23 novembre 2024
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Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (IV)

Grand Angle

Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (IV)

La montée de l’intégrisme islamiste a sérieusement retardé l’essor des sociétés musulmanes.

Enfin, les gardiens du temple rétorqueront que l’étude ou l’utilisation massive d’une langue étrangère contribue inévitablement à une perte d’identité. Qu’ils en soient rassurés car, à ce jour, d’aucune étude justifiant cette crainte n’a été recensée. Plus encore les pays ayant expérimenté cette voie n’ont pas perdu ni leur âme, ni leur salut! Tout simplement parce que « c’est en allant à la mer que le fleuve reste fidèle à sa source. » Et puis si tel était le cas, pourquoi ces sentinelles de la pensée unique s’entêtent-elles à envoyer leurs progénitures dans les grandes écoles étrangères? Notons que cet engouement pour la scolarisation à l’étranger s’est « démocratisé » et touche toutes les franges de la population comme le laissent apparaître les longues et interminables queues devant le centre culturel français où les candidats au départ sont appelés à passer l’épreuve de maîtrise de la langue française. L’image, rapportée par la presse algérienne il y a quelques mois, où l’on voit des centaines de jeunes Algériens agrippés aux portes du Centre culturel français à Alger, ne laisse aucun doute sur l’existence de ce phénomène : chaque année 15 000 jeunes Algériens candidatent auprès des services français en Algérie pour tenter de décrocher le sésame qui leur permettra de s’inscrire en France et 23 000 soit 8% du total des étudiants étrangers en France sont Algériens !

L’intérêt pour l’usage de cette langue ne cesse de croître et touche toutes les sphères de la vie économique, sociale, culturelle en raison de son « utilité » dans :

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– Le domaine de l’emploi où le diplôme en langue française bénéficie d’une surcote particulièrement dans les secteurs de l’industrie, des nouvelles technologies, du commerce extérieur ;

– Des représentations symboliques où l’expression écrite ou orale en français est synonyme (pas toujours vérifiée) de modernité.

Ainsi la place de cet idiome dans la vie quotidienne ne cesse de s’élargir : les écoles privées dispensant des enseignements bilingues connaissent un succès loin de s’estomper, les antennes satellitaires couvrent les toits des demeures, les enseignes commerciales (au détriment parfois des règles d’orthographes) s’affichent ostensiblement dans la langue de Molière sur les devantures de magasin, les néologismes (flexy-li, zimigrés, biznis…) fleurissent et donnent une certaine musicalité à leur expression.

Nous ne pouvons clore ce point pour une politique linguistique en conformité avec la sociologie et l’histoire du pays et en adéquation avec les impératifs du développement sans appeler à méditer la célèbre formule de Kateb Yacine (un intellectuel qu’on ne peut soupçonner d’une quelconque accointance avec l’ancienne puissance coloniale) : « la langue française est un butin de guerre ».

Le patriotisme éclairé n’est ni dans la nostalgie du passé, ni dans l’édification des murailles linguistiques, il réside dans la capacité de l’être à s’ouvrir au progrès et à élargir le champ du possible. Et pourquoi ne pas faire de «ce butin de guerre » un outil d’exploration et de maitrise de ce champ du possible? Il pourrait être cet outil de nécessité pour rejoindre Amin Maalouf qui écrit dans «Les identités meurtrières» : « Aujourd’hui, toute personne a besoin, à l’évidence, de trois langues. La première, sa langue identitaire; la troisième, l’anglais. Entre les deux, mais pas toujours, une autre langue européenne. Pour chacun elle serait, dès l’école, la principale langue étrangère, mais elle serait bien plus que cela aussi, la langue de cœur, la langue adoptive, la langue épousée, la langue aimée ».

Comment ne pas souscrire à cette idée à l’ère de la mondialisation?

N’est-ce pas dans la philosophie des « Lumières » et en langue française que les nationalistes algériens et vietnamiens ont forgés leurs outils de lutte pour mettre fin au statut d’indignité dans lequel le colonialisme maintenait leur peuple ?

