Mardi 9 avril 2019
Faut-il accorder un blanc-seing ou un quitus halal à Ali Benflis ?
Renouvelé en juin 2002 au poste de Premier ministre (une responsabilité confiée depuis fin août 2000), le médiateur Ali Benflis mobilisait alors le microcosme artistique et intellectuel autour de la très controversée Année de l’Algérie en France, veillait au bon déroulement des préparatifs d’une manifestation prévue de janvier à décembre 2003, soulignait à ce sujet que le but envisagé était « (…) de donner une image réelle de l’Algérie (…), de réhabiliter l’image de notre pays dénaturée par certains médias étrangers ».
La mission réparatrice visait à définitivement enterrer la question inquisitrice et inopportune de la décennie 90 : « Qui tue qui ? ». Elle agaçait toujours un haut commandement militaire pourtant satisfait et soulagé de la tournure prise par la Concorde civile initiée par Liamine Zéroual. Ses tractations amnistiantes conforteront grandement le récipiendaire Abdelaziz Bouteflika reçu du 14 au 17 juin 2000 dans l’Hexagone pour justement convaincre l’ancienne puissance coloniale du bien fondé de la vaste « Saison culturelle ». Cette opération de séduction permettra surtout de poser les bases d’une entente cordiale profitable à des intérêts économiques mutuels, aux prochains signataires de coentreprises ou joint-ventures financés sous couvert des leviers du système rentier et, bizarrement, en conformité à l’ultime loi sur les hydrocarbures.
La planification de contrats industriels coïncidait en effet à la privatisation de la Sonatrach (compagnie pétrolière), soit à une mise sous tutelle participative de pays occidentaux (notamment des États-Unis), à une perte de souveraineté nationale au regard de laquelle Ali Benflis décidait, suite à un limogeage entériné le 05 mai 2003 (date de la perte concomitante du siège de secrétaire général du FLN), d’affronter, lors des élections à la magistrature suprême du 08 avril 2004, Abdelaziz Bouteflika.
Classé second (avec 6,24% des voix exprimées), son ancien directeur de campagne (1999) disparaitra des radars de la cooptation institutionnelle pendant dix ans, traversée désertique de laquelle il ressurgira, cette fois à l’occasion des présidentielles du 17 avril 2014. De nouveau battu au premier tour de chauffe (ou choof), le malheureux postulant se plaindra de la gratification officielle de 12,18%, réfutera de déplorables conditions d’organisation propices aux coutumiers bourrages d’urnes, truquages de procès verbaux, gonflages de fichiers ou doublages des cartes de vote. Les fraudes constatées plombant les résultats du scrutin, le dauphin ne se contentera pas des compliments louant une belle prestation ou un digne comportement.
Persuadé d’avoir acquis la majorité des suffrages, d’être le berné de l’histoire, l’ancien ministre de la Justice se mobilisera avec d’autant plus de véhémences que le journal El Watan du 09 avril 2014 relatait la présence de plus de 2500 aficionados à la salle omnisports de Tébessa, et que d’autre part, le confident des causes perdues, le sociologue Lahouari Addi, laissait entendre la veille (08 avril) que les habituels « mani-tous » ou prestidigitateurs de l’ombre chambouleraient en extrême ressort le jeu de rôle de manière à ce que le triple mandaté (déjà physiquement diminué) porte la casquette de l’appât, que par conséquent le challenger devienne le Vrai vainqueur.
Mentionnée un mois plus tôt (le samedi 1er mars 2014) sur le site du webzine Maghreb émergent, l’hypothèse valut au professeur de science-po Lyon des commentaires remémorant son fameux oxymore « régression féconde » et l’incitant à aller consulter un «(…) psychologue ou psychiatre ». Non, affirmera un internaute, Lahouari Addi « (…) n’est pas fou, il a juste envie d’y croire. ».
