25 novembre 2024
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Le dossier des « magistrats faussaires » s’invite au Hirak

UN COMBAT QUI N’EST PLUS SOLITAIRE

Le dossier des « magistrats faussaires » s’invite au Hirak

La brèche ouverte dans l’ancien système de gouvernance par l’irruption de la société dans la sphère publique permet tous les espoirs, non seulement pour mettre fin aux privilèges et à la corruption, mais également pour satisfaire au besoin de réparation de certaines franges de la société ou d’individus qui avaient souffert des abus de l’administration ou de la justice suite à des attitudes ou des initiatives jugées alors politiquement « incorrectes », ne rentrant pas dans le moule de la pensée unique et des intérêts étroits des hauts responsables de l’époque.

Pour ceux qui ont suivi de près l’histoire récente de notre pays, celle ayant succédé aux événements d’octobre 1988, le souvenir de l’affaire des magistrats faussaires, révélée par Benyoucef Mellouk demeure assurément frais dans les esprits. C’est l’auteur même de la révélation qui prend soin de rafraîchir la mémoire de ceux qui auraient oublié cet épisode, ou qui, parce que jeunes à l’époque, n’avaient pas eu l’occasion d’entendre parler de cette affaire, appelée communément « affaire des magistrats faussaires ».

En effet, Benyoucef Mellouk a fait partie de ceux qui ont marché lors de la première manifestation antisystème, le 22 février 2019 à Blida. Par sa présence physique, lui qui n’a pas sa santé des années 90′, a tenu à inscrire son combat de presque trois décennies dans le nouveau combat livré par les jeunes contre un système de gouvernance arrivé au bout de son rouleau.

Sur les épaules des jeunes qui le portaient en héros, il faisait fuser des slogans où se mêlaient la colère et l’espoir, disant que « tout le régime doit céder sa place à des hommes intègres » et réclamant « l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur toutes les personnes qui ont ruiné le pays » (voir El Watan du 1er mars 2019).

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L’affaire des magistrats faussaires éclata en 1992 dans Le Nouvel Hebdo, devenu L’Hebdo libéré, un journal hebdomadaire dirigé alors par feu Abderrahmane Mahmoudi. Benyoucef Mellouk, qui était responsable du département du contentieux au ministère de la Justice, rapporta sur ce journal les éléments d’un dossier « sulfureux », celui de certains magistrats, qui exerçaient dans des tribunaux ou dans des cours de justice, et qui bénéficiaient des privilèges de la qualité d’anciens moudjahidine avec de faux dossiers (attestations communales trafiquées).

Tayeb Louh, alors responsable du Syndicat national de la magistrature, et le magistrat Kharroubi, président d’une chambre à la Cour d’Alger, avaient déposé des plaintes contre Benyoucef Mellouk et feu Abderrahmane Mahmoudi. Le responsable du contentieux au sein du ministère de la Justice a été incarcéré pendant dix jours et Mahmoudi passera, lui, quinze jours de prison. Ils furent libérés sur ordre de l’ancien président du Haut comité d’Etat, Mohamed Boudiaf. Par la suite, Benyoucef Mellouk sera condamné à trois ans de prison ferme avec sursis.

Un pavé dans la mare post-Octobre

Le révélateur de magistrats faussaires a vu son affaire devant la justice traîner en longueur, attaqué pour « diffamation » par de hauts responsables qui se sont reconnus dans certaines des révélations faite par cet ancien fonctionnaire du ministère de la Justice, chargé du contentieux.

Parmi les faits récents en relation avec ce dossier, c’étaient les menaces de mort dont Mellouk avait fait l’objet en 2014. « Je suis menacé par le régime et les membres des familles Kafi et Bouteflika », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse. Ces menaces ont fait suite à des révélations qu’il a faites au sujet de Mohamed Lamine Kafi, un proche de l’ancien président du HCE, Ali Kafi, et d’un certain Baghdadi, personnalité proche de la famille Bouteflika, dans le sillage du dossier des « magistrats faussaires ».

On sait par ailleurs que Mellouk, contraint à quitter son poste au sein du ministère de la Justice au milieu des années 1990, suite aux informations précises et documentés qu’il avait insérées dans la presse sur ceux qu’il a appelés les « magistrats faussaires », avait déjà fait l’objet de menaces de mort de la part d’autres personnalités citées comme étant détentrices de fausses attestations communales de moudjahid et promues aux emplois dans le corps de la magistrature.

En vertu d’un décret datant de 1970, les postes de responsabilité au sein de certaines institutions de l’État étaient limités aux seuls attributaires de l’attestation communale.

Les démêlés de Benyoucef Mellouk avec la justice ont repris de plus belle lorsque Mohamed Djeghaba, ancien ministre des Moudjahidine, et Mohamed Salah Mohamedi, ancien ministre de l’Intérieur, avaient déposé, en 2001, une plainte contre lui pour diffamation. Auparavant, l’ancien fonctionnaire du ministère de la Justice avait fait l’objet d’une sanction administrative: la révocation de son poste, dès qu’il a exposé le dossier des magistrats faussaires dans la presse.

L’ancien directeur du Contentieux au ministère de la Justice, à peine quelques années après l’explosion d’octobre 1988 par laquelle les Algériens arrachèrent la liberté de parole, avait lancé un pavé dans la mare de l’euphorie des rentiers. Ces derniers se constituaient de deux typologies qui, souvent, convergeaient et se fécondaient: la rente symbolique de la qualité de moudjahid, par laquelle le pouvoir politique tenait à se légitimer, et la rente pétrolière, qui permettait de sustenter des clientèles par le truchement d’avantages et prébendes.

