24 novembre 2024
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Lettre lue au nom du président Bouteflika : un chiffre imprécis et un autre faux

Grand Angle

Lettre lue au nom du président Bouteflika : un chiffre imprécis et un autre faux

Lors de l’inauguration de la conférence-exposition sur la transition énergétique organisée par le Forum des Chefs d’Entreprise qui s’est tenue du 17 au 19 janvier dernier,  le ministre de l’Energie devait lire une lettre, mission que lui a confiée le président de la république. Jusque-là, rien d’extraordinaire car tous les Algériens se sont habitués ces dernières années d’entendre les responsables s’exprimer au nom du président lorsqu’un événement se déroule dans leur secteur. Quand il ne l’est pas, c’est un conseiller de la présidence qui le fait.  

Seulement cette fois-ci, il y a eu un cafouillage au sujet de la lettre qui a laissé tous les participants et notamment les journalistes perplexes. Avant même d’entamer les thématiques de la conférence, le ministre de l’Energie quitte la salle dans la précipitation et son service de communication s’est empressé de récupérer les copies intégrales du discours ainsi lues et qui ont été distribuées aux journalistes auparavant, en vain d’ailleurs puisque l’information a été répercutée dans les principales salles de rédaction surtout les médias lourds. Cette conférence qui au demeurant devait être inauguré par le premier ministre lui même et que cela n’a pas été fait a subit plusieurs changements dans le programme.

Nonobstant les chiffres qu’on discutera plus loin, le président de la république a saisi l’occasion pour mettre fin au faux débat sur le gaz de schiste  pour une deuxième fois. Pour lui, « l’Algérie n’est pas contrainte à se précipiter pour lancer le  développement de ses ressources en hydrocarbures non conventionnels et que le gouvernement s’attelle à revoir le cadre juridique à travers la  refonte de la loi sur les hydrocarbures afin de rendre l’amont pétro-gazier algérien plus attractif en matière des ressources conventionnelles ». Il s’agit là d’un message fort qui constitue un rappel à l’ordre aux responsables qui n’arrêtent pas d’en faire allusion et un « niet » catégorique aux prétendants étrangers qui font pression sur Sonatrach pour aller dans cette direction notamment les Américains, les Français et les Italiens. A en croire Algériepart qui détient son information de source sûre, la société Anadarko aurait proposé un plan  d’investissement de 90 milliards de dollars pour décrocher les permis d’exploitation des réserves de gaz de schiste sur tous les permis que le département américain de l’énergie a identifié et en exclusivité. On peut supposer que le Premier ministre Ahmed Ouyahia qui a eu vent du contenu du message, a préféré rester dans son fief pour faire un point de situation sur les dernières élections locales. N’est-il pas lui-même qui a réchauffé ce dossier lors de sa première sortie de premier ministre à Arzew ? Cette virée devait même être jugé inopportune par les services de la sûreté de l’Etat.

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Quant aux chiffres, leur encombrement a dû dérouter même les experts, n’en parlons pas de la presse qui les a répercutés tels quels. Ainsi le programme des énergies renouvelables permettra selon la lecture faite une économie de 300 milliards de m3 de gaz naturel dans un avenir proche. S’agit-il d’un gain qui vient gonfler les réserves disponibles ou éventuellement un autre sur la consommation annuelle ?