Pareillement empli de foi, Ali Benflis convoquait quelques mois plus tôt « (…) Allah et le peuple algérien. » (in La Tribune, 20 janv. 2014), demandait aux fidèles de faire sept fois le tour des bureaux avant de sélectionner un bulletin sain puisque poinçonné du cachet de la légalité. Répliquant la vieille dichotomie du licite (halal) et de l’illicite (haram), qui gouverne l’entendement de beaucoup de musulmans, le moralisateur de l’heure employait les approches binaires et minimales servant à régler le curseur ethnique sur la balance essentialiste du « pur » et de l’ « impur » autochtone, à juger nécessaire l’annulation de la concertation citoyenne, à endosser l’habit du chevalier blanc de la contestation permanente, à annoncer le 19 avril 2014 un rassemblement des « Forces du changement ».
Ce néo-prêcheur soumettra fin septembre 2014 le Manifeste (dénommé Livre blanc) rapportant l’ensemble des mécanismes ou procédés pipant les dépouillements (terme à saisir ici au double sens). Comme la cigale ayant chanté tout l’été, il se trouvera fort dépourvu au moment des comptages d’avril 2014, car se sentant délaissé ou trahi par les prétendus soutiens de dernières minutes, ces entremetteurs interlopes d’une armée dont le sommet demeure au cœur des intrigues et du monde des business.
C’est par conséquent en sa direction que le président de Talaïe El-Hourriyate (ElHouriyet ou El-Houriat, parti agréé le 08 septembre 2015) lance ces jours-ci des appels du pied. L’offre de service, que percevront nombre d’observateurs de la vie politique, débuta dès la destitution de Bouteflika et se dévoilera plus nettement lorsqu’il estimera le 06 avril 2019 (au forum du quotidien El-Moudjahid) que la sortie de crise se trouve désormais dans l’application des ordonnances 102, 07 et 08 de la Constitution, piste déjà évoquée du côté de l’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP).
Le désormais « Homme de la situation » exprimera un satisfecit vis-à-vis des résolutions prises ou retenues par le vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd-Salah, appuiera la décantation du général, affinera davantage de points de vue analogues afin, peut-être, de se voir encore adoubé.
Sa feuille de route prévoit une transition démocratique individuelle ou collégiale étalée sur six mois maximum (mais exigeant des Législatives), de confier à plusieurs personnes intègres et consensuelles (c’est-à-dire capables de prendre en considération les avis et propositions de toutes les parties concernées) le soin de diriger cette période, de légiférer provisoirement (conformément aux exigences du peuple), de désigner un gouvernement de compétences, de gérer les affaires courantes, de réviser le Code électoral, de préparer une commission indépendante en charge de l’aménagement, du suivi et de la surveillance d’une présidentielle à laquelle il pense évidemment se présenter.
Si l’avocat Ali Benflis sollicite l’arrêt de l’Article 102, réclame le départ du chef de l’Exécutif (Noureddine Bedoui), des présidents du Sénat (Abdelkader Bensalah) et Conseil constitutionnel (Tayeb Belaïz), souhaite fermer la porte aux forces non constitutionnelles qui, selon lui, veulent saper l’État national républicain, à l’origine des marchés corrupteurs, certains généraux devraient être frappés du sceau de l’indignité nationale.
Accaparé à composer l’intérim de l’éventuelle (ou improbable) mutation moderniste, ce client du sérail assure ne pas être en relation avec des gradés-décideurs, persuade toutefois l’opinion qu’ils peuvent combler le vide de la non représentativité, ont à se pourvoir en modérateurs malgré les relents antidémocratiques et corrupteurs d’une partie d’entre eux (point plaidant en faveur de leur retrait total de l’échiquier politique). Ne se souciant guère du devoir de réserve que requiert l’humilité non courtisane, le septuagénaire Ali Benflis (âgé de 75 ans) surfe sur la dynamique populaire afin, semble-t-il, de tracer opportunément la voie royale de sa béatitude, voire de sa béatification.