Vendredi 29 juin 2018
Le Rif : Punir !
La très pertinente journaliste marocaine Fatima Ifriqi concluait un de ses textes sur le maintien en détention des militants du Hirak du Rif par la presque épanadiplose suivante :
« Et pourtant, vous ne serez pas libérés ! »
« Vous avez raison, vos revendications sont légitimes
Nous allons même apporter notre soutien aux manifestants de Caracas et du Venezuela pour la libération des détenus politiques.
Mais vous, vous, nous ne vous libérerons pas ! «
Une punition ferme et directe !
Le verdict est tombé. Et comme l’écrit sans détour Yasmina Khadra: À cette époque, l’honneur d’un homme (ici l’Homme d’État, de l’Etat, de l’Etat et du droit ) rejoignait la virginité chez la fille en ce verdict sans appel : on le perdait une seule fois, et pour toujours.
Le peu de ce sésame, celui de la fierté et de l’honneur, vendu en tambour battant aux gourous du foot mondial vole en éclat!
Des sentences de 20 ans, 15 ans, 10 ans, 5 ans à la pelle où se rejoignent la vengeance, la punition et le despotisme oriental envers tout une région en message de force à tout un peuple.
Des punitions pour criminels ! des punitions pour coup d’État, des punitions pour prononciation publique de droits reconnus. Que faut il retenir à travers cette punition collective au delà de l’émotion suscitée au sein des familles et des épris de justice et de démocratie ?
Trois questions nous interpellent :
– La politique menée et ayant échoué est à l’origine du mouvement. Confirmation prise dans discours du Roi du 29 Juillet 2017. Suite à cela un « tremblement de terre dit zelzal » d’amplitude 4 sur 35 ministres et quelques secrétaires d’État dans le magma de la colère royale.
Alors quelle politique de substitution qui fera sortir la région invoquée de son marasme social et économique? L’aspect le plus visible de cette volonté de transformation est l’aspect sécuritaire. L’adage marocain dirait qu’à Alhoceima, entre deux flics il y’a un flic!
– Les questions de droit : la séquence de l’IER en 1999 a entrouvert un ajour de réconciliation entre les bourreaux et les victimes sur fond de réparations de préjudice. Là est l’aspect visible. Mais le plus important était la fin de l’impunité de l’Etat policé et l’accès aux libertés fondamentales pour tous.
Dix ans après, les libertés confisquées et l’État de non droit règne!
La faiblesse des institutions politiques constitue une des représentations les plus apparentes de l’Etat marocain. Car il y’a bel et bien un État, mais il est faible, sinon « en situation d’échec», marqué par une nette disjonction entre le caractère formel des institutions démocratiques et la conduite de la politique.
Le roi s’est délesté des pouvoirs exécutif et législatif, conserve des charges régaliennes par excellence et Commandant suprême de l’armée. Et au sens de Montesquieu, l’Etat marocain n’en est pas un en réalité.
Une conséquence directe : la grogne sociale dans le Rif est restée sans écoute des mois durant pour absence de gouvernement (octobre 2016 – Mai 2017).
– Le Makhzen: les non familiarisés avec l’histoire du Maroc ne voient pas à quoi ça correspond exactement. Alors on va faire un dessin.
Nous avons le Roi de droit divin. Nous avons des élus de la nation à tous les étages. Nous avons une administration aussi lourde que celle en France. Et nous avons l’appareil étatique marocain. Un modèle qui gère de façon ancestrale les aspects les plus traditionnels et vieillis du fonctionnement de l’État au Maroc. Cela va de l’écho fait à l’activité royale, au contrôle du terrain pour maintenir l’ordre royal en passant par sa prépondérance à dicter la moindre décision à toutes les échelles.
Le Makhzen ne permet pas à une idée revendicative d’émerger.
Une autorisation d’organisation, une autorisation de vente ambulante, une manifestation, un événement culturel non pensé par les services centraux….tout est soumis à approbation du Makhzen en lieu et place de l’administration et des institutions. Appuyé en cela sur une institution religieuse à travers les 50 milles mosquées du pays sécuritairement contrôlées.
Les Rifains comme ceux de Zagora ou autres Jerada ont osé défier le Makhzen.
Au Maroc, on peut dans certaines limites contester les politiques, revendiquer quelques droits mais tout cela ne devrait pas dépasser les bornes fixées par le Makhzen : bornes de la richesse accumulée indûment, bornes de la sacralité royale, bornes de la sacralité nationale.
Quand le Makhzen manque d’arguments car les Marocains ont compris que les mouvements pacifiques sont les plus porteurs, le Makhzen fabrique la preuve du dépassement. Il dispose de tous les pouvoirs.
Pour conclure
Les militants ont exercé un droit reconnu par la constitution de 2011, celui de refuser le mépris de l’Etat et de ses manquements en matière de santé, d’éducation de culture ou de travail.
Le Makhzen a puni. Car on ne désobéit pas au Makhzen. Et ils ne vont pas être libérés car le Makhzen ne libère que sous très grande pression.
Le Makhzen a fabriqué pour briller à la FIFA une image qu’il faut lui retourner.
A nous d’agir !