Incontestablement, l’engrenage infernal de ces deux forces ou de ces deux fonds, n’a pas manqué d’entraîner les anciens moudjahidine dans les errements et les mauvais choix politiques qui ont présidé au destin de l’Algérie. Au nom des idéaux de la révolution de novembre 54, beaucoup de mal a été fait à l’image des combattants authentiques, survivants d’une guerre atroce et inégale. Un opposant de 1963, ancien officier de l’ALN, en l’occurrence Bessaoud Mohand Arab, n’avait pas hésité à écrire- c’était le titre même de son livre- « heureux les martyrs qui n’ont rien vu« !

Non seulement un grand nombre d’anciens moudjahidine avaient bénéficié de privilèges et faveurs qui frisaient l’indécence dans le contexte social fort problématique de l’après-guerre, mais, pire, certains d’entre eux ont été complices des services de la mairie, en faisant des témoignages de complaisance permettant de faire délivrer à des gens qui n’avaient rien à voir avec la révolution, des attestations de membres du FLN ou de l’OCFLN (Organisation civile du Front de libération nationale).

Ces manœuvres de falsification ne se sont pas arrêtées aux années 1960 ou 1970 du siècle dernier. Elles se sont étendues jusqu’aux années 1980. Comment expliquer que les commissions de reconnaissance de la qualité de Moudjahid « carburaient » encore jusqu’au début des années 1990 ?

Des solidarités en voie de résurgence

L’on se souvient qu’au milieu des années 2000, lorsque Benyoucef Mellouk subissait une espèce de harcèlement judiciaire- lui qui disait détenir des preuves matérielles irréfutables sur les cas de magistrats faux moudjahidine (132 dossiers constitués et 328 noms dont les dossiers ont disparu) qu’il a cités dans le dossier de presse- des noms célèbres de la guerre de Libération s’étaient élevés pour apporter de l’eau au moulin de l’ancien fonctionnaire de la Justice, en assurant que le nombre de moudjahidine de années 2000 était largement supérieur à celui du lendemain de la guerre, et qu’un grand nombre d’entre eux étaient de faux combattants.

L’on pense ici aux révélations de l’ancien colonel Ahmed Bencherif qui soutenait que, dans la seule wilaya de Djelfa dont il est originaire, il y aurait quelque 1000 faux moudjahidine. L’ancien colonel de la révolution avait même initié la constitution d’une « commission de recensement » qui s’était donné pour objectif de faire l’inventaire de ces faussaires sur tout le territoire national. Suite à ce qui s’apparentait à des pressions insoutenables, il lâcha l’entreprise.

Mellouk commentait alors: « Cette commission comptait en son sein le fils du chahid Ben Boulaïd et le colonel Abid. Cependant, elle s’est volatilisée pour des raisons que j’ignore. Il est certain que cette commission a été effectivement soumise à de fortes pressions ».

Contrairement aux lois de la biologie, au lieu de diminuer, le nombre de moudjahidine augmentait chaque année. L’Organisation nationale des Moudjahidine (ONM), qui a rejoint les rangs du mouvement citoyen du Hirak au lendemain de la grandiose marche du 22 février dernier, avait, un certain moment, exprimé une velléité d’assainir ses rangs. Mais, il y avait trop d’intérêts et de pression pour que l’entreprise pût aboutir.

Ce n’est qu’en janvier 2016 que l’ancien secrétaire général de cette Organisation, Saïd Abadou, a décidé de clôturer définitivement les procédures de reconnaissance de la qualité d’ancien moudjahid, déclarant que « le dossier ne se rouvrira plus », expliquant qu’ « il n’est pas raisonnable que le dossier de la reconnaissance de la qualité de moudjahid, membre de l’ALN ou de l’OCFLN, demeure ouvert 40 ans après l’installation des commissions créées à cet effet« .

L’acte citoyen, patriotique et de salubrité publique de Benyoucef Mellouk, avait, dans un système politique rongé par la corruption, les prébendes, les reniements et d’autres vices rédhibitoires de la gouvernance, fini par se retourner contre son auteur dans un environnement hostile, où les solidarités humaines, professionnelles et citoyennes s’étaient gravement délitées et effilochées. Même la presse avait fini presque par abandonner le sujet, ne parlant de l’affaire Melouk que lorsque ce dernier est de nouveau convoqué par le tribunal- sorte de rubrique des « faits divers »- ou lorsqu’il décide lui-même d’interpeller les autorités à travers le peu de médias qui pouvaient répercuter son cri.

L’apparition de Benyoucef Mellouk dans la marche citoyenne de la ville des Roses, au milieu d’une jeunesse flamboyant d’énergie et exigeant des réformes radicales du système de gouvernance, est incontestablement un signe d’espoir que tout n’est pas perdu dans ce pays et que les solidarités, dont on a dit qu’elles s’étaient effilochées sous le règne de la peur et de l’arbitraire, pourront, désormais, constituer le liant précieux de la citoyenneté et de l’exercice des libertés. B.Mellouk, dans El Watan Week-End (31 mai), affirme: « Il est temps de penser à la nouvelle génération de magistrats.

La plupart des anciens sont enracinés partout, il faut les déraciner et les remplacer par des juges honnêtes. C’est à ce moment-là qu’on pourra parler d’une justice juste et d’un Etat de droit ».

Auteur
Amar Naït Messaoud, journaliste

 




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