Jeudi 18 avril 2019
L’Algérie victime des dormeurs d’Al-Kahf (La caverne) !
Les autorités veulent donner l’impression de vouloir rattraper les retards dans ce qui peut être considéré comme temps perdu. Mais le centre d’intérêt semble se limiter au futur en matière d’organisation et de vigilance. Le passé est, pourtant, riche de mal gouvernance et semble l’être aussi en méfaits économiques.
Abdelaziz Bouteflika a, en tant que premier responsable, qui n’admet aucune contradiction, très largement contribué au déclin économique et à la perversion largement répandue dans la société algérienne. Mais des autorités de haut niveau ont leur part de responsabilité dans le désastre de l’économie.
Alors qu’il avait fait le serment constitutionnel de faire des intérêts du pays sa préoccupation majeure et ajouté la référence à Sourate As-sura (La Consultation) verset 15 « Et dis «Je crois à tout ce qu’Allah a fait descendre comme livre, et il m’a été recommandé d’être équitable entre vous. Allah est notre Seigneur et votre Seigneur. A nous nos œuvres et à vous vos œuvres… », il traite le peuple algérien de « médiocre » au Forum de Davos. Parmi ceux qui étaient présents, il en est qui ont assumé des responsabilités de niveau élevé et prétendent encore le faire aujourd’hui.
L’économie n’est pas le domaine où on est quitte après avoir péroré : c’est le domaine de la réalité mouvante et malléable. Par suite de l’inconscience et de l’incompétence de certains hauts responsables politiques, le pays a raté des occasions de sérieuses améliorations sur le plan économique depuis des années. L’auteur du présent article a proposé des mesures à prendre dans plusieurs domaines.
1. La lutte contre l’informel
Que n’a-t-on entendu des ministres des Finances et des chefs de gouvernement (et ensuite premiers ministres) discourir sur le sujet qui ne devait pas toujours être leur préoccupation.
Le pays a raté le coche avec le changement de gouvernement de mai 2001, au moment où un comité de réflexion installé au ministère des finances avait retenu le principe très simple d’une passerelle informatique entre la direction générale des douanes et celle des impôts.
La douane (DGD) avait informatisé le traitement en temps réel à distance des opérations de dédouanement à l’importation. Il suffisait que la direction générale des impôts (DGI) accède au système pour pouvoir identifier toutes les importations (objet, quantité, valeur déclarée, opérateur,…) Cela était suffisant pour que à la DGI puisse reconstituer près de l’importateur la destination des flux physiques qu’il a fait rentrer. La DGI pouvait alors appréhender toutes les activités liées à ces importations quels que soient les opérateurs et ainsi apporter tous les redressements à faire aux déclarations des assujettis au titre des différents rôles d’impôts. Il n’est resté d’acquis des travaux du comité que la carte NIS.
2. Lutte contre les surfacturations
L’application du dispositif de collaboration susvisé aurait mis les deux administrations des finances en situation de suivre le prix des importations. La DGI est plus directement portée à la vigilance dans ce domaine que la douane en ce qu’elle est concernée par les implications au niveau des activités concernées.
L’une des contre-performances majeures de l’économie est que le degré de sa dépendance à l’égard de l’extérieur n’a cessé de s’amplifier. Le pouvoir d’achat de la population aurait pu être mieux préservé si les prix n’avaient pas comporté de surfacturation : celle-ci procure à son auteur un superprofit en devises et un autre en dinars, ce dernier étant proportionnel au prix « coûtant » à l’import.
La technique utilisée consiste en général à créer une société à l’étranger, laquelle facture les prix décidés par l’importateur lui-même mais sous un autre nom commercial. Les montants des importations ont évolué en milliards dollars US entre 2002 et 2015 comme suit :
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Total des importations FOB de marchandises : de 12 à 52,6 ; dont :
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Equipements industriels : de 4,1 à 16,4 ;
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Matières premières : de 0,5 à 1,5 ;
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Produits semi-finis : de 2,2 à 11,5.
