23 novembre 2024
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Anglais ou pas français, là est la question !

OPINION

Anglais ou pas français, là est la question !

Une polémique s’est installée ces dernières semaines au sujet de la  substitution de l’anglais au français au sein de l’université algérienne. Le système veut encore faire diversion en opposant la langue anglaise à la langue française, comme langue d’enseignement.

La question est abordée d’une manière trop simpliste et la démarche est loin d’être convaincante. Il ne s’agit pas de désinstaller une vieille version d’un logiciel et de réinstaller une nouvelle version plus élaborée. A travers cette contribution, je tenterais de mettre en évidence les raisons sous jacentes à cette décision, mon objectif n’étant pas de défendre ou de promouvoir telle ou telle langue. S’agissant du français, la France le fait si bien à travers l’Organisation Internationale de la Francophonie, quant à l’anglais, le Royaume uni  le fait autant dans le cadre du Commonwealth.

Comment peut-on penser faire table rase d’une langue ancrée dans la société algérienne, laquelle existe depuis près de deux siècles dans les administrations, les entreprises, les écoles et les universités ?

Pour ma part, je considère que c’est d’abord un aveu d’échec de la politique d’arabisation de l’école, avec le lancement de l’école fondamentale en 1979. Combien de générations sacrifiées depuis cette date, et quel retard accumulé par notre pays depuis. Force est de constater que nous sommes arrivés aujourd’hui à des générations de diplômés universitaires qui ne maîtrisent aucune des trois langues enseignées.

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Les arabophones parlent un arabe dialectal qu’ils n’écrivent pas et écrivent un arabe classique qu’ils ne parlent pas, comme aimait d’ailleurs à le dire Kateb Yacine. Ceci rappelle l’une des revendications phares des années 80, à savoir l’apprentissage et la promotion des langues populaires. Les berbérophones, pour leur part, parlent leurs langues maternelles dont-ils ne maîtrisent pas l’écriture, car non obligatoire à l’école et aux examens de fin d’année.  Ceci pose un second problème de la généralisation de tamazight à l’école d’une manière obligatoire.

Quant à la langue française, la politique farouche d’arabisation (ou plutôt de dé-francisation) a eu raison d’elle. Elle a été décimée car pourchassée jusqu’à ses derniers retranchements. Seules quelques poches ont survécues à cet assaut, dont la Kabylie qui est restée foncièrement francophone et ce pour des raisons historiques et sociologiques.

D’abord au commencement, il y’a eu les cinquante premières écoles dites d’indigènes lancées en 1891, dont environ le tiers se trouve rassemblé dans la région de la Kabylie. Puis sont venues les premières vagues de l’immigration vers la France au début du siècle dernier, parties presque en totalité de cette région et sont allées grossir les rangs de l’Etoile Nord-Africaine en 1926, pour arriver enfin, au combat et à la revendication identitaire dans les années 80, menés par des universitaires francophones. 

Le français a été un outil et un véhicule de communication qui a porté très haut cette revendication et ce combat démocratique. On se souvient que les réunions, les AG, les appels, les déclarations et les affichages se faisaient exclusivement en langue française.

Donc, revenir à la langue française, après cet échec de la politique d’arabisation, impliquerait encore la favorisation de la région de la Kabylie, depuis toujours favorable à un bilinguisme et qualifiée par ses détracteurs de Hizb-França, pour la diaboliser et l’accuser d’être antinationale.

Le raccourci est vite fait, être francophone et/ou francophile suppose « faire le jeu de la France » et par voie de conséquence être l’ennemi de l’Algérie. Tout francophone aux yeux des courants arabo-musulmans incarne le colonialisme français et prête automatiquement allégeance à la France.

Mais, si l’on part du principe que le français est la langue du colonisateur, l’anglais l’est encore plus. L’histoire nous rappelle, après que le Portugal et l’Espagne aient fondé de vastes empires au 16° siècle, la Grande-Bretagne en même temps que la France, commencèrent à établir des colonies et des comptoirs commerciaux en Amérique, en Asie et puis les étendirent sur des territoires en Afrique. Contrairement aux idées reçues, la Kabylie a toujours eu un rapport décomplexé avec les langues.

En dépit du fait que l’enseignement se fait en langue arabe sur les trois paliers, langue par ailleurs étrangère à notre langue maternelle, et que l’on découvre pour la première fois sur les bancs de l’école, cette région n’a jamais quitté le podium des réussites scolaires depuis plusieurs années, à en juger par les résultats de la sixième, BEM, Baccalauréat et même les concours de bourses à l’étranger pour les universitaires. 

Mais, comment en est-on arrivé à faire ce raccourci de la langue française à l’antinationalisme ?

Pour comprendre l’origine de ce phénomène, il faut peut être remonter à 1952, et revenir sur la polémique suscitée dans le milieu intellectuel algérien par la publication, du premier roman de Mouloud Mammeri : « La Colline oubliée ». L’audience et le succès rencontré par ce roman, salué même par la presse coloniale, ont attiré les critiques virulentes du « Le Jeune Musulman », journal des jeunes de l’Association des oulémas musulmans algériens (AOMA), fondée par El Bachir El Ibrahimi. Ce journal avait publié de nombreux articles où il reprocha à Mammeri «l’encensement de la presse coloniale» et la relance de la question identitaire berbère en Algérie, car le roman était, non seulement écrit en français, mais racontait aussi la vie dans un village kabyle.

