Mardi 29 juin 2021
La réhabilitation de l’Histoire mène à la prison d’El Harrach !
Les fortes lumières éblouissent les yeux non avertis. Un prisonnier dans un cachot, a besoin, par exemple, d’un temps pour voir de nouveau dans la lumière du jour. Il découvre alors, combien est aisé pour la laideur, de s’emparer des êtres dans le noir.
On ne soigne plus son image dans l’obscurité puisqu’en l’absence de notre propre regard et de celui des autres, les apparences sont le dernier de nos soucis. L’image que l’on a de nous-même, dans le noir du bagne, demeure fossilisée jusqu’à ce que la lumière nous révèle le décalage abyssal entre ce que nous sommes devenus réellement et ce que nous pensions être.
Reste la période, ô combien délicate, de l’acceptation de ce nouveau visage, le vrai. C’est généralement la phase la plus longue et la plus douloureuse.
Cette allégorie peut facilement s’appliquer à n’importe quel peuple qui ignore son Histoire ou qui n’est pas prêt à l’assumer. Ça arrive, bien-entendu dans un pays comme l’Algérie, où le fait historique a été séquestré comme les ossements d’Amirouche, parce qu’il fallait créer une fresque qui raconte une idéologie au lieu d’assembler le puzzle du récit national. Soixante ans de bagne, c’est autant d’années d’aveuglement, d’avilissement, de divisions, négation de l’autre, mensonges, et effacement de soi.
Les déclarations de Noureddine Aït Hamouda n’auraient jamais dû causer autant de réactions, encore moins son arrestation, si la vie de l’émir Abdelkader, n’avait pas rejoint le domaine du sacré depuis que le « Pape » Boumediene décida de le béatifier en lui offrant une sépulture et une histoire glorieuse remastérisée, chantée en chœur par tous les enfants de la chapelle sixtine de l’Algérie officielle.
A sa mort, Boumediene bénéficiera à son tour, de l’amnésie sélective et de l’amnistie idéologique qu’il avait appliqué au fait historique qui n’allait pas dans le sens des thèses officielles du régime de l’époque. Il est quasi impossible d’expliquer à un Algérien lambda, qui fut réellement Boumediene, sans se heurter à une réaction inflammatoire et urticante de sa part.
Il peut même frôler le choc anaphylactique si l’on prononce les mots dictateur ou criminel. Il en va de même pour toute la généalogie de la « Badisphère » et sa lignée comprenant aussi Ben Bella et Bouteflika. Une lignée symptomatique d’une époque où, partout en Afrique du Nord, des fous à lier ont voulu réaliser le rêve fou de l’empire arabe de Napoléon III.
L’état d’esprit des peuples, leur capacité à accepter l’archéologie historique et non-officielle, cela est aussi essentiel à la restauration des mémoires.
C’est ainsi que la France a, par exemple, de la difficulté à assumer son passé colonial, et ce, malgré une recherche académique libérée des liens politicards de l’après-guerre d’Algérie. Pourquoi ? Parce que la colonisation a encore des visages et des noms qui se baladent morts, mais glorieux dans les rues, places publiques et stations de métro.
Parce que la colonisation a importé des visages et des noms vivants, visibles, différents et trop nombreux au goût d’une partie raciste de la France. Et tant que ce « prolongement » du colonialisme hante les vivants ou vit, travaille, joue au foot et parfois, saccage des voitures, alors, il sera difficile d’éprouver de la révulsion envers des (génocidaires/ criminels de guerre) notoires ou de la compassion à leurs victimes. C’est ce qu’on peut appeler une émotion conditionnelle : on ne peut pas s’émouvoir tant qu’on « souffre » à notre tour d’une forme de « nuisance indigéniste ». La plaie ne peut se fermer sur les malentendus et autres contentieux historiques, tant que l’émotion de l’actualité submerge la raison du fait historique.
Ces jours-ci, au Canada, plusieurs découvertes macabres de fosses communes, contenant des centaines de cadavres d’enfants amérindiens enterrés dans des orphelinats, a suscité l’émoi chez les Canadiens, pourtant responsables collectivement, directement ou indirectement, avec l’Église catholique, de cet abominable drame humain. Le temps n’est nullement à la négation de faits historiques irréfutables, ni aux thèses dogmatiques, mais au recueillement et au rassemblement.
Les Canadiens ne pouvaient que s’incliner devant les mémoires innocentes de ces centaines de milliers d’enfants amérindiens (plus de 150 000) qui ont été, deux siècles durant, arrachés à leur famille, violentés, abusés sexuellement et assassinés en toute impunité pour nombre d’entre eux.
Tout le monde s’écrase devant la vérité. Les ecclésiastiques et les suprémacistes. On arrive tant bien que mal, à regarder la vérité en face même si elle a les visages tristes d’anges assassinés et enterrés dans des tombes anonymes.
Les Canadiens comprennent dans l’ensemble, que l’on doit accepter la réalité fut-elle abominable, parce que la nation canadienne n’est plus prisonnière des dogmes, mais des lois et de la démocratie. Le Canada, d’il y a à peine 30 ans (les derniers orphelinats pour autochtones ont été fermés en 1990), n’aurait sûrement pas pu fouiller son passé douloureux, parce que l’amérindien était encore considéré comme un nuisible, à chasser voire à éliminer.
Ce n’est plus le cas actuellement et c’est pour cela qu’il est possible, pour les Canadiens, de voir, en face, cette lumière aveuglante de leur sombre Histoire.
Le jour où l’Algérie, sortira du champ de mines idéologique et émotionnel arabo-islamiste dans lequel on l’a embourbée depuis l’indépendance, ce jour-là, et seulement ce jour-là, l’humain algérien pourra affronter sereinement les vérités de son Histoire et aller enfin de l’avant et pas en prison pour atteinte au « mensonge national ».