Alors que la valeur des intrants (matières premières et semi-produits) importés est passée de 215 à 1 306 milliards de DA, la valeur ajoutée des secteurs productifs n’a augmenté que de 3 019 à 8 941 milliards de DA. Pour créer 3 019 milliards de DA en 2002, il a suffi de 215 milliards d’importations de consommations intermédiaires ; pour créer moins de 3 fois plus de richesse industrielle en 2015, il a fallu payer plus de 6 fois plus d’intrants importés.
Les surfacturations sont avérées au plan global. Pour éviter la chasse aux sorcières, il faut mener des enquêtes pointues. Sont concernées la DGD, la DGI et la Banque d’Algérie (BA).
Les enquêtes gagneraient à porter aussi sur les importations de biens de consommation finale où le même constat est fait : leurs prix en dollars ont été multipliés par 3,56 pour les produits d’alimentation et par 4,15 pour les produits non alimentaires.
La pratique généralisée de la surfacturation permet d’occulter quelque peu le phénomène. Au niveau du secteur économique public, les auteurs de la prédation peuvent être soit des gestionnaires, soit des personnes détenant un pouvoir d’autorité à leur égard.
3. La plaie de l’assainissement financier des entreprises publiques économiques (EPE)
Le statut d’EPE a remplacé celui d’entreprise socialiste qui avait été institué en 1974. Les lois en ont fait des sociétés par actions dont le capital est détenu par l’Etat par l’intermédiaire de Fonds de participation, devenus sociétés de gestion des participations. Elles ont interdit de façon expresse toute interférence dans le fonctionnement des EPE.
Mis en place en 1988, le processus concerne les secteurs réels, mais aussi les banques et les assurances dites économiques. Il implique i) qu’une banque peut récuser une EPE cliente du secteur réel et ii) que celle-ci peut délocaliser ses comptes et opérations auprès d’une ou d’autres banques. On peut dire qu’à ce jour, il n’y a eu aucun mouvement de l’espèce. Ceci est lié au fait qu’en dépit de cette autonomie, les banques restent soumises à l’obligation de financer sans limite les entreprises publiques clientes ; les limites sont atteintes quand les règles qui sont imposées par la Banque des règlements internationaux (BRI) sont dépassées : la BA tire la sonnette d’alarme et, alors, le gouvernement s’agite pour assainir les finances et comptes de l’EPE. C’est l’hallali pour toutes les EPE concernées.
L’auteur est à l’origine du dispositif qui a pris la forme de deux articles de la loi de finance pour 2005. Le nouveau gouvernement installé en mai 2005 a décidé de geler le dispositif.
Pour l’histoire, l’auteur doit dire que celui qui était ministre délégué au Trésor s’était opposé au dispositif ; il a, donc, dû plaider la « bonne cause.» Le même dispositif a été repris dans la loi de finances pour 2009, alors que cet « opposant » était ministre des Finances ; il n’a, à ce jour, jamais été appliqué. Comprend qui voudra ! Pourtant, l’article 63 de la loi de finances pour 2009 en a fait un « dispositif pérenne » de subventions par des crédits budgétaires à dégager annuellement ex ante.
Mais, pourquoi ce dispositif ? L’assainissement financier a pour résultat de déresponsabiliser tout le monde et il est anticonstitutionnel : l’Etat doit apporter des ressources publiques ex post pour recapitaliser les EPE déstructurées alors que la dépense publique doit être décidée préalablement à la situation qui doit être traitée.
C’est pour remplir cette exigence constitutionnelle et responsabiliser tous les intervenants que le dispositif de subvention budgétaire a été proposé et retenu : la banque publique et l’EPE cliente doivent se rencontrer dès l’été pour préparer l’année civile à venir. Si la banque accepte de considérer en toute responsabilité que son client est solvable par son activité, le problème reste au niveau de ces opérateurs. Mais, si tel n’est pas le cas, la partie du besoin de financement que la banque n’est pas disposée à apporter (pour ne pas mettre en péril les dépôts des clients) doit être demandée comme subvention de l’Etat ; c’est, alors, le passage au niveau de toutes les instances politiques pour inscrire la subvention au budget de l’année à venir.