Les valeurs communes

L’impératif du « vivre ensemble » constitutif d’un climat apaisé, repose au minimum, selon nous, sur le respect de quatre valeurs : l’égalité des sexes, la laïcité, la démocratie et le cadre républicain.

– l’Egalité Homme – Femme

Comment prétendre à la modernité lorsque les seuls droits accordés à la femme sont le droit de se taire et le droit de procréer! Le code de la famille algérien, en dépit des amendements apportés en 2005, perpétue l’infériorisation de la femme : la polygamie, la répudiation par la simple volonté de l’époux de rompre le mariage, l’interdiction pour une musulmane (tous les algériens et algériennes sont tous musulmans aux yeux de la loi) d’épouser un non musulman, la discrimination lors des héritages… codifient et organisent cette infériorité.

Mais, malheureusement, il n’y pas que la loi qui discrimine la femme : le quotidien de cette dernière est synonyme d’humiliation car partout elle est jugée provocante, impure et faible :

  • Nawal Saadaoui, candidate à l’élection présidentielle en Egypte en 2005, s’est attirée les foudres du cheikh Ali Gommaa lorsque ce religieux décrète qu’une « femme ne pouvait être présidente car elle a ses règles » (cité par Hamid Zanaz dans son ouvrage : «L’impasse islamique » ;
  • un député algérien, lui de son côté, voit dans «le non-port du voile, dans les lieux publics, une source de provocation » ;
  • les femmes ne sont-elles pas « responsables des violences qu’elles subissent » crient à l’unisson certains députés dans l’enceinte d’un pays musulman ?

De tels propos ne constituent-ils pas une prime à l’atteinte à l’intégrité physique et morale de la femme ? En une année plus de 260 femmes ont perdu la vie suite à des violences et 8 500 ont été violentées. Encore, il ne s’agit là que de chiffres officiels et lorsqu’on sait les pressions qui s’exercent sur les femmes, pour qu’elles n’ébruitent pas ces violences, on aurait donc du mal à ne pas craindre le pire.

Qu’est-ce qui peut justifier un tel mépris, largement observé à travers le monde musulman, envers la Femme?

– L’ignorance et l’état d’arriération culturelle et sociale des sociétés arabes et musulmanes

Rares sont les pays musulmans qui échappent à la culture de la misogynie. En dépit d’un effort de scolarisation important, la femme reste toujours, dans l’imaginaire collectif, un être différent de l’homme. Au mieux, elle peut prétendre au statut « d’équivalent » à l’homme mais surtout pas son égale. Cette pesanteur socioculturelle vient du plus profond de l’histoire et se voit reproduite continuellement à travers toutes les couches sociales:

– D’abord dans le milieu familial où la mère enseigne à sa fille, avant le mariage, qu’elle doit obéir et se soumettre aux desiderata du mâle ;

– Dans la rue où très vite, le père, le frère, l’oncle, le tuteur veillent à la « bonne tenue » de l’adolescente. Il faut préserver la bonne réputation de la famille en veillant à la « robotisation » de cet être qui déambule dans la rue drapé dans un accoutrement étouffant moralement et physiquement. La « bonne réputation » de la famille est à ce prix!

Ce sort, fait à la femme, participe d’une véritable culture qui ne reconnaît de rôle public à la femme que dans des conditions précises. En Palestine, la femme n’est appelée à jouer un rôle que dans la lutte contre Israël (voir la charte de Hamas) ; tandis qu’en Algérie, la femme combattante a vite été rappelée à ses « obligations naturelles» : la procréation- une fois la guerre de libération terminée. Certes, des progrès ont été enregistrés mais très vite contrebalancés par les prêches incendiaires de certains illuminés pour qui une femme libre est forcément une femme qui dérange dont il convient alors de soustraire de l’espace public car « Si on la montre, elle crée des jalousies… la femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Visible par tous, elle passe d’une main à une autre » clame Hani Ramadan.

Comment alors être surpris lorsque déambulent sous nos yeux des êtres voilés intégralement dont on ne sait si «ils» avancent ou reculent !

