Lundi 25 mai 2020
Les raisons d’un malaise générationnel
Si l’on pense bien au processus historique de l’Algérie, surtout en ce qui a trait au créneau économique, on ne peut s’empêcher de se référer au livre-culte « Le développement du sous-développement », paru en 1969, chez Maspéro, du grand économiste allemand André Gunder Frank.
Pays à caractère agricole par excellence, l’Algérie s’est fourvoyé dès le recouvrement de l’indépendance dans des logiques contradictoires, oscillant entre domaines autogérés et coopératives agricoles, de type socialiste. Gâché dans les luttes de pouvoir, l’intermède 62-65, fut un total fiasco sur tous les fronts.
Après le socialisme de la mamelle des années 1970, les trois révolutions industrielle, agraire et culturelle, l’Algérie s’est orienté, sans grand succès vers le P.A.P (programme anti-pénurie). Le slogan « Pour une vie meilleure » a donné à l’Algérien lambda la fausse illusion de prospérité. Ce dernier a cru, par naïveté, que son pays, ouvert à l’époque à l’économie de bazar avec des souks el-fellah bien achalandés et à l’importation intensive du shampoing, des fromages étrangers et des bananes, était en passe de se hisser au rang des nations développées.
Or, la situation a été beaucoup moins reluisante qu’il n’y paraît, et l’ère Boumédiène, malgré sa poigne de fer, fut, ironie du sort, dès l’entame de la présidence de Chadli l’âge d’or tant fantasmé par beaucoup de générations d’Algériens déçus. Choc pétrolier, dettes extérieures, dépression économique, corruption, problème de logement, pénurie, instabilité sociale, hémorragie de la fuite des cerveaux, etc., tout a été mis à la sauce pour pourrir la vie de la jeunesse.
La cassure entre le peuple et son élite était déjà là, et les événements d’Octobre 1988 ne furent que la résultante du mépris autoritaire de ceux d’en haut (les soi-disant super-Algériens) vis-à-vis de ceux d’en bas (les Algériens du Deuxième collège). Le décalque néocolonial aura commencé à cette date-là. Il est vrai que, même s’il a commis des erreurs sur le volet des libertés individuelles, le problème identitaire et dans la question de la révolution agraire, Bouméediène n’en reste pas moins, en quelque sorte, un pionnier en matière de réformes industrielles. L’Algérie s’est transformé, grâce à une stratégie économique optimiste et à la vingtaine de milliards de dollars perçus de la rente pétrolière, en un immense chantier. Ainsi s’est-elle dotée d’une infrastructure industrielle très solide qui reste, des décennies durant, un patrimoine industriel inestimable pour toute la nation.
Toutefois, le manque de vision à long terme des dirigeants de ces années-là, conjuguée à l’autoritarisme et à la conjoncture internationale peu amène de l’époque, ont pesé lourd sur l’Algérie par la suite.
Les perturbations sociales du début 1990, la guerre civile, le choc social, le malaise identitaire qui s’ensuivirent, en tirent leur origine. Affaiblie économiquement jusqu’au point d’aller s’endetter pour végéter, pillée, désunie, humiliée, meurtrie, perturbée par les ingérences subites et malintentionnées de l’ex-colon qui ne cherche qu’à la faire plier à ses desiderata, poussée dans le pertuis de la haine de soi et de ses racines, l’Algérie n’a pu compter que sur courage et la débrouillardise de ses enfants pour survivre.