22 novembre 2024
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Aspirine ou antibiotique social

REGARD

Aspirine ou antibiotique social

Supposons une personne souffrant de fièvre, causée par une invasion de bactéries nécessitant des antibiotiques pour les éliminer. Cependant, le médecin appelé en l’occurrence se limite à administrer de l’aspirine.

Qu’en penser ?… Soit ce médecin est un faux docteur, soit il reçoit de l’entreprise fabriquant l’aspirine un pourcentage chaque fois qu’il prescrit le produit de cette usine. Dans les deux cas, il s’agit d’un imposteur. Dans les deux cas, ce savant s’attaque à un effet, pas à sa cause ; et la seule victime est le malade dont le mal empirera, probablement jusqu’à sa mort.

Envisageons à présent une société humaine malade, autrement dit qui souffre de conflits sociaux.  Dans ce cas, les docteurs ont présenté et continuent à présenter certains remèdes. Limitons-nous à l’époque moderne.

Le capitalisme « libéral »

Les uns ont proposé et continuent à proposer, comme remède miracle, le capitalisme dit « libéral ». Le principe fondamental en est, pour simplifier : que chacun, selon la « nature » de son intelligence, se débrouille ! Les meilleurs deviendront riches, les médiocres resteront pauvres, ces derniers devant se mettre au service des premiers pour satisfaire leurs nécessités vitales.

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La première formule lancée fut celle de l’homme politique français Guizot : « Enrichissez-vous ! » Mais il ne précisa pas selon quelle méthode. Ainsi, les plus prédateurs s’en donnèrent à cœur joie ; et quand les exploités qui en étaient victimes finissaient par se révolter, l’armée réprimait la « canaille » des faubourgs.

La dernière formule connue fut celle du leader chinois « communiste » Deng Xiao Ping. Il déclara : « Il n’y a pas de honte à devenir riche ». Seulement, là encore, il ne précisa pas la méthode pour le devenir. Certes, la Chine est devenue un pays riche, mais au détriment de la partie pauvre de sa population, plus précisément celle des travailleurs manuels des villes et des campagnes.

En Algérie, on se contente de déclarer simplement : « Développons économiquement le pays ». Autrement dit, qu’il devienne un pays riche. Et on fait l’éloge des propriétaires qui « fournissent du travail » aux citoyens. Quand au capital acquis auparavant par ces propriétaires nouveaux, et au profit qu’ils tirent de leur « offre » de travail, on n’en parle pas ou l’on considère ce fait comme dommage collatéral obligatoire.

Le « socialisme » étatique

D’autres docteurs et savants critiquèrent avec de justes arguments le capitalisme soit disant « libéral », en montrant que le développement économique dont, certes, il fait preuve, que celui-ci profite principalement à une oligarchie de propriétaires, au détriment des citoyens ne disposant que de leur force de travail intellectuelle ou, pire, manuelle.

Dès lors, ces réformateurs et révolutionnaires proposèrent d’autres remèdes.

Celui qui domina fut celui qui affirmait la construction du socialisme à travers un État. Il fut tour à tour défini « ouvrier »,  « prolétarien », « populaire » ; et la société qu’il gérait fut proclamée soit « socialiste » soit « communiste ».

Par contre, ceux qui proposaient un socialisme sans État, autrement dit de type autogestionnaire, furent une minorité. Elle ne fut pas écoutée. Pourquoi ?… Une hypothèse sera présentée ci-dessous.

Autres conceptions

Les religions ont, elles aussi, déclaré lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales. Mais aucune n’a parlé explicitement du phénomène fondamental qu’est l’exploitation économique. Tout au plus, on déclara la nécessité de la « charité », de l’ « aumône » des possédants envers les démunis. Et Jésus-Christ se distingua par certaines actions et déclarations : il chassa les marchands du temple, il stigmatisa à plusieurs reprises les « riches » en leur refusant l’accès au paradis, il a  fait appel aux pauvres de toute sorte : souffrant de la faim, de l’exil ou de l’humiliation d’une manière générale (les « faibles d’esprit »). Tout cela n’a pas éliminé la pauvreté, laquelle, faut-il le dire, est causée directement par la richesse d’une minorité.

Dans l’Extrême-Orient, des doctrines spirituelles ont, elles aussi, considéré la « pauvreté », et, là également, n’ont pas parlé du mal fondamental : l’exploitation économique.

Tout eu plus, la doctrine originelle du taoïsme a déclaré explicitement que, pour éliminer toute forme d’injustice sociale, les êtres humains devraient s’auto-gouverner, et que pour éliminer le vol, il faut éliminer le système social basé sur les voleurs : « « Le peuple a faim parce que le prince dévore l’impôt », dit le livre fondamental du taoïsme (1). Dans cette dernière conception, apparue il y a environ deux mille cinq cents ans en Chine, on peut voir l’idée de ce qu’on appela, depuis l’époque moderne, l’exploitation économique.

