22 novembre 2024
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Le coup de force d’Ahmed Gaïd Salah

DANS LA PRESSE

Le coup de force d’Ahmed Gaïd Salah

Connaissez-vous un pays où le chef d’état-major désigne la personnalité de son choix pour assurer « l’intérim » de la présidence de la République ? Où ce même général s’exprime en conseil des ministres avant le chef du gouvernement ? Où ses souhaits ont valeur d’ordre, que le pouvoir exécutif, mais aussi les deux chambres du Parlement, s’empressent d’exécuter, conférant à la volonté du général force de loi ?

Bienvenue, si vous ne l’avez pas reconnue, dans l’Algérie du général Gaïd Salah, l’homme qui a voulu imposer un cinquième mandat du président Bouteflika, avant de le sacrifier sous la pression populaire, puis de tenter aujourd’hui de retrouver dans les urnes un chef d’Etat aussi accommodant.

Les désirs du général sont des ordres

Ahmed Gaïd Salah, nommé par Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’état-major en 2004, a ensuite été promu, en 2013, vice-ministre de la Défense, le président de la République détenant symboliquement le portefeuille de la Défense. Ce titre « civil » de vice-ministre valait en fait reconnaissance de l’autorité réelle du premier des « décideurs », ainsi que sont désignés en Algérie les détenteurs militaires du pouvoir effectif, alors que l’impotence du président était déjà manifeste. Le général Gaïd Salah poussa à la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat en 2014 et trancha en faveur d’un cinquième mandat en 2019, tant cette présidence de façade était confortable pour les « décideurs » militaires. Ils n’en furent que plus surpris du déclenchement, le 22 février 2019, d’un vaste mouvement de contestation populaire, appelé en arabe « Hirak ». Gaïd Salah, après avoir tenté d’imposer malgré tout la candidature de Bouteflika, le 3 mars, dut contraindre le chef de l’Etat à former un nouveau gouvernement, le 31 mars, puis à démissionner, deux jours plus tard.

L’intérim de la présidence est assumé par Abdelkader Bensalah, un proche de Bouteflika, pour un mandat constitutionnel limité à 90 jours. Mais les cortèges qui traversent toute l’Algérie, vendredi après vendredi, avec en écho les marches étudiantes du mardi, exigent une authentique transition démocratique. L’élection présidentielle prévue le 4 juillet est reportée sine die faute de candidats. L’opposition met en avant toute une série de propositions de sortie de crise, afin d’éviter le vide constitutionnel qui sera constaté à l’expiration du mandat de Bensalah, le 9 juillet. Gaïd Salah balaie ces propositions pourtant constructives, impose le maintien de Bensalah à la tête de l’Etat comme président de fait, tout en tenant un discours de plus en plus menaçant à l’encontre des manifestants, assimilés à la « bande » du président déchu.

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Une ébauche de dialogue tourne court durant l’été devant la détermination du chef d’état-major à défendre coûte que coûte le statu quo: le 3 septembre, Gaïd Salah, en tournée d’inspection dans le Grand Sud, juge « opportun de convoquer le corps électoral le 15 septembre » en vue d’un scrutin présidentiel avant la fin de l’année.

On ne gouverne pas un pays comme une caserne

Jamais l’intervention du patron des forces armées n’avait été aussi brutale. A la suite de son injonction, les institutions se mettent en ordre de bataille, révélant de manière criante leur absence de légitimité populaire et leur soumission aux « décideurs » militaires. Le 9 septembre, le Conseil des ministres tient sa première réunion formelle depuis la démission de Bouteflika. Bensalah en préside les travaux mais, à peine prononcée son allocution d’ouverture, il passe la parole au « vice-ministre » Gaïd Salah, qui s’exprime donc avant le Premier ministre en titre.

Deux projets de loi sont approuvés, l’un amendant la loi électorale, l’autre établissant une autorité «indépendante » de supervision des élections. L’Assemblée nationale et le Sénat se saisissent immédiatement des deux textes, travaillant même le vendredi 13 septembre, pourtant jour de congés, afin de leur donner force de loi dès le 14. Le lendemain, Bensalah annonce dans un «discours à la Nation » la convocation du corps électoral et la tenue d’un scrutin présidentiel le 12 décembre. La présidence de l’autorité « indépendante » est confiée à Mohamed Charfi, un ancien ministre de la Justice de Bouteflika.

Bensalah, en bon petit soldat, a respecté à la lettre et au jour près les consignes du chef d’état-major quant à une convocation du corps électoral le 15 septembre.

Comme si la mascarade n’était pas assez indécente, Gaïd Salah a même annoncé par avance que la participation à la prochaine élection serait « massive ». Il peut d’ores et déjà se féliciter du soutien de la Russie à ce passage en force, sur fond d’étranglement méthodique de la contestation populaire: deux figures emblématiques du Hirak, Karim Tabbou et Samir Benlarbi, viennent d’être emprisonnées, le premier pour « entreprise de démoralisation de l’armée », le second pour « atteinte à l’unité du territoire national », deux chefs d’accusation particulièrement graves; de nombreux protestataires pacifiques sont également arrêtés ces derniers jours, alors que Gaïd Salah ordonne à la gendarmerie de bloquer l’accès à Alger lors des cortèges du vendredi; de manière générale, les restrictions aux libertés d’expression et de manifestation se multiplient dans une vague de régression anti-démocratique.

La riposte populaire est cinglante: le 20 septembre, dans la capitale comme dans des dizaines d’autres villes, des foules de manifestants clament, pour le 31ème vendredi consécutif, leur refus d’une élection qui ne serait pas digne de ce nom. Ils accusent à cette occasion Gaïd Salah de vouloir  « gouverner le pays comme une caserne ». La comparaison est à l’évidence d’actualité.

In LeMonde.fr

Auteur
Jean-Pierre Filiu

 




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