– Le statut juridique de la femme dans le monde musulman

En Irak, pays considéré laïc et progressiste mentionne sur la carte d’identité de ses ressortissantes la mention de virginité.

En Afghanistan, la préoccupation aujourd’hui pour les nouvelles autorités du pays, ne semble pas être le développement du pays mais la réintroduction de la lapidation comme sanction de l’adultère s’il venait à être confirmé par 4 témoins oculaires;

Au Yémen, les filles sont mariées dès l’âge de 10 ans, 13 ans en Iran ;

En Arabie saoudite, les actes homosexuels et l’adultère sont punis par la mort. La loi encadre bien d’ailleurs la vie des Saoudiennes : elles ont besoin d’un tuteur pour travailler, voyager, se marier et même pour pouvoir se faire ausculter par un médecin. L’application très stricte de cette loi conduit parfois à de véritables drames : une jeune fille, victime d’un malaise cardiaque à l’université, a succombé car l’ambulance a été stoppée à l’entrée de son université au motif que les ambulanciers étaient des hommes. Un autre fait tragique : la mort de 15 adolescentes âgées de 12 à 17 ans, emportées par l’incendie de leur école, car les grilles sont restées fermées, tant que les jeunes filles ne s’étaient pas drapées du long vêtement noir islamique.

– Le figh (jurisprudence théologique) décline dans la vie de tous les jours, en pays musulmans, ce qu’autorisent le Coran et la Sunna. La Femme a de loin les faveurs du texte sacré comme en dispose le verset suivant « les femmes à l’égard de leur maris et ceux-ci à l’égard de leurs femmes doivent se conduire honnêtement. Les maris sont supérieurs à leurs femmes. » sourate La Vache II 228

Pourquoi cette volonté systématique de faire de la femme un être suspect de raison, d’intelligence et de raisonnement ? Il ne faut surtout pas croire qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau mais bel et bien d’une récurrence qui remonte loin dans l’histoire et que Kateb Yacine résume admirablement bien dans la pièce de théâtre «La Guerre de 2000 ans»:

« Ils (les conquérants arabes) s’étonnent de vous voir dirigés par une femme.
C’est qu’ils sont des marchands d’esclaves.
Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre.
Pour eux, la plus belle fille n’est qu’une marchandise.
Il ne faut surtout pas qu’on la voit de trop près.
Ils l’enveloppent, la dissimulent comme un trésor volé.
II ne faut surtout pas qu’elle parle, qu’on l’écoute.
Une femme libre les scandalise… »

La modernité ne peut souffrir d’un déni des droits d’un peu plus de la moitié de la population et il faudra bien, qu’on le veuille ou pas, comme le chante le poète :

« Il faudra réapprendre à vivre
Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D’une manière irréversible »

Jean Ferrat sur un poème de Louis Aragon dans la chanson : «La femme est l’avenir de l’homme».

L’impératif de la modernité est, là aussi, dans la parfaite égalité des droits entre les sexes.

Un autre fondement structurant l’identité moderne et apaisée mais sujet explosif dans le monde musulman s’appelle la laïcité.

Qu’est-ce que ce concept ?

Prenons soin, avant de voir comment la laïcité est synonyme de concorde entre les gens, d’évacuer les fausses idées persistantes et récurrentes aussi bien chez le commun des mortels que dans l’idéologie officielle. Ces fausses idées sont essentiellement au nombre de deux :

