Il existe objectivement six raisons qui plaident en faveur de l’organisation d’une élection présidentielle avant la fin de l’année 2019.
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Le caractère régulier et transparent du scrutin. Seule l’Instance nationale indépendante pour la préparation, l’organisation et le suivi de l’élection présidentielle sera habilitée à encadrer le processus électoral, depuis son commencement jusqu’à la proclamation provisoire des résultats (seul le Conseil constitutionnel qui statue sur d’éventuels recours, est fondé, en vertu de la loi, à proclamer les résultats définitifs). Toutes les institutions de l’Administration (y compris le Ministère de l’intérieur et des collectivités locales) ne seront pas parties prenantes à l’organisation de cette consultation. Quant à l’hypothèse d’un trucage du scrutin, elle est a priori invraisemblable, dès lors que des anomalies caractérisant le déroulement du scrutin ne manqueront pas de provoquer l’ire de la population et auraient, à terme, des conséquences incalculables sur la stabilité du pays. Si Mustapha Bouchachi ou Karim Tabou, par exemple, qui sont considérés comme les figures les plus emblématiques du Hirak envisagent de solliciter les suffrages populaires, l’un ou l’autre sera immanquablement élu si telle est la volonté de la majorité des algériens. Il va sans dire que le Président élu aura les coudées franches pour mettre en œuvre son programme. L’Armée n’a pas de candidat et n’adoubera aucun prétendant, qu’il s’agisse d’Ali Benflis, d’Abdelmadjid Tebboune ou d’une autre personnalité.
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La situation économique, financière et sociale de notre pays ne laisse pas d’inquiéter. Depuis sept mois, l’économie algérienne est en panne. Le Ministre des Finances a dû prendre des mesures exceptionnelles pour tenter de sauver les entreprises dont les patrons ont été inculpés pour délits financiers graves. De nombreuses PME/PMI ont fermé et licencié des milliers de travailleurs, en raison d’incidents de paiement dus à la défaillance des entreprises publiques, en tant que services contractants. L’année 2019 ne s’achèvera pas sans que le niveau des réserves de change tombe à 60 milliards de dollars, au rythme actuel des importations, et eu égard à la stabilisation du prix du pétrole autour de seulement 60 dollars le baril. Des réformes de structure sont indispensables (privatisation, amélioration du climat des affaires, instauration d’une véritable économie concurrentielle, etc.) et elles devront être entreprises sans délai. Il vaut mieux qu’elles soient mises en œuvre par les autorités algériennes légitimes qu’imposées par le FMI, et ceci avec d’autant plus d’intransigeance que nous avons superbement ignoré ses mises en garde qui remontent à 2014. Le pays a urgemment besoin d’une reprise en main, après deux décennies d’autoritarisme stérile, de populisme et de prédation des ressources publiques.
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La lutte implacable contre la corruption, la criminalité organisée et le grand banditisme (surtout aux frontières que nous avons en commun avec sept États) doit être poursuivie. Elle est actuellement menée avec un grand courage et une grande détermination par le ministre de la justice, Belkacem Zeghmati, auquel le Président de l’Association algérienne de lutte contre la corruption vient de décerner un satisfecit appuyé (Voir le SA du 2/9/2019). Des centaines de cadres et de personnalités politiques figurent sur la liste de suspects sur lesquels pèsent de lourdes charges en ce qui concerne leur gestion des deniers publics et qui devront dans les semaines et les mois qui viennent répondre de leurs forfaits devant la justice Il appartiendra au futur Président de la République de renforcer les prérogatives des institutions en charge du contrôle de l’utilisation de l’argent public et aussi de faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales son cheval de bataille. Désormais, le budget de l’Etat ne pourra plus être abondé quasi exclusivement à partir de la fiscalité pétrolière qui ne cesse de s’éroder, mais de la fiscalité ordinaire dont le rendement est un des plus faibles au monde.
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Les ennemis de notre pays n’ont pas désarmé et tous n’ont pas encore été identifiés. Les services de sécurité poursuivent leurs investigations sans désemparer. Des officines étrangères ayant des relais locaux avaient pris attache avec la bande des cinq (Mohamed Médiène, Bachir Tartag, Khaled Nezzar, Saïd Bouteflika et Louisa Hanoune) et c’est au péril de leur vie que le Chef d’État-major et des membres du Haut Commandement Militaire ont pu éventer ce gigantesque complot dans lequel avait été expressément envisagée l’utilisation de la force armée contre la population. Lorsque le Hirak exige le départ du Chef d’état-major, il oublie seulement que c’est grâce à lui et à l’ensemble des officiers généraux du HCM que le complot de la Bande a échoué et que la répression contre les Algériens a été mise en échec. La transformation de l’Algérie en Etat fédéral ou encore le démembrement du pays en entités autonomes ayant vocation à l’indépendance, n’est pas sorti de l’imagination de quelque tenant de la théorie du complot ; elle est devenue une revendication récurrente de la part de certains apprentis-sorciers. Il s’agit, pour cette nouvelle cinquième colonne, de porter atteinte à l’unité nationale, d’affaiblir les institutions de l’Etat, et de viser, en particulier l’Armée et les services de sécurité, comme cela avait le cas pour l’Irak en 2003, après son invasion par les États-Unis. Aujourd’hui ce pays n’est plus qu’un ersatz d’Etat. Est-ce le vœu que forment secrètement pour l’Algérie un certain nombre d’intellectuels, notamment ceux de la diaspora, dont la plupart ne se sont jamais intéressés à l’Algérie que lorsque celle-ci était dans le malheur. Revient-il à des compatriotes qui ont rompu toutes les amarres avec ce pays, l’ont quitté au moment où il avait le plus besoin d’eux, dont la progéniture est détentrice de la nationalité du pays d’accueil et n’a jamais mis les pieds en Algérie, de se prononcer sur le destin de notre pays. Je dis non. Et beaucoup d’Algériens sont dans le même état d’esprit.
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Dans tous les pays où les valeurs démocratiques ne sont pas encore enracinées, qui ont adopté les formes du constitutionnalisme libéral sans parvenir à en réaliser le fond (c’est le cas de l’Algérie), ni une période de transition ni une constituante ne sont susceptibles de résoudre la question centrale du passage à l’état de droit. Y font obstacle, de façon dirimante, le clanisme, le clientélisme, le népotisme qui sont des obstacles structurels. Comme le dit, avec sa pertinence coutumière, Mohamed Harbi, pour décrypter les mécanismes complexes qui travaillent en profondeur la société algérienne, le détour par l’anthropologie sociale est indispensable. C’est le point faible de toutes les propositions suggérant la mise en place d’une période de transition ou l’aménagement d’un processus constituant. L’expérience actuelle de la Tunisie sœur devrait pourtant donner à réfléchir. Il a fallu à la Tunisie trois années de transition pour adopter une Constitution libérale, soit le 25 janvier 2014. Près de six ans après, tout ou presque est à refaire. Ce pays connait une forme d’involution démocratique qui met au jour l’inanité de la transposition mimétique du modèle démocratique occidental, lui-même en crise ; il montre surtout que le changement démocratique ne peut s’accomplir en dehors de la justice sociale et de l’égalité des chances entre tous les citoyens. Ce n’est certainement pas le droit accordé à la femme tunisienne d’épouser un non-musulman qui fera accomplir à la Tunisie un bond en avant qualitatif sur la voie de la démocratie. Et ceci est aussi valable pour notre pays qui peut construire, à partir de ses propres valeurs, une véritable sécularisation de l’espace public ( déjà largement engagée), distincte de la laïcité traditionnelle, mais intégrant en son sein l’ensemble des libertés fondamentales.
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Le Président de la République élu démocratiquement n’aura aucun fil à la patte. Ce n’est certainement pas l’Institution militaire qui lui dictera sa feuille de route ou qui fera obstacle à ses décisions. Il lui appartiendra de lancer un train de réformes très importantes dont des réformes institutionnelles qui ne transfigureront pas le panorama algérien, si les mentalités collectives et les représentations symboliques de nos compatriotes n’évoluent pas parallèlement, si le tropisme rentier ne recule pas sérieusement et surtout si le népotisme, – qui n’est l’apanage d’aucune institution-, mais traverse, de part en part, toute la société algérienne, n’est pas vigoureusement combattu. Les Algériens aspirent naturellement à jouir de plus de libertés, souhaitent des services publics plus accueillants et plus efficaces, une justice indépendante et égale pour tous. Mais ils ont également des obligations et des devoirs à l’égard de la collectivité nationale que, d’une façon générale, ils n’accomplissent pas ou fort médiocrement. Le futur Président de la République devra être clair sur ce chapitre : les droits sont consubstantiels aux devoirs. Depuis le 22 février 2019, le civisme n’est au rendez-vous que le vendredi entre 11 heures et 18 heures dans les principes artères de nos villes, mais totalement absent les autres jours. La criminalité routière fait bon an mal an, 3. 000 morts, 40. 000 blessés dont 6.000 handicapés à vie (l’Algérie occupe la 3ème place dans le classement mondial de la mortalité sur les routes), le consentement à l’impôt est voisin de zéro. Quant au paiement des loyers à l’OPGI, celui de la facture d’électricité et de gaz, le remboursement des dettes à tout créancier, quel qu’il soit, la fraude aux prestations sociales qui explique en garde partie le déficit abyssal des caisses de sécurité sociale et celle de la retraite, ces actes ne sont pas considérés, de façon générale, comme des obligations citoyennes. Dans le même temps, les signes extérieurs de richesses se multiplient, alors que le pays ne produit quasiment rien et importe tout ce qui est nécessaire à sa consommation et au fonctionnement de son économie. A cet égard, il a pu paraître insolite de voir se mêler aux manifestants du Hirak pour exiger le départ du régime, ceux-là mêmes qui n’ont pu s’enrichir que grâce à l’incurie de ce régime. Durant 20 ans, ils se sont constitués des fortunes colossales dont une partie est à l’étranger et chaque vendredi ils sortent dans les rues de la capitale pour vouer aux gémonies un pouvoir qui a fermé les yeux sur leurs turpitudes. L’Algérie reste une exception dans le monde, y compris le monde arabe. Dans un tel contexte marqué par une forte anomie sociale, que vaut la revendication en faveur d’une démocratie représentative que les ¾ des hirakistes seraient bien en peine de définir ? Il est donc urgent que l’Algérie se donne un Président de la République, sûrement pas un homme providentiel, mais une personnalité qui soit capable de faire fonctionner un Etat dans lequel tous les citoyens ont des droits mais aussi et surtout des devoirs. Tel est l’objectif de l’institution militaire qui ne peut se désengager de la scène politique, au moment où le pays accumule les signes de vulnérabilité, à cause de la politique criminelle menée par Bouteflika et sa fratrie, 20 ans durant.