Samedi 8 juin 2019
De l’administration coloniale à l’administration algérienne: simple changement de drapeau ?
En effet, pour qu’un Etat puisse exister concrètement sur le terrain, il faut le doter d’un bras c’est-à-dire d’une administration.
Une administration protégée par un droit spécifique et animée par des agents recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat à savoir l’idéologie de l’intérêt général. C’est dans et par l’idéologie de l’intérêt général que se réalise le consensus nécessaire au maintien du tissu social dans le monde occidental. L’Algérie après la guerre de libération recouvre son indépendance en plein chaos administratif et au milieu de règlements de comptes sanglants. Le départ précipité des colons en 1962 a créé un vide à tous les niveaux.
Au niveau de l’administration, les petits fonctionnaires sont survalorisés par le départ des fonctionnaires français ou assimilés et à la différence des moudjahidines, ils savent comment fonctionne l’appareil de l’Etat hérité de l’ère coloniale. Il a fallu donc non seulement les garder mais en plus les ménager voire leur offrir un statut privilégié. Le débat était semble-t-il dans le choix entre des gens compétents techniquement mais politiquement peu sûrs ou des militants nationalistes mais incompétents. Quant aux cadres dirigeants des entreprises publiques, issus du mouvement nationaliste et de l’élite universitaire, ils pouvaient tirer, après 1962, un certain pouvoir de valorisation de leur passé patriotique ou de leurs compétences techniques.
La légitimité dont ils se réclament procède presque uniquement de ce qu’ils ont été les acteurs les plus visibles de la lutte pour l’accession à l’Indépendance et les interlocuteurs privilégiés de l’autorité coloniale. La participation aux instances supérieures du pouvoir suppose comme condition préalable la participation à la guerre de libération nationale.
Les pratiques de cooptation qui prévalaient durant la guerre de libération ont survécu après l’indépendance. Ces pratiques fonctionnent toujours à tous les niveaux de la pyramide politique et économique du pouvoir. Ce comportement s’explique par la volonté des responsables militaires de trouver chez les élites intellectuelles, la compétence technique ou économique qui leur manque pour la gestion des administrations et des entreprises publiques. Cependant, cette collaboration est astreinte à une seule condition : la soumission des intellectuels à la suprématie politique des dirigeants militaires issus de la guerre de libération nationale.. ».. L’adhésion à l’idéologie populiste et à la soumission aux chefs historiques, sont les conditions nécessaires à l’intégration dans la hiérarchie. Entre, rester en marge ou participer à la nouvelle société, la majorité choisit la seconde solution, au prix d’une mutilation d’ailleurs compensée par les avantages du pouvoir » . Dans le comportement de cette couche au pouvoir, vont être privilégiés, les réseaux des relations personnelles, de clientèle et de compagnonnage.
De plus, toute position du pouvoir est indissolublement une position d’enrichissement et des redistributions matérielles par les avantages personnels La langue française est l’héritage le plus durable et le moins contesté de l’époque coloniale (butin de la guerre de libération). C’est sur les résidus de l’administration française, instrument redoutable de la domination française en Algérie (les Sections Administratives Spécialisées), que s’est construit un Etat « national ».. C’est pourquoi, le contrôle de l’Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital pour les parvenus de l’indépendance. L’enjeu réside dans la maîtrise de l’appareil de l’Etat par le biais d’une mainmise sur les centres principaux d’allocation des ressources. Ainsi la couche sociale qui maîtrisera l’administration disposera d’un redoutable instrument de pouvoir. Cette petite bourgeoisie civile a été imposée par l’Armée seule force organisée au lendemain de l’indépendance.
Cette volonté d’occuper la place du colon implique forcément une subordination par rapport à lui. A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées. On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. C’est parfois l’affrontement Cela remonte loin dans l’histoire du nationalisme algérien au moment où la société de l’époque était organisée de telle façon que seules les élites étaient aptes à faire de la politique le peuple était maintenue à l’écart. Il était là pour servir de caution aux choix et décisions prises par l’élite.
Quand la liberté de voix a été accordée au peuple, il s’est jeté à corps perdus dans la religion, une religion tronquée par des enjeux de pouvoir. L’échec politique des acteurs de la modernisation va pousser une partie de la population algérienne vers un retour à l’intégrisme religieux et à la revendication ethnique. Il est loisible de constater que cette élite dirigeante héritière de la colonisation au pouvoir depuis cinquante ans n’a pas apporté le bien être pour tous, ni fourni les éléments constitutifs de l’identité algérienne.
Pour se maintenir, un régime politique autoritaire de la société postcoloniale n’a que deux moyens : généraliser la corruption et semer la terreur autoritaire et despotique, un tel pouvoir appelle fatalement à des contestations d’où l’instabilité politique chronique qui règne dans la société postcoloniale. Il s’agit d’un mode de domination politique de la société postcoloniale aux contours apparemment modernes et au contenu particulièrement archaïque. C’est un pouvoir à deux vitesses. Il se présente à l’étranger en « costume et cravate » pour s’acheter une certaine respectabilité internationale et à l’intérieur de ses frontières, il enfile une « djellaba » et enroule un « turban » pour se donner une certaine légitimité populaire.
Le délire de notre temps est en partie issu du mirage du pouvoir. A l’ordre imposé succède la rébellion ; aux utopies de justice, des abus qui discriminent ; à la liberté de créer et de produire, se substitue un pouvoir qui sécurise et qui réprime. Ce sont là les paradoxes qui font l’histoire. Dans leurs contradictions fleurissent la souffrance comme la joie, la brutalité comme la sagesse ; la vérité comme le mensonge, la nuit comme le jour, la mort comme la vie, l’été comme l’hiver, le désert saharien comme le littoral méditerranéen, les nantis comme les démunis. L’histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de vie; C’est cette poche saharienne qui va financer la politique du ventre pratiquée par l’Algérie indépendante.