– La première est celle qui veut assimiler la laïcité à une exception française confondant (volontairement) antériorité et universalité : ce n’est pas parce qu’une idée est née dans un contexte géographique précis qu’elle n’a pas vocation à devenir universelle. S’il fallait absolument rejeter tout ce qui n’est pas né chez nous, il y a bien longtemps que nous ne serions plus de ce monde! Il est vrai que le concept moderne de la laïcité a été forgé en France d’abord sous la révolution de 1789 où la République naissante privilégie l’individu sur la communauté ou le groupe et ensuite affirmé par la loi de 1905 qui acte juridiquement la séparation de l’Eglise de l’Etat. Mais il serait faux de lui en attribuer l’exclusivité car au VIIIème siècle déjà, les Mu’tazilites (mouvement musulman d’inspiration rationaliste) en précurseurs posaient déjà la question de la confrontation entre la raison divine et la raison humaine : «la volonté divine est rationnelle et juste (mais) les hommes peuvent en saisir le sens et y confirmer leurs actes ». En posant en ces termes le problème, ce courant s’est attiré les foudres du courant traditionnaliste Hanbalite. L’excommunication qui a frappé les Mu’tazilites n’empêchera, quelques années plus tard, Ibn Rochd (1126-1198), en puisant dans la philosophie grecque et dans les enseignements des Mu’tazilites, de reprendre la controverse et de forger le concept du libre arbitre entendu comme capacité reconnue à l’individu de penser librement, de propager librement ses idées et de privatiser la pratique de son culte. En effet, pour ce philosophe, la vie sociale est un produit, spécifique à chaque période historique, qu’il convient d’analyser, d’interpréter comme produit de l’humain.

Mais si l’école hanbalite a ruiné l’effort d’émancipation initié par les Mu’tazilites ; les Almoravides (1040-1147) et les Almohades (1121-1269)(deux dynasties berbères) ont réalisé l’exploit d’anéantir les héritages d’Avicenne (Ibn Sina 980- 1037) et d’Averroès (Ibn Rochd 1126 – 1198) qui plaçaient la raison, le courage de penser, la vérité et la liberté d’esprit au-dessus de toute autre considération : l’heure de la glaciation de la pensée a sonné dans le monde musulman et se perpétue.

Ce rappel historique a le mérite de signifier que le processus de laïcisation des institutions publiques entendu au sens de processus qui reconnaît et garantit la liberté de conscience synonyme de la liberté de s’exprimer sur toutes les questions qui touchent de près ou de loin la vie terrestre n’est pas spécifique à la société occidentale et ne constitue nullement une ruse pour nous aliéner et nous déposséder de notre spiritualité. D’ailleurs si tel est le cas, comment justifier la démarche des Oulémas algériens auprès des autorités françaises pour étendre l’application de la loi de 1905 au territoire algérien?

La deuxième idée fausse est celle qui tente de créditer dans les consciences que la laïcité conduit et encourage l’athéisme et vise particulièrement à affaiblir la religion musulmane.

Ce qui est complètement faux car la laïcité ne veut pas dire exclusion de la religion de la sphère publique mais simplement que l’Etat, garant de la vie en société, est neutre vis-à-vis de la question religieuse. Ainsi les deux activités (religieuse et politique), s’autonomisant l’une de l’autre, se mettent à l’abri des tentatives réciproques d’instrumentation et de manipulation. Car la philosophie laïque est la distance que met le citoyen, dans son processus d’apprentissage et/ou de compréhension des phénomènes socio-politico-culturels, des influences religieuses, politiques, idéologiques partisanes. Se soustraire aux influences dominantes de quelque nature que ce soit est un impératif pour accéder à une pensée libre et émancipatrice.

Remet-elle en cause la religion musulmane ? Trois exemples suffisent pour infirmer cette thèse qui persiste encore de nos jours :

– le cas du Sénégal : la population musulmane représente 94% de la population et le pays est membre de l’Organisation de la Conférence Islamique et cela n’empêche nullement le pays d’opter pour la laïcité comme le stipule en son article premier la constitution du 7 mars 1963 : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Le pays est profondément musulman mais l’islam n’est pas une religion d’Etat.

– celui de la Tunisie

Visionnaire et profondément patriote, Habib Bourguiba a, dès son accès au pouvoir en 1958 :

– dissout les tribunaux religieux au profit des juridictions civiles ;

– soustrait la dimension religieuse du pays de la constitution ;

– libéré la femme tunisienne du carcan de la tutelle et interdit la polygamie.