Dans le premier cas, il reste insuffisant et dans le second s’en est trop lorsqu’on sait que l’Algérie produit en moyenne par année  près de 90 milliards de m3 dont 1/3 pour la réinjection afin de maintenir la pression des gisements existants, l’autre tiers est destiné à la consommation interne qui augmente chaque année au rythme de 6% et  le reste est exporté. Plus grave, le chiffre avancé sur les réserves d’hydrocarbures est irréel pour au moins deux raisons. La première est qu’il ne peut pas être une erreur ou une coquille d’inattention car il s’écarte totalement de la réalité. Toute la presse l’a répercuté tel qu’il est sauf le site Lakoom Info qui en a fait son titre en remplaçant la tonne par m3 mais le texte a été maintenu tel quel. Certainement, le journaliste a été dérouté mais en avançant ce chiffre en milliards de m3, il s’est rapproché de la réalité car la « Statiscal Review of World Energy » de British Petroleum, très crédible dans ce domaine, nous donne voilà près d’une décennie et à la fin 2016 dans édition 2017 le chiffre de 4500 milliards de m3 prouvées mais uniquement pour le gaz naturel. Ce n’est pas ce qui est dit dans la lettre « l’Algérie dispose actuellement de 4000 milliards de tonnes de réserves d’hydrocarbures prouvées et récupérables dont plus de la moitié en gaz naturel ». La deuxième raison est l’énormité du chiffre qui ne devrait tromper personne surtout le premier responsable du secteur. Si l’on se réfère à la même source citée plus haut,  On y découvre qu’à la fin 2016 les réserves mondiales du pétrole s’établissent autour de 240,7 milliards de tonne Equivalent Pétrole (TEP).

Pour le gaz naturel, elles sont de 186,6 trillons de m3. Si le gaz représenterait la moitié de ce qui est avancé dans la lettre, cela voudra dire que les 2000 milliards de tonnes qui restent sont des réserves de pétrole. En d’autres termes, nos réserves dépasseraient celle mondiale de plus de 8 fois alors nous y sommes dedans est ce bien raisonnable car c’est une impossibilité. 

Quelle est justement le niveau des réserves réelles et leurs sources ?

Si l’on se réfère aux chiffres officiels dont les derniers sont communiqués par le ministre de l’énergie lors du conseil des ministres du 6/10/2015(, nous avons si l’on reconvertit les TEP (tonne équivalent pétrole : 1,387) en barils 10,17 milliards de barils et 2745 milliards de m3 de gaz toutes formes confondues. Ce sont là des estimations que de nombreux experts considèrent comme raisonnables eu égard aux découvertes qu’il ya eu depuis début des années 2000.Au rythme moyen de production, ceci laisse à peine 20 ans pour le pétrole 29 ans pour le gaz. Une autre source, et pas des moindres, reste la prestigieuse revue de British Petroleum citée plus haut, sur laquelle semblent se baser de nombreux experts algériens, lorsqu’on compare les chiffres des uns et des autres. Pour cette source, l’Algérie avait au moment de la promulgation de la loi 86-14 qui a instauré le régime de partage de production, les réserves en pétrole  de 8,8 milliards de barils. Près de 430 découvertes dans le cadre de cette loi lui ont fait gagner 1,396 milliard de barils et la consommation de toute la période pour se stabiliser à 12,2 milliards de barils qui n’a pas bougé depuis 2005 pour lui donner un répit de 21,1 ans. Pour le gaz et sur la même période, on est passé de 3200 milliards de m3 à 4500 milliards de m3 en 1999 pour rester à ce niveau à ce jour. Pour le ratio réserve /production, la revue le situe à 57,8 ans.

Les détracteurs de cette approche statistique lui reprochent justement cette invariabilité des chiffres sur plusieurs années voire décennies. Un excellent rapport à été fait par Attar Abdelmadjid, l’ancien PDG de Sonatrach et surtout homme de terrain pour avoir géré en tant que géologue durant plusieurs années l’exploration de la société nationale. Ces chiffres ne s’éloignaient pas de ceux officiels en ce qui concerne le conventionnel. Cependant, le rapport a pu spéculer sur les réserves en place qu’il évalue à 1,4 milliard de TEP de liquide prouvé et techniquement récupérables et pour le gaz de 2385 milliards de m3. D’autres experts justifient les 4500 milliards de m3 par une répartition par gisement : Hassi R’mel aurait 2000 milliards, les autres gisements 1000 milliards de m3 et les 1500 milliards de m3 restant, ce n’est que du gaz associé.

Auteur
Rabah Reghis, Consultant économiste pétrolier

 




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