Mercredi 24 juillet 2019
Entre la chair (le peuple) et l’ongle (l’armée), pas de place pour le diable (le politique)
« Même le diable fût un ange au commencement », Proverbe anglais
Dans toute organisation, il y a des hommes qui exercent un pouvoir et d’autres qui cherchent à influencer, de façon plus ou moins visible et avec plus ou moins de bonheur l’exercice de ce pouvoir. Dans les régimes démocratiques, le postulat de base c’est la prééminence du pouvoir civil sur les militaires où l’armée s’abstient de s’immiscer dans la politique. Dans les régimes autoritaires, la question ne se pose pas, l’ordre militaire prend le pas sur l’ordre politique.
En Algérie, la question de la primauté du militaire sur le politique a été tranchée dans le sang avant, durant et après la lutte de libération. Au sein de l’Etat et ses démembrements, l’influence du militaire sur le civil est perceptible dans la désignation et le suivi des carrières des fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises. L’envoi des militaires ou paramilitaires dans le civil vise la constitution d’une sorte de club de managers sur lequel le pouvoir prend appui notamment dans les entreprises publiques et dans les administrations. Le développement du pays est une volonté de l’armée. L’action de l’armée fonde la légitimité du pouvoir. Il est admis que l’armée a régenté l’économie et la société.
Le projet étatique réside dans la nature même de l’armée ; autorité, obéissance, discipline. Le sort de l’Etat est lié structurellement à celui des militaires, car seule l’armée est en mesure de faire un coup d’Etat c’est-à-dire substituer une équipe à une autre dans un contexte sécurisé. Que ce soit dans l’armée ou dans l’administration, qui sont toutes deux par définition contre-productifs, et opposées naturellement à toute ouverture démocratique, nous sommes en présence de dirigeants qui sont des hommes d’appareils ayant fait toute leur carrière dans l’armée et/ou dans l’administration, ils connaissent tous les mécanismes, tous les rouages, toutes les ficelles et dans lesquels les liens de vassalité l’emportent sur les qualités professionnelles.
Des hommes qui n’ont pas le profil de bâtisseurs mais de guerriers. Des hommes qui obéissent aux ordres et non aux lois. Ils sont constitués de fonctionnaires et non d’entrepreneurs, des gens qui « fonctionnent » et non qui produisent, des hommes de pouvoir et non des hommes d’Etat. Ils raisonnent à court terme et non à long terme. Ils réfléchissent à la prochaine élection et non au devenir des générations futures. Un homme politique connu Sid Ahmed Ghozali affirma sans sourciller « nous sommes les harkis du système ». Un système conçu à l’ombre de la guerre de libération et mis en œuvre par les hommes sortis de l’ombre pour faire de l’ombre au développement du pays. Un système qui utilise les hommes comme des préservatifs, une fois servis, il les jette dans la poubelle de l’histoire.
Les appareils qui les ont projetés au devant de la scène n’ont pas pour vocation, de construire une économie productive ou de fonder un Etat de droit mais d’assurer la stabilité et la pérennité d’un régime politique autoritaire et bureaucratique devant résister « aux évènements et aux hommes ». Des appareils étatiques aux soubassements idéologiques affirmées, financés exclusivement par la fiscalité pétrolière et gazière se passant de la contribution fiscale des citoyens comme dans toute nation qui se respecte. C’est la raison pour laquelle, les dirigeants n’éprouvent pas le besoin de rendre compte de leur gestion aux citoyens du moment que les gisements pétroliers et gaziers sont la propriété de l’Etat et non de la nation.
En effet, dans une économie dominée par la rente ou par l’endettement, l’Etat est d’abord et avant tout intéressé par le développement et la reproduction du pouvoir. Mais dans la mesure où la classe au pouvoir est celle qui détient le pouvoir économique, la politique tend en partie à perpétuer ses avantages et à consolider sa position. Pour ce faire, les dirigeants monopolisèrent tous les outils étatiques à leur profit tout en garantissant à la population un minimum vital rendu possible par la disponibilité toute relative d’une rente énergétique et en faisant croire au peuple que la providence se trouve au sommet de l’Etat et non dans le sous sol saharien ; les algériens se sont prêtés au jeu et se sont mis à applaudir des deux mains les « acquis de la révolution » abandonnant champs et usines pour chanter les louanges du « chef ». Ce minimum vital est la rançon du pouvoir et il en est conscient.
D’un autre côté, de quel respect peut-il se prévaloir un peuple qui troque sa dignité pour quelques pièces de monnaie, c’est-à-dire l’équivalent d’une baguette de pain et d’un sachet de lait importés ? S’est-il mobilisé pour réclamer du travail et des emplois productifs et réclamer au pouvoir de libérer les énergies créatrices ?