Madame Louisa Hanoune risque de considérer que c’est faire de l’idéologie capitaliste : la transparence n’a pas d’idéologie ; elle s’impose à tout un chacun. L’assainissement financier peut occulter des surfacturations sur les produits importés par les EPE ; c’est aussi un cache-misères de leurs contre-performances.
L’interférence peut être motivée par des penchants de malversation, ce qui crée ou aggrave les déficits de gestion. Lorsque L’Etat met en œuvre le dispositif d’assainissement financier, on ne cherche pas à comprendre : on efface tout et on recommence.
Le coût direct de l’assainissement pour l’Etat a été le suivant :
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626 milliards de DA (équivalent de 155 milliards de dollars US) dépensés entre 1992 et 1997 ;
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2 960 milliards de DA (équivalent de 40 milliards de dollars US) dépensés de 2002 à 2006 ;
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4 614 milliards de DA ou 49 milliards de dollars US équivalent de 2012 à 2016.
Soit un total de 8 200 milliards de DA (244 milliards de dollars US). Ces chiffres incluent 564 milliards de DA pour les OPGI ; 1 815 milliards de DA de soutien à l’agriculture et 40 milliards pour la CNAC. A ces dépenses dont les dernières remontent à 2016, il convient d’ajouter la mise à niveau des banques publiques, résultant des exigences en matière de solvabilité et de liquidité de la BRI. Trou noir. Mais à quoi ont servi les dépenses correspondantes ?
Les instances élues et la Cour des comptes cherchent-elles à en connaître le contenu ? Celle-ci et celles-là se sont-elles demandé pourquoi les articles de lois de finances de 2005 et 2009 – qui avaient pour objet de remplacer ce dispositif inconstitutionnel par un mécanisme de subventions d’exploitation préalablement décidées – n’ont jamais été mis en œuvre ?
Ahmed Ouyahia a alerté récemment le pays sur de nouveaux besoins d’assainissement financier.
Le pays a fait dans le blablabla jusque-là alors qu’il aurait pu réduire sensiblement ce qu’on appelle l’économie informelle, mieux maîtriser la collecte des impôts auprès des opérateurs économiques (et y ajouter l’impôt sur le patrimoine) et booster production et productivité des deux catégories juridiques d’opérateurs (publics et privés) ; il peut encore récupérer une partie des transferts indus faits au titre des surfacturations.
4. Les subventions implicites qui renforcent les inégalités
L’auteur a calculé le coût des subventions implicites concernant les carburants, l’électricité, le gaz et l’eau. Pour l’année 2012, le montant global s’élève à l’équivalent de 13,4% du PIB.
Les tarifs des trois fluides livrés aux ménages sont, certes, progressifs mais la progressivité est faible, de sorte que plus la consommation est élevée et plus la subvention dont bénéficie le ménage augmente. Il a été proposé que dans la limite de la première tranche, le prix de la consommation peut n’augmenter que faiblement et progressivement ; dès que le ménage dépasse le plafond de ce palier, il perd le bénéfice de ce tarif et les prix des autres tranches doivent augmenter fortement pour dissuader les consommations abusives. L’énergie comme l’eau sont des produits rares qui ne doivent pas être bradés au profit des riches. Or, toute subvention qui ne réduit pas les inégalités dans la société est une ineptie économique et une monstruosité sociale.
Deux éditeurs algériens ont refusé de publier l’ouvrage qui traite de ce problème mais aussi de l’assainissement financier : « il n’allait pas dans le sens de leur ligne éditoriale ». Le livre traite, en effet, de la gouvernance politique et économique et devait paraître au printemps 2014 ; l’auteur a dû recourir à son éditeur français. Le livre «L’Algérie : l’heure de vérité pour la gouvernance » a été importé mais se vend trop cher pour le lectorat algérien.