret 1). C’est dire combien il est inexact de soutenir que le PLH foule au pied le principe de la souveraineté permanente de l’Algérie sur ses ressources naturelles. Il vient au contraire le renforcer, dans la mesure, par ailleurs, où les autorités de régulation habilitées, c’est-à-dire l’ALNAFT et l’ARH(4), sont chargées par le législateur de s’assurer que l’ensemble des activités liées à l’amont et à l’aval, se déroulent dans le strict respect de la loi et notamment que l’opérateur  historique algérien est mis en situation de participer pleinement à la prospection, la recherche et l’exploitation des hydrocarbures ainsi qu’aux opérations de raffinage, de transport et de transformation des hydrocarbures.

S’agissant du dispositif fiscal instauré par le PLH, il ne concerne en rien le statut de la propriété sur les ressources naturelles. Il a été conçu pour attirer les grandes compagnies étrangères afin que soit accéléré le rythme des investissements dans le secteur. Il s’agit également d’encourager les opérateurs à réduire leurs coûts d’exploitation, de sorte à maintenir les profits à un niveau suffisamment rémunérateur et surtout de relever le volume de  la matière imposable qui est conditionnée par l’élasticité des prix et l’augmentation de la production, notamment dans les zones où un potentiel d’hydrocarbures a été identifié. Quoiqu’il en soit, c’est l’ALNAFT qui détermine les prix de base des hydrocarbures destinés à l’exportation, cependant que le taux de change des prix de base exprimés en monnaie étrangère est le taux de change moyen à la vente, tel que fixé par la Banque d’Algérie (5). Il existe indéniablement plusieurs garde-fous visant à maintenir un haut niveau de ressources fiscales pour le développement du pays, mais toujours à la condition que les découvertes soient importantes. 

L’Algérie a encore besoin de développer son potentiel énergétique 

L’ensemble des contempteurs du PLH se recrutent dans les partis politiques, une partie des experts algériens (qui estiment qu’à minima, l’adoption de ce texte par le Parlement est prématurée), la presse spécialisée, la société civile et le Hirak. Seul le Pr Abdellatif Benachenhou avait trouvé en 2017 que ce texte, lequel n’a pas été remanié depuis, est de nature à faire repartir la production d’énergie fossile (6); celle-ci est au demeurant  le seul viatique pour un pays qui ne dispose pas d’une rente de substitution, dont l’économie est très faiblement diversifiée et dont la place des énergies renouvelables dans le mix énergétique global reste marginale au regard de ses potentialités climatiques, notamment dans le solaire. Quatre autres observations méritent d’être faites à ce stade : 

  1. Les principales découvertes de pétrole et de gaz ont été depuis l’indépendance, le fait des compagnies étrangères, notamment occidentales et surtout américaines. L’augmentation très forte de la demande intérieure en carburants (surtout pour le transport routier et accessoirement pour les transports maritime et aérien) ainsi que la demande en électricité (obtenue après transformation du gaz naturel) rendent impératives et urgentes de nouvelles découvertes sur le plus grand territoire d’Afrique (7). Il va sans dire que les besoins futurs de l’Algérie ne pourront pas être satisfaits si les compagnies étrangères sont dissuadées de s’installer en Algérie à cause d’une des moins attractives fiscalités pétrolières du monde avec celle du Venezuela.

  2. L’exploration et le développement de nouveaux gisements ne sont qu’une fiction si ne sont pas mobilisés des moyens humains, financiers et matériels qui soient également à la mesure de l’étendue des superficies non explorées à ce jour. Ceci signifie que la fiscalité pétrolière qui a abondé invariablement le budget de l’Etat, depuis les années 1970, à hauteur de 70% de ses recettes doit laisser place à la fiscalité ordinaire, incroyablement dérisoire, en raison de l’ampleur de la fraude et de l’évasion fiscales. Dans ce domaine plus que dans les autres, tout est affaire de volonté politique.

  3. SH a impérativement besoin de moderniser son management, de former ses cadres, de mieux les rémunérer (surtout ceux qui interviennent sur les champs pétrolifères) et de renforcer ses fonds propres pour davantage investir aussi bien en interne qu’à l’international où des opportunités de partenariat existent, surtout en Afrique. Ses organes sociaux doivent également disposer d’une plus grande autonomie dans la prise de décision (ce qui n’exclut nullement le contrôle et la supervision vigilante du régulateur).

  4. Last but not least, les Algériens doivent choisir entre deux objectifs qui sont aux antipodes l’un de l’autre. Ou bien ils attendent de SH et des compagnies étrangères qu’elles financent des dépenses publiques en augmentation déraisonnable et dans  ce cas, les grandes compagnies ne viendront pas et SH s’appauvrira de plus en plus. Ou bien, c’est la fiscalité ordinaire qui est appelée à abonder le budget de fonctionnement de l’Etat et une partie des dépenses d’équipement (ce qui ne pourra s’effectuer que graduellement) et alors l’Algérie pourrait  continuer, jusqu’à 2040 (8), à valoriser ses ressources fossiles, dans le même temps où elle sera en mesure de  financer l’essor indispensable des énergies renouvelables qui doivent représenter à l’horizon 2030, 27,5% du  mix énergétique.

*Ali Mebroukine, Professeur à l’ENA, Président du Cercle d’études et de réflexion sur l’insertion de l’Algérie dans la globalisation 

Notes 

  1. 34 découvertes, toutes d’importance  mineure, ont été réalisés par SH en effort  propre et en partenariat en 2016.

  2. H. Malti, Histoire secrète du pétrole algérien, la Découverte, Paris, 2012

  3. L. Martinez, Violence de la rente pétrolière-Algérie, Irak, Libye, Presses de Sc. Po, Paris, 2010.

  4. ARH: Autorité de régulation des hydrocarbures qui est, entre autres, chargée de veiller à l’accès des tiers au réseau et à l’application de la réglementation tarifaire. 

  5.  Article 208 et suivants du projet de loi.

  6.  L’Algérie- Les années 2030 de notre jeunesse, ouvrage ronéoté, Alger, 2018, pp 124-142. 

  7. M. Goumiri, « Le gaspillage du gaz naturel en Algérie », in le Matin d’Algérie du 26 octobre 2019

  8. M.Preure, «  Les multinationales n’ont que faire du Hirak, elles en profitent », in le Matin d’Algérie du 23 mai 2019.

 

Auteur
Ali Mebroukine, Professeur à l’ENA (*)

 




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