Depuis l’indépendance a-t-il retroussé ses manches et décidé enfin de se mettre au travail sans avoir le colon sur le dos ou s’est-il contenté d’ouvrir la bouche et d’applaudir ses nouveaux maîtres ? Si les colons l’ont exploité, les nationaux ne l’ont-ils pas aliéné ? Quant aux puissances européennes, leur problème en vérité est de savoir si un système entièrement fondé sur les profits sera en mesure de procurer un minimum d’alimentation aux populations locales du moins pour prévenir tout bouleversement violent susceptible de mettre en péril les intérêts des firmes occidentales et l’accélération des flux migratoires vers le sud de l’Europe. Il est vital pour l’Europe de développer les économies nord-africaines afin de dresser un barrage naturel à l’invasion de leur sol par les populations.
La dictature militaire a perdu ses vertus, la démocratie est la voie royale vers la stabilité et la prospérité. L’absence d’autorité légitime maintient le niveau de productivité à son niveau de plus bas. Bilan de cinquante ans d’indépendance : une société malade face à un Etat débile. On se retrouve devant un régime politique corrosif qui respire le gaz et se nourrit du pétrole faisant de ses sujets des tubes digestifs explosifs. Evidemment quand la ruse plane sur les hauteurs de l’Etat, l’intelligence rase les murs au bas de l’échelle. La ruse bien que nécessaire en temps de guerre, dans la phase construction d’un pays, c’est l’intelligence qui doit prendre le relais. Comment est-on arrivé là ? La raison est simple, dans un Etat de droit, les gouvernants sont considérés comme des hommes ordinaires, ils doivent se soumettre à la loi au même titre que n’importe quel citoyen. Dans une dictature, une personne ou un groupe se placent au dessus de la constitution, des lois et des institutions, et exercent tous les pouvoirs de façon absolue. En subissant le règne des personnes au lieu et place du règne des lois, le citoyen se trouve privé de toute liberté et de toute perspective. Hier « indigènes » de l’Etat colonial français, aujourd’hui « indigents » de l’Etat national algérien. Le peuple se prête à toutes les manipulations. Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s’est imposé une idée neuve du bonheur immédiat. Ce bonheur se mesure à l’aune des biens consommés sur terre. En contrepartie de ce bonheur matériel s’est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fonde les économies.
C’est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu’un pouvoir démocratique a pu émerger. Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place. Les régimes autoritaires ont été tenu en échec en Angleterre et en France parce qu’une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de L’Etat. L’Etat tire ses revenus de l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers et non de la contribution financière des citoyens par leur labeur. Il est indépendant de la société. A fortiori, c’est la population qui dépend des subventions de l’Etat. La politique doit cesser d’être une profession lucrative pour devenir une fonction honorifique. L’Algérie doit cesser d’être une vache à traire. L’enjeu est de fournir des emplois en dehors de l’Etat, des emplois productifs qui assurent une certaine dignité aux travailleurs et un certain confort moral aux investisseurs dans un monde sans état d’âme. Quand à la classe dite politique, elle n’a de politique que le nom, elle émarge à titre ou à un autre, en fonction de ses accointances à la rente pétrolière et gazière. L’échec de l’élite politique c’est qu’elle n’a pas su transformer la rente en capital et de fournir des emplois productifs à une jeunesse qui ne demande qu’à bâtir son pays son pays. Un pays qu’un historien géographe a décrit comme « un gros ventre et une petite tête ». Le gros ventre c’est la poche saharienne ; la petite tête, c’est la côte méditerranéenne qui signifie pour les jeunes exclus la traversée au prix de leurs vie vers le miroir aux alouettes et pour les rentiers haute gamme une fuite de capitaux vers des paradis fiscaux
Dr. A. B.
PS.: L’indépendance n’est pas l’œuvre d’une élite intellectuelle partisane mais de l’armée de libération nationale conduite par le front de libération nationale. La victoire n’est pas politique mais militaire. La révolution du 1er novembre 1954 a été enfantée par les massacres du 08 mai 1945, agrandi dans les maquis de l’intérieur et fût adoptée à l’âge adulte par l’armée des frontières qui en fera son étendard. En posant la violence comme solution ultime au drame de la colonisation, la révolution du 1er novembre 1954 a été amenée à faire de l’armée, la source exclusive du pouvoir en Algérie.« Ceux qui ont pris les armes avaient raison et ceux qui ont les armes ont raison » lancera plus tard un nationaliste au long parcours, Abdelhamid Mehri.