De là, on comprend que si le brahmanisme puis le bouddhisme se sont répandus, si le confucianisme fut presque toujours l’idéologie de l’oligarchie dominante en Chine, et le shintoïsme l’idéologie des oligarchies japonaises, par contre le taoïsme, qui semble être l’ancêtre de l’idée autogestionnaire, fut généralement occulté, sinon réprimé, et généralement très peu connu dans le monde.

Faux et vrais remèdes

Dans tous ces cas,  les diverses religions et spiritualités n’ont pas réussi à éliminer la maladie fondamentale qu’est la pauvreté sociale (appelons-la par son nom exact : le résultat de l’exploitation économique) dont souffre l’humanité. Tout au plus, les conceptions religieuses monothéistes formulent la promesse que les pauvres de ce monde ne le seront plus dans l’autre monde. Par contre, ces religions et spiritualités ont enrichi leurs clercs. Le capitalisme « libéral », lui aussi, n’a pas éliminé la pauvreté ; ses progrès économiques ont permis de lui donner des formes nouvelles, suite à l’enrichissement des oligarchies dominantes, mais le fossé demeure béant entre riches (propriétaires de moyens de productions) et pauvres (possédant uniquement leur force de travail intellectuel et/ou manuel). Enfin, le « socialisme » (ou « communisme ») étatique, lui, fut plus ambitieux, et le demeure chez ses partisans : l’élimination totale de la pauvreté sociale. On connaît les résultats.

Dans tous ces cas, nous en sommes à l’administration d’aspirine (des mesures dites d’amortissement social), en occultant l’antibiotique. Or, existe-t-il un autre moyen d’éliminer réellement la pauvreté, sinon par la suppression de ce qui la cause ? Et qu’est-ce qui la cause sinon l’exploitation de l’être humain par son semblable ?

« Ah ! diront certains, vous demandez l’impossible ! Cette exploitation a toujours existé, et, donc, existera toujours !… La nature humaine est ainsi faite ! », ajouterait-on soit avec un soupir, si l’on a le cœur tendre, soit avec âpreté, si l’on a un compte en banque à la place du cœur.

Eh bien, non ! À son début, tout indique que les êtres humains ne pratiquaient pas l’exploitation des uns au détriment des autres, mais la coopération égalitaire, libre et solidaire, pour se protéger des agressions animales et pour affronter certains travaux collectifs.

Ensuite, une fois apparue et pratiquée l’exploitation d’êtres humains par leurs semblables, une partie de l’humanité connut des périodes de révolte durant laquelle cette exploitation fut éliminée, au profit d’un retour à la coopération égalitaire, libre et solidaire. Appelons-la autogestion sociale.

Malheureusement, celle-ci  fut, chaque fois, réprimée par la force bureaucratique quand pas celles des armes. Pourtant, c’est uniquement durant ces courtes périodes d’autogestion sociale, qui ont généralement duré trois années (Russie 1917-1921, Espagne 1936-1939, Yougoslavie à la fin de la IIème guerre mondiale, Algérie 1962-1965), que ce  mal social fondamental fut supprimée : l’exploitation économique de l’être humain par son semblable.

De la préhistoire

Dès lors, se pose la question : pourquoi ces expériences autogestionnaires ont-elles pu exister si peu, et si peu de temps ?

Mon hypothèse est la suivante : le désir de certains humains de profiter de leur force, physique et/ou intellectuelle, pour jouir de la vie au détriment des autres, plus démunis de ce genre de force (phénomène dit : exploitation économique), ce désir produit une mentalité autoritaire, sous forme de domination sociale, laquelle, pour se légitimer, produit un conditionnement idéologique, sous forme cléricale et/ou laïque, cette dernière allant jusqu’à la prétention d’être « scientifique ».

Pour ma part, je considère l’espèce humaine encore dans sa préhistoire tant qu’elle ne supprimera pas de ses pratiques cette « bactérie » sociale qu’est l’exploitation économique. Tout autre remède demeure uniquement une aspirine, voulant éliminer ou atténuer l’effet, sans supprimer la cause.

« Soit ! admettrait-on. Mais l’espèce humaine étant ce qu’elle est partout, et cela depuis tellement longtemps, n’est-on pas obligé, réalisme oblige, de se contenter d’ « aspirine », en cherchant la meilleure possible ?… Sous forme, notamment, de démocratie politique et de développement économique ? »

Ce genre de réplique, quelle personne la formule sinon celle qui, d’une manière ou d’une autre, directe ou indirecte, plus ou moins, profite du système régi par l’exploitation économique ?… Au contraire, une personne qui souffre réellement de l’exploitation ne dira-t-il pas : « Mais, alors, essayons l’autogestion sociale ! »… Il est facile d’imaginer les réactions négatives des personnes que cette proposition menacerait dans leurs privilèges. Et pourtant, pour paraphraser Galilée, peut-on mettre fin aux conflits sociaux autrement qu’en supprimant l’exploitation économique ?