A-t-il pour autant attenté à la dimension religieuse de la Tunisie ? La « déconfessionnalisation » de la société tunisienne n’a ni remis en cause son indépendance, ni provoqué un quelconque cataclysme que prédisaient certains. Bien plus, les bienfaits de la séparation du champ politique du champ religieux ont fini par convaincre même ceux qui tentaient, par le passé, d’utiliser la religion comme tremplin pour l’accès au pouvoir : « Nous voulons que l’activité religieuse soit complètement indépendante de l’activité politique. C’est très bien pour les politiques car ainsi ils ne seront plus accusés de manipuler la religion à des fins politiques. Et c’est très bien aussi pour la religion afin qu’elle ne soit pas elle-même otage de la politique, manipulée par les politiques » (Rached Ghannouchi : Le Monde du 19 mai 2016)

Le troisième exemple nous vient de la France. Ce pays, où la séparation de l’Eglise de l’Etat a mis  » Dieu au foyer et le citoyen à l’école » selon l’expression de Jean Daniel et où la République veille et garantit le libre exercice des cultes non seulement chrétien mais également judaïque et musulman, comme en témoignent pour ce dernier culte, les 2 449 lieux de culte recensés sur le sol de l’hexagone.

« Dieu est heureux » là où les hommes vivent en paix! Et le facteur garant de cette paix est dans la mise en place d’un processus de sécularisation de la société.

Les juifs de France ont-ils perdu leur âme ou renié leur religion lorsqu’en 1807 l’instance suprême juive (le grand sanhédrin) a appelé à soumettre les dogmes religieux au droit commun ?

Le devoir de l’Etat n’est-il pas avant tout de défendre, protéger et promouvoir le principe de l’inviolabilité de la personne et l’imprescriptibilité de ses droits plutôt que de vouloir régenter la conscience religieuse de citoyens?

Un autre élément structurant de l’identité de cohésion est le cadre républicain de la nation.

Pourquoi la République ?

Le mot « république » vient du latin RES publica qui signifie la chose publique. Autrement dit, il s’agit d’une forme de gouvernance de la nation qui repose sur un » grand acte de confiance » qui traduit la volonté collective de concilier « la liberté et la loi », « le mouvement et l’ordre » (Jaurès Discours à la jeunesse 30 juillet 1903). Concilier la liberté et la loi, l’ordre et le mouvement revient à dire que chacun de nous est tenu, dans l’espace commun, de respecter les impératifs du « vivre ensemble » régis par les règles de bonne conduite et par le Droit. C’est un état dans lequel force reste à la loi pour déterminer, organiser, et encadrer les relations entre les membres d’une société donnée afin d’assurer et de sauvegarder l’intérêt public. Le cadre général de ce dispositif s’appelle la Constitution, votée par référendum, laquelle fixe les valeurs et les principes de la République. La République est donc la forme de l’Etat qui tire sa légitimité de sa capacité à assurer l’intérêt public abstraction faite des appartenances ethniques, politiques, religieuses, philosophiques. Pour cela, la République se doit de répondre à 3 exigences :

– assurer et garantir la liberté des citoyens quelles que soient leurs idées, opinions, leur religion, leur couleur de la peau…

– assurer et veiller à l’égalité entre tous les membres de la société et particulièrement l’égalité Homme- Femme;

– protéger les citoyens en assurant la protection sociale des plus démunis.

Enfin, le dernier élément qui constitue pour nous le socle d’une identité de cohésion repose dans ce que nous appelons :

Le destin commun

Que nous soyons du Sud ou du Nord, de l’Est ou de l’Ouest, que nous parlons berbère, arabe ou français… nous partageons une histoire commune jalonnée par des moments de souffrance (les guerres, le terrorisme), de joie avec l’accès à l’indépendance en 1962, de conflits avec le déni identitaire affiché ostensiblement par le régime du parti unique qui n’a eu comme réponse à des revendications justes et légitimes que la négation, la brutalité et la répression. Aujourd’hui le temps n’est-il pas venu d’écrire, à l’abri des passions ou des instrumentalisations, les pages d’un récit national qui tiennent compte de l’Histoire plurielle de l’Afrique du Nord et donnent envie, aux jeunes générations de ne plus crier « l’histoire à la poubelle » mais de se retrouver dans une Histoire « où les deuils valent mieux que les triomphes » pour reprendre la belle phrase de E. Renan. Et reconnaître ainsi, que « l’autre est en moi » : comme le dit admirablement bien le poète Ait Menguelet