L’objectif du «Jeune Musulman» est que les Amazighs renient leur identité culturelle pour se fondre dans l’ensemble arabo-islamique. Les lecteurs intéressés par ce sujet peuvent lire le livre publié par Hend Sadi intitulé « Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique », travail d’analyse où l’auteur revient sur cet épisode. On reconnaît ici, les prémices de ce que seront les orientations idéologiques imposées à l’école algérienne post-indépendance (fin des années 70), avec comme toile de fond, l’exclusion de toute référence à l’identité, plurielle, culturelle Algérienne et la marginalisation de l’histoire millénaire amazigh, et le tout enveloppé dans un nationalisme chauvin.

Pour rafraîchir encore la mémoire, la déclaration du 1er novembre 1954, adressée par le FLN au peuple algérien, a été rédigée en langue française et imprimée au village d’Ighil Imoula en Kabylie. Le Comité de Coordination et d’Exécution (CCE), organe central du FLN, composé de Abane, Krim, Ben M’hidi …, communiquait avec les wilayas historiques en langue française. Jusqu’aux débats du congrès de la Soummam, immortalisés par des minutes des PV ont été rédigés en langue française, comme l’attestent les textes officiels.

Le FLN historique avait même créé un organe de communication francophone « El Moudjahid » pour porter sa voix et sa cause à l’international. Les acteurs de la révolution n’ont jamais eu de complexe par rapport à cette langue, bien au contraire, ils l’ont apprise, apprivoisée et maîtrisée pour mieux s’en servir et rendre plus visible notre cause à l’international. Ces figures historiques ont toujours fait le distinguo entre le français comme langue de communication et un certain type de français qui incarnait le colonisateur. Pouvons-nous dire que ces figures illustres de la révolution algérienne étaient antinationalistes car francophones?

Un autre exemple, Jean El-Mouhoub Amrouche, ce militant, écrivain et journaliste qui a contribué grandement à gagner l’opinion française et internationale pour les préparer à l’idée de l’indépendance, par des publications d’articles dans la presse mais aussi par des entretiens radiophoniques. Il avait pour langues maternelles le kabyle et le français, de confession chrétienne, il disait que «Je pense et j’écris en français mais je pleure en kabyle». Qui pourrait douter de son nationalisme, lui qui était ouvertement en faveur d’une Algérie algérienne, et revendiquait pleinement son Algérianité. Voilà un patriote, oublié de l’histoire officielle, que l’Algérie d’aujourd’hui gagnerait à reconnaître à titre posthume. 

Quant à l’anglais, effectivement aujourd’hui, cette langue domine dans les disciplines scientifiques comme langue d’échange et de publication. 

Les chercheurs publient en anglais, pas parce qu’elle est plus savante qu’une autre langue, mais pour des raisons exclusivement de visibilité. Tant et si bien que même les Chinois et les Espagnols dont les langues sont classées respectivement première et seconde langue parlées au monde, publient en anglais.

Aujourd’hui, pour qu’un chercheur et par voie de conséquence son établissement de rattachement (université ou laboratoire) soient visibles, il est tenu de publier dans des revues indexées dans des bases de données scientifiques (Web of Science, Scopus, DOAJ, Compendex) sous hégémonie anglo-saxonne.

A travers le monde entier, les thésards (doctorants), alors qu’ils poursuivent leur cursus avec une langue vivante (allemand, espagnol, français …), font leur recherches, rédigent leurs articles scientifiques et communiquent leurs résultats scientifiques en anglais lors de colloques et congrès internationaux.

Chose par ailleurs qui se fait dans les universités algériennes, du moins dans les disciplines des Sciences et Techniques. Donc, faire sa formation de graduation avec une langue vivante et faire de la recherche en anglais comme cela se pratique dans tous les pays développés non anglo-saxons, n’est pas un non sens.

Le point positif à retenir de ce débat sur la langue d’enseignement est qu’implicitement, il relance le débat sur le transfert de certains pouvoirs aux régions, d’une manière générale.

D’un point de vu particulier, la question de l’enseignement devrait relever de la compétence régionale, car elle se décline à un double niveau, communautaire et linguistique, comme c’est d’ailleurs le cas en Belgique, en suisse ou en Espagne.

A l’inverse, le point négatif à retenir du débat, est que ce gouvernement dit de transition et illégitime au regard de la constitution, a l’air de se plaire dans ses fonctions et semble vouloir durer, en voulant lancer un chantier aussi sérieux sur la politique et la réforme de l’enseignement.

Ce grand projet nécessiterait d’abord beaucoup de temps, une longue réflexion, une multitude d’échanges d’avis et d’opinions entre experts du secteur et surtout des institutions légitimes pour le lancer. Voilà des critères qui font défaut à ce gouvernement est dont il est loin de se targuer d’avoir.

Conclusion, il est plus souhaitable que l’Algérien se réconcilie avec son histoire et se débarrasse du complexe de l’eternel colonisé et que l’école redevienne un sanctuaire du savoir et non un lieu de lutte des idéologies rétrogrades comme cela a été le cas jusqu’à aujourd’hui. Voici ma modeste réflexion, sur le remplacement de la langue française par la langue anglaise, livrée ici sans langue de bois.

Prof. Hocine Hammoum

Professeur en génie civil à l’Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou

Auteur
Prof. Hocine Hammoum

 




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