Le dilemme

Ajoutons encore ceci. Outre à la pauvreté de la majorité de la population, tant au sein de chaque nation que dans la planète entière, au profit d’oligarchies minoritaires, l’exploitation économique produit inévitablement la guerre : la guerre sociale au sein des nations, qui devient parfois une guerre armée civile, opposant exploiteurs et exploités, d’une part ; et, d’autre part, la guerre entre les oligarchies des diverses nations, la plus ambitieuse et puissante voulant jouir de la vie au détriment des autres oligarchies.

Dans le passé, ce genre de conflit s’est traduit par des guerres, dont les plus récentes furent la première et la seconde boucheries mondiales. Et le progrès scientifique et technique a fait arriver l’humanité aux armes nucléaires.

Pendant une première phase, elle furent la garantie d’une guerre froide, assurée par ce qu’on appela la « dissuasion nucléaire ». Celle-ci ne donnant à aucun protagoniste la garantie de vaincre, l’apocalypse nucléaire fut évitée.

Mais nous en sommes venus à ce que l’oligarchie dominante mondiale, celle qui domine les États-Unis, en vient à penser fabriquer des armes nucléaires tactiques, autrement dit évitant l’apocalypse planétaire, et même a surgi l’idée d’attaquer le premier, en estimant ainsi en sortir vainqueur. Ajoutons ce que l’histoire enseigne : toute oligarchie dominante, sachant le risque de disparaître, préfère toujours faire disparaître le monde entier avec elle. Tel est l’enjeu des conflits entre l’oligarchie actuellement dominante, celle des États-Unis, et celles qui aspirent à ne pas être exploitées par elle : les oligarchies russe et chinoise. Et bien que ces oligarchies se différencient par leur degré de pratique de l’exploitation économique, il n’en demeure pas moins que toutes les trois sont basées sur ce fléau social. Voilà pourquoi, à l’expression passée « socialisme ou barbarie », nous en sommes, à présent, à celle qui me semble actuelle : autogestion ou apocalypse.

On ignore si l’espèce vivante de l’Atlantide exista et comment elle disparut ; mais on sait comment l’espèce humaine actuelle disparaîtra, si elle ne renonce pas à éliminer cette bactérie finalement mortelle : l’exploitation économique, quelque soit sa forme. Tout discours autre n’est-il pas, en définitif et malgré son apparence réaliste et rationnel, rien d’autre qu’aspirine ? Bien entendu, les profiteurs du système pratiquant ce « remède » n’en ont cure ; mais jusqu’à quand ? La folle course des dirigeants  oligarchiques pour de nouvelles armes nucléaires et la militarisation de l’espace, où sont engloutis des milliards qui suffiraient à éradiquer l’exploitation de l’être humain par son semblable, cette folle course est très actuelle. Et les généraux cherchent fébrilement la manière d’attaquer les premiers, en espérant être vainqueurs. Exactement comme l’homme préhistorique, dont le cerveau était conditionné par la priorité de la violence, cherchait à attaquer le premier pour être vainqueur. Nous ne sommes pas sortie de la caverne (platonicienne, si l’on veut) préhistorique, à moins que la coopération libre, égalitaire et solidaire vienne nous en sortir.

Bien entendu, ces propos peuvent sembler celles d’un martien utopiste, totalement déconnecté des réalités actuelles de la planète Terre. Cependant, ces propos ne ne le sont pas davantage que ceux des personnes qui, en pleine domination du système esclavagiste, puis de celui féodal, ont clamé la nécessité de l’égalité, de la liberté et de la solidarité. Des changements significatifs furent réalisés : l’esclavagisme puis le féodalisme sont généralement éliminés, à l’exception de quelques survivances. À l’humanité reste l’élimination des systèmes exploiteurs qui ont pris leur place : le capitalisme, privé ou étatique, pour reprendre  l’expérience de l’autogestion sociale, à moins de se résigner à la destruction nucléaire de l’humanité par un conflit déclenché par l’oligarchie hégémonique, et poursuivi par les oligarchies qui la récusent. Aspirine ou antibiotique au mal social fondamental de l’humanité (l’exploitation économique), n’est-il pas désormais urgent de choisir ?… Toute tactique de changement social, pour être réellement efficace, ne doit-elle pas s’inscrire dans une stratégie précise à long terme ?… Cette conception exige un effort trop coûteux ? Encore une fois, rappelons-le : il en va de l’existence de l’espèce humaine. Bien entendu, ces considérations s’adressent uniquement aux personnes qui ne tirent (ou ne veulent tirer) aucun profit du système basé sur l’exploitation économique de l’être humain par son semblable.

Kaddour Naïmi,

Email : kad-n@email.com

Renvoi

(1) Pour les intéressés signalons les deux ouvrages fondamentaux : le Dao de jing (Classique de la Voix), de Lao Tseu, et le Zhuangzi, du nom de son auteur. Ce sont des textes fondamentaux de l’humanité, mais généralement ignorés par l’idéologie mondiale dominante. En les lisant, l’on comprend le motif.

Auteur
Kaddour Naïmi

 




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