“Baba-s d aqbayli bbwedrar

Yemma-s d taârabt bbwecluh

Seg wid yetseggimen annar

Ur nettâmmid ad yi-iruh »

« Son père (de l’Algérien) est kabyle de la montagne

Sa mère est arabe de la steppe

C’est un vrai bâtisseur

Nous n’admettons de le nier »

En résumé, l’Algérie n’a d’autre choix que celui dont les membres de l’équation reposent dans l’option pour une identité républicaine, laïque ou dans le maintien d’une société conservatrice où la norme religieuse et l’usage d’une langue telle pratiquée au VIIème siècle tiennent lieu de « constantes ».

Nous mesurons à sa juste valeur les difficultés, les résistances, les hostilités qui ne manqueront pas de se dresser sur le chemin pour une société ouverte sur le monde, laïque dans sa gouvernance, moderne dans son expression lorsque nos concitoyens se définissent et se reconnaissent d’abord dans le facteur religieux et l’usage de la seule langue arabe. C’est ce repli frileux et chauvin qui a amené les députés algériens du bloc arabo-musulman à refuser d’inscrire dans la loi de finances des crédits indispensables au développement de la langue amazigh pourtant langue nationale et officielle. Position rétrograde qui témoigne d’un repli identitaire suicidaire tant il rend flou l’horizon, anxiogène le présent et problématique le vivre-ensemble. Et pourtant, il existe bel et bien un espoir, fragile il est vrai, qu’il convient d’allumer : c’est celui qu’a porté durant toute sa vie Hocine Ait-Ahmed dont le combat était la synthèse de ce qu’est l’Algérie réelle. De l’inscription de l’Algérie dans le Maghreb, à la prise en compte de la dimension pluriculturelle de l’Algérie et à la mise en garde adressée, en 1992, aussi bien au pouvoir qu’aux islamistes, il était l’homme de la réconciliation potentielle entre tous les algériens. Cet espoir ne doit pas disparaitre avec sa disparition physique. Cette perspective est possible même si elle est extrêmement compliquée à atteindre.

Conclusion

L’horizon commun se construit sur un principe intangible, imprescriptible : s’inscrire dans la modernité ouverte au monde où l’examen de conscience n’est pas de se réfugier dans une vision passéiste de peur de se » perdre » mais de se donner le courage d’être en même temps « l’un » et « l’autre ».

Nous ne pouvons-nous réconcilier avec nous-mêmes qu’au prix d’un écrit national sans complaisance de nos appartenances multiples léguées ou imposées par l’histoire : nous sommes Berbères mais aussi un peu romain, un peu byzantin, un peu vandale, un peu arabe, un peu turc, un peu français… mais aussi au prix d’une ouverture assumée à la culture de « l’autre ». Cette seconde condition est aussi primordiale que la première car pouvons-nous nous satisfaire de la technique de « l’autre » et refuser sa rationalité ?

L’identité n’est pas cette chose immuable; mais un processus sans cesse en mouvement qui est à la fois source d’angoisse mais aussi d’affirmation. Il est vrai que certains éléments de notre identité sont déjà en nous dès la naissance (sexe, la couleur de la peau) mais les autres éléments de notre identité nous les tenons de l’environnement social et culturel dans lequel nous baignons, de notre capacité d’ouverture ou de repli… ainsi notre identité se construit, se transforme tout au long de notre existence. Qu’un seul élément de cette construction soit contrarié, c’est tout l’édifice qui s’écroule.

S. Dj.

Lire la troisième partie : Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (III) 

Lire la 2e partie Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (II)

Lire la 1re partie : Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (I) 

Auteur
Salem